PJ Harvey dessine ses chansons

  pojjyjean1.jpgPour PJ Harvey, on irait au bout du monde. Alors, pourquoi pas à Abottsbury? C’est dans son Dorset natal que Polly Jean nous fixe rendez-vous. On plonge sous la Manche, on prend un second train à Londres, on contemple pendant trois heures le paysage qui mène à Weymouth. Grosse demi-heure de taxi, à fond de balle, dans des champs vallonnés. Route fermée par un fermier (introuvable) pour faire passer ses vaches. Des extraits de cette interview.

“Merci d’avoir accepté l’invitation, glisse PJ, arrivée sur le parking du pub bed and breakfast au volant d’un 4×4. J’habite tout près d’ici. J’ai pensé que ce serait une jolie introduction à notre rencontre.»


Votre album repose sur le piano. Vous vous lassiez de la guitare ?
Pas lasser, non. Mais à chaque nouvel album, je travaille dur pour ne pas me répéter. Ça a vraiment constitué le point de départ d’une écriture avec un autre instrument. Le piano traduit mes efforts pour trouver de nouveaux terrains à explorer. C’était mon plus grand désir. Explorer de nouvelles contrées. Dans la musique. Dans les textes. Je n’ai jamais vraiment appris le piano. Je me considère d’ailleurs comme une novice. Ne pas savoir ce que je faisais – du moins, de manière intellectuelle – me fut très utile. Je joue ce qui me semble beau, joli, touchant. Je ne comprends pas vraiment ce qui marche ou ne marche pas. Ni pourquoi, d’ailleurs.

Vous avez besoin de vous mettre en danger pour créer ?
La crainte provoque le plaisir. Je me place dans une position qui devient source d’inspiration. Le danger permet d’atteindre une nouveauté, une excitation que vous ne parvenez pas à vous procurer quand vous vous complaisez dans une formule connue, une formule qui vous donne un sentiment de sécurité.


Est-ce que des événements, disques, livres vous ont profondément marquée pendant la gestation de ce disque ?
Tout mon travail résulte du fait d’être en vie. D’absorber ce qui se passe dans le monde autour de moi. C’est ma réponse au fait d’être un être humain sur la planète. Depuis le temps que j’écris et compose des chansons, je suis toujours surprise par ce qui peut les faire naître. Un truc que j’ai vu l’après-midi. Une photo. Une conversation avec un ami. Un reportage à la télé. Un commentaire dans un journal. Une odeur. Un livre. Une peinture.

Est-ce que vous continuez à vous exprimer à travers d’autres disciplines artistiques que la musique ?
Je dessine beaucoup. Pour sculpter, vous avez besoin de temps et d’espace. Mais ma plus grande passion est et reste la musique. C’est tout ce que je veux faire. Composer et écrire. Je couche tout le temps des mots sur papier. Et je pense à la musique chaque jour. Plus que j’en joue, en fait. Je me suis rendu compte que j’étais plus une songwriter qu’une musicienne. Je pense plus au verbe qu’à tout autre chose. Je ne touche pas un instrument avant d’en avoir réellement besoin. Ces derniers temps, j’ai commencé à dessiner mes chansons. Ça m’aide à visualiser les morceaux. C’est très excitant.

Vous avez joué Marie Madeleine dans « The book of life » d’Al Hartley. Avez-vous reçu des propositions d’autres réalisateurs depuis ?
Oui, mais à moins que le film ou le script soit incroyable, je continuerai à décliner. Je suis songwriter. Pour qu’un projet me détourne de mon travail, il doit être extrêmement important. Et je ne suis pas encore tombée sur quoi que ce soit qui vaille plus la peine que mes chansons. Ça ne m’intéresse pas du tout, par exemple, de jouer une rockeuse.

Il y a quelques années, vous n’aviez ni ordi, ni GSM, ni e-mail. Rentrez-vous dans la modernité ?
Je n’ai toujours pas d’ordi, ni d’adresse électronique, mais j’ai un téléphone portable. On dirait une antiquité. Je le range là-dedans : le kit « pneu crevé » qu’utilisait mon grand-père quand il roulait à vélo. Ça doit avoir 80 ans. Je suis quelqu’un de très tactile. Je prends beaucoup de plaisir quand j’écris à la main et quand je parle avec des gens. En même temps, je n’aime pas le trop-plein d’informations. J’ai toujours eu du mal à le gérer.


La mort est présente dans nombre de vos chansons. Elle vous effraie ?
Non. Mais la vision que j’en ai a changé. Parce que j’ai assisté au décès de ma grand-mère. Parce que j’ai grandi, aussi. On pense qu’on reste les mêmes, mais en traversant la vie, on change. Je n’ai jamais eu peur de m’en aller. Fille de la campagne, j’ai très tôt pris conscience du cycle de la vie. J’ai vu des animaux naître, mourir, s’entre-tuer pour manger. Vous réalisez que la mort est un passage obligé. Et puis, vieillir est une expérience d’humilité. Utile. Ça me rend meilleure.
Propos recueillis à Abottsbury par JULIEN BROQUET

  White chalk ***

On l’aimait pour sa guitare électrique, sa rage, le côté malsain et tendu de sa musique… C’est maintenant pour son piano, sa délicatesse et une voix bien plus douce et aérienne qu’à l’accoutumée qu’on vénérera PJHarvey. On pense d’ailleurs Björk, Joanna Newsom, voire Thom Yorke, en écoutant ce splendide et bouleversant septième album enregistré avec Flood et John Parish. Jetez-vous sur «Broken harp» et «White chalk»! (J.B.) (Universal)

  http://www.myspace.com/pjharvey


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