« La mécanique du cœur » est autant une ode à la différence qu’un hymne
à la passion amoureuse. Le roman du chanteur fait écho au nouveau CD du groupe français.
entretien
Comme son ami Cali, Mathias Malzieu cultive la passion, l’intégrité et l’originalité. Lors de la deuxième partie de notre entretien (commencé page 31), le leader de Dionysos évoque les thèmes de La mécanique du cœur.
Jack, le héros du livre et du disque est un peu le petit canard boiteux, le souffre-douleur. Pourquoi avoir souhaité aborder le droit à la différence ?
Il y a deux raisons à cela. Même si on travaille toujours dans un univers onirique, surréaliste et fantastique, c’est toujours connecté à ma réalité ou à une réalité. Quand j’étais petit, j’étais le plus petit de la classe, avec les cheveux roux, un peu hyperactif et hypersensible et je me suis fait un peu emmerder.
Comme je n’ai pas vécu en banlieue et que je ne suis pas démago, j’ai voulu parler de ma propre réalité en imageant cela avec quelqu’un qui a une horloge dans le cœur. Il est un peu différent mais d’une différence dérisoire. Mais rien qu’avec cette petite différence, il s’en prend plein la gueule quand même.
Et la deuxième raison ?
C’est par rapport à ce qui se passe actuellement en France. On passe son temps à nous faire peur, à nous surinformer et du coup, on a peur d’avoir peur tout le temps. Dans une époque où les espaces sociaux et culturels se rétrécissent terriblement, on a besoin de personnages artisans qui ne sont plus dans la culture du jetable.
La passion amoureuse donne une acuité au merveilleux mais fragilise, aussi. Et quand ça se passe mal, on se sent seul et terriblement rejeté. J’avais envie de lier ces deux sujets qui vont de pair.
Jack a une horloge à la place du cœur et rappelle « Edward aux mains d’argent », le héros du film de Tim Burton, un de vos réalisateurs préférés. Hasard ?
Tim Burton fait partie des gens qu’on adore chez Dionysos. Mais pas seulement. Je dirai que cette histoire est un mélange de Pinocchio un peu plus sexué, de Frankenstein et de Freaks de Tod Browing. Jack est plus un héros à la Jarmusch. C’est un paumé mélancolique qui a un rapport à l’amour catastrophique comme tous les personnages qui jalonnent son parcours.
On ne va pas raconter la fin mais disons qu’elle est juste moins prévisible que les films hollywoodiens. On peut aussi en dégager une morale qui dirait : « Il y a danger d’aimer trop, jusqu’à la déraison ? »
Je ne suis pas en train de faire une morale du genre : Il ne faut pas aimer trop. Au contraire, il faut y aller mais c’est un saut à l’élastique. Quand on fait ce genre de saut, l’élastique, de temps en temps, il peut péter. Donc, forcément, il y a un risque.
Comment expliquez-vous que votre livre touche autant de gens ?
C’est toujours difficile à expliquer. Je suis hyperheureux que le livre, comme le disque, marche aussi. Je pense qu’on récolte nos années sur la route à jouer partout. Que ce soit à Dour au festival ou à Liège, à la Soundstation, on a toujours donné tout ce qu’on avait. Que ce soit avec une jambe dans le plâtre, fatigué ou content. Du coup, même si on n’a jamais vendu des millions d’albums, on a nos petits disques d’or qui commencent à s’accumuler sur la cheminée. On a une base de gens qui nous suivent qui est solide et qui nous fait confiance. Et ces gens-là savent qu’on ne se moque pas d’eux.
MANCHE,PHILIPPE