La guerre des festivals

1,3 million de fans attendus cet été dans les festivals pop-rock belges. De quoi se battre pour les capturer.

C’est à Werchter que le combat a commencé ce jeudi. Et qu’il se termine déjà dimanche soir. C’est que Werchter, c’est le mégafestival. Au niveau des meilleurs européens. Organisé par Herman Schueremans, député VLD, qui est aussi à la tête de l’antenne belge de l’américaine Live Nation, la première entreprise mondiale de spectacles sur scène, qui attire chaque année plus 60 millions de spectateurs lors de 33.000 concerts. Comment rivaliser avec ce mastodonte ?

Werchter est le vainqueur des festivals belges, toutes catégories, c’est sûr. Mais il n’écrase pas tous les autres. D’autres festivals vivent bien en Belgique et de petits nouveaux grandissent très vite. Comme les Ardentes. Mais pour se maintenir en vie et pour prospérer, il faut se battre.

C’est qu’en pleine crise du disque, concurrencé par le téléchargement illégal et la multiplication des loisirs, le concert et le festival restent une valeur sûre. Ce qui explique le nombre croissant de nouvelles manifestations. Au point de faire désordre et de créer des tensions.

Les Ardentes liégeoises, qui en sont à leur 3e édition, sont venus bouleverser une carte des festivals qui, aujourd’hui, ressemble à un jeu de quilles. En très peu de temps, le festival rock créé par Fabrice Lamproye (Soundstation) et Gaëtan Servais (PS, Meusinvest) a bouleversé le paysage local. Au point d’inciter son plus proche concurrent, en termes de genres musicaux, le Dour Festival du député-bourgmestre CDH Carlo Di Antonio, à reporter d’une semaine son propre festival. Malgré le fait qu’il est déjà bien installé, lui, puisqu’il fête ses vingt ans.

Derrière ce jeu de cartes, aux intérêts financiers importants, aux stratégies liées aux subsides régionaux, communautaires ou locaux dont certains festivals bénéficient, se cache une sévère concurrence à la fois artistique et politique.

Artistique parce que les têtes d’affiche recherchées ne peuvent être partout à la fois. Un petit pays comme la Belgique peut difficilement demander aux dieux du rock d’en faire le tour à son aise. Comment s’arrache-t-on dès lors les têtes d’affiche ? « C’est le jeu de l’offre et de la demande, explique Paul-Henri Wauters, du Botanique. Un jeu de relais complexe entre les lieux, les artistes et les agents. »

Chaque festival entend défendre une image précise : chanson française, rock alternatif, musiques du monde, pop-rock, etc. Les programmateurs se mettent en chasse et vont solliciter les agences. Parfois les agences, qui ont des artistes à vendre, sollicitent les programmateurs. Et le marché se fait ainsi, selon l’offre et la demande, dans cette triangulation entre le lieu, l’artiste et l’agence qui est son relais. « C’est une équation qui doit déboucher sur une solution aux meilleures conditions pour tout le monde », ajoute Paul-Henri Wauters.

En Belgique, une petite vingtaine d’agences représentent les artistes. Elles sont purement belges ou sont des antennes d’agences étrangères. Et Live Nation est la plus importante. Un monopole ? « C’est la plus grosse agence, répond M. Wauters. Elle fait plus de 40 % du marché circulant. » D’autres avancent au moins 50 %. Alors, si pas un monopole, au moins un rôle envié d’arbitre.

Avec Live Nation, Herman Schueremans distribue les groupes en les répartissant au mieux des deux côtés de la frontière linguistique. Ce qu’il ne garde pas pour lui (Rock Werchter, TW Classic, Werchter Boutique), il le propose aux autres. Le roi Herman n’a jamais caché son allergie à Dour. Lui qui, en bon entrepreneur libéral, a longtemps estimé que demander des subsides pour une manifestation commerciale, est limite indécent, s’est toujours étonné du laxisme des autorités quant à la consommation de drogues avérée sur le site du festival de Dour. Philippe Kopp, le bras droit francophone de Schueremans, n’a pas cherché à le contredire quand il s’est agi de lâcher Dour au profit des Francofolies d’abord, des Ardentes ensuite.

Dès lors, Dour empiète sur les Francofolies de Spa déjà pas très contentes de voir les Ardentes leur faucher Alain Bashung et Dionysos ou programmer certains mêmes artistes une semaine plus tôt. Du coup, il leur reste la surenchère financière pour obtenir des agences françaises le haut du panier. Heureusement, tant Dour que Spa bénéficient de généreux subsides de la Communauté française et de la Région wallonne. De l’argent justifié par la présence d’artistes belges.

Et puis il y a la politique. Vous l’aurez vu, à chaque nom, ou presque, il y a un sigle de parti. En France, au Québec, en Suisse, on ne cesse de s’étonner de cette particularité belge : les gros festivals sont dirigés par des élus de la nation. Dour, par un député-bourgmestre CDH ; les Ardentes, cofondé par un PS ; les Francofolies, par un échevin MR ; Live Nation et Werchter, par un député VLD ; le Pukkelpop, par un SP.a…

La politique au service des affaires ou les affaires au service de la politique ? Au bénéfice ou au détriment des fans de musique ?

THIERRY COLJON, JEAN-CLAUDE VANTROYEN


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