L’insolente élégance

Musique Magnétique Bashung

Alain Bashung,
qui reviendra à l’AB
le 27 novembre, nous a accordé un entretien exclusif.

entretien

Que votre nuit soit douce ». C’est par ces mots qu’Alain Bashung a pris congé du public des Ardentes, dimanche soir, après un concert de 90 minutes, classieux et de haut vol. Quelques minutes plus tôt, l’artiste impérial, comme au Cirque royal il y deux mois, terminait seul à la guitare avec le magnifique « Angora » et un « Nights in white satin » joliment emprunté aux Moody Blues sous une pluie d’applaudissements aussi nourris que chaleureux.

La veille, l’auteur du lumineux Bleu pétrole atterrissait à Liège en début d’après-midi en ligne droite de La Rochelle où il venait de se produire dans le cadre des Francofolies. À 18 h 30, c’est un homme charmant au regard vif et alerte qui nous reçoit dans la suite d’un hôtel de la Cité Ardente.

Vous terminez les concerts de cette tournée seul à la guitare. Vous pourriez enregistrer un album à la Johnny Cash, juste guitare et voix ?

J’y ai pensé parfois mais comment et quand ? Il faudrait que ça arrive un moment où les choses ne sont pas tracées, comme si on les faisait par hasard. Avec mes copains de classe, on avait monté un petit groupe, les Duce’s. On n’avait pas assez d’argent pour s’acheter les Vox et les Fender des Shadows, notre groupe phare à l’époque. Je cherchais une sorte de base musicale pour raconter mes histoires. On connaissait bien sûr Hughes Aufray ou même Ricet Barrier. Hughes Aufray était très dirigé vers l’Amérique mais il n’empêche qu’il avait fait quelques reprises pas mal du tout. Je le trouvais plus intéressant que Johnny. Je parle de l’émotion que ça me procurait. J’allais même chercher les versions originales de ses chansons. Je me disais : « Tiens, ce sont des musiques qui swinguent pas mal, on peut y mettre des sons et raconter des histoires d’amour, des combats sociaux, des sentiments, des tranches de vie ou des délires ». Je voyais des auteurs américains comme Phil Ochs, John Pride, Randy Newman…

Ces artistes possèdent une espèce d’élégance qu’on retrouvera chez vous sous une autre grammaire…

Oui, ils mélangeaient l’élégance et l’insolence parce que ça y allait. Ils n’avaient pas la langue de bois, ils possédaient de l’humour et toujours avec une sorte de flegme, accompagné parfois de juste une guitare. Chez Loudon Wainwright, il y avait parfois des bricolages, on ne savait pas d’où ça venait. Tout ça m’a aidé. Je les voyais un peu comme des Européens exilés. Comme Woody Allen…

On oublierait presque que vous êtes curieux de nature ?

J’étais très curieux, c’est vrai. J’ai eu ces années de rock Vince Taylor, Eddie Cochran, Gene Vincent, Elvis, Link Wray, Carl Perkins, des mecs fabuleux. Quand les Beatles sont arrivés, on a vu une autre manière d’envisager les choses. Tous les trois mois, je m’intéressais à un style de musique. Je te parle de la période où j’arrive à Paris parce que lorsque j’étais en Alsace, j’allais à Düsseldorf pour trouver Buddy Holly en import dans les casernes chez les Ricains. J’achetais aussi Joe Brown, qui a joué avec Billy Fury, une espèce d’Elvis anglais qui imitait le son des studios Sun.

Ce qui frappe au regard de votre discographie, c’est qu’un disque est construit un peu en réaction au précédent. Il y a aussi toujours cette volonté de ne pas se répéter tout en gardant intact la notion de plaisir. Et sans se prendre au sérieux…

Ça vient d’un amour énorme de cette musique, de ces musiques, de ces artistes qui ont touché à l’exceptionnel comme Kim Fowley ou Phil Spector. Je savais très bien que je n’étais pas l’inventeur de ces musiques mais ça me faisait du bien de ne pas dramatiser en plus parce que j’étais moi-même mélancolique. On avait l’impression de se brûler la figure à chaque fois qu’on écoutait un disque.

Album Bleu pétrole (Universal).

Alain Bashung sera en concert à l’Ancienne Belgique le 27 novembre 2008. Infos : 02.548.24.24, www. abconcerts.be.

P.30 suite de l’entretien

La lumière de Bashung
Musique Magnétique concert dimanche en clôture des Ardentes

« Il n’y a plus rien à attendre des politiciens, alors j’apporte une petite lueur d’éclaircie », dit le chanteur.

entretien

Suite de la page 27

Avec les albums « Figure imposée » et « Play blessures », disques plutôt noirs, vous parvenez à déconner, entre guillemets, sur des choses sombres…

C’était presque une attitude anglo-saxonne. Sortir des trucs énormes mais avec le sérieux et la tragédie qui vont avec. Les lignes que je chantais, elles sonnaient mais elles racontaient de ces trucs… Je pense que c’est ça l’humour. Et ça ne me paraissait pas incompatible avec la passion de ces musiques.

Est-ce qu’il y a un avant et un après « Novice » ? Est-ce que ce disque vous a emmené vers d’autres horizons ?

Non, pas vraiment. C’est comme si je faisais de la cuisine et que j’avais tous les moyens à ma disposition comme un studio, des choses comme ça. Tout d’un coup, je vois qu’il me manque du safran…

Et le safran, c’est Colin Newman ou Blixa Bargeld ?

Ça pourrait être ça, oui. Je m’entendais très bien avec eux, ils faisaient des choses invraisemblables mais avec un sérieux. Ils avaient dû faire les écoles d’art parce qu’ils avaient le flegme. À l’époque (NDLR : 1989), ma maison de disques s’inquiétait de ce que j’allais faire. Bon, c’est du passé mais sûr le moment, ça fout les boulets au pied et ce n’est pas facile de marcher avec. Ma petite gloire, c’est d’avoir réussi à faire le disque que je voulais. Mais c’était naturel. Pour Bleu pétrole, j’ai travaillé avec Marc Ribot. Mais je n’ai pas cherché tout de suite à aller dans une espèce de rock américain. C’était plutôt des musiciens qui m’aidaient. On faisait des disques sans se parler, ils écoutaient et c’était incroyable.

Tout a déjà été dit et écrit sur « Bleu pétrole ». Néanmoins, est-ce la période trouble et chaotique dans laquelle nous vivons qui apporte cette clarté et cette lumière au disque ?

C’est ce que je me suis dit. Il n’y a plus rien à attendre des politiques. Donc, j’apporte une petite lueur d’éclaircie. Je ne crois plus au changement au niveau national mais bien au niveau local, à l’échelle d’un quartier. C’est comme ça que je vois les choses. Il y a des moments où on entend de telles âneries dans la bouche des politiques que ça donne envie de s’énerver.

Le premier élu que j’ai rencontré, ça devait être un ministre et je lui dis des tas de trucs. Et bizarrement, devant un politique, je n’étais pas du tout timide. À la fin de la conversation, il me dit : « Mais nous n’avons aucun pouvoir. » J’avais des doutes parce que j’étais à mon troisième armagnac mais finalement peut-être qu’il avait raison et qu’il était sincère. Ils sont impuissants face aux problèmes qu’il y a à gérer. Depuis de Gaulle, j’entends toujours la même chanson : « On va voir la fin du tunnel. » Et elle est où la fin du tunnel ? Ce n’est pas un sujet gai. Pour l’instant, ils réinventent les rapports entre l’état et l’audiovisuel. À l’époque, il y avait un ministre de la Communication. Quand on voit ce qui se passe aujourd’hui, on a l’impression qu’ils essaient de réinventer le fil à couper le beurre…

MANCHE,PHILIPPE

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