Dour : le grand entretien

Grand manitou du festival et bourgmestre de Dour, Carlo di Antonio (CDH) répond en long, en large et en travers aux critiques dont il a fait l’objet. Notamment la question de l’hygiène. Il fait du confort le “principal enjeu” de cette 20e édition.

Les organisateurs des Francofolies vous reprochent d’avoir modifié la date de votre festival sans aucune concertation. Comment vous intégrez-vous dans le calendrier ?

Nous englobons chaque année le 3e dimanche de juillet. Nous tombons toujours deux semaines après Werchter. Et ce n’est pas du fétichisme. Il y a un contexte international qui, pour Herman Schueremans, signifie Roskilde, la concurrence anglaise, la fin des examens… Nous, nous collaborons avec le Melt Festival en Allemagne et d’autres grands rassemblements espagnols qui tombent ce week-end. Je ne comprends pas les responsables des Francos. Nous avons pris une décision et nous les en avons avertis. Eux ont annoncé leur date de 2008 au lendemain de leur édition 2007. Mon collaborateur Alex Stevens leur a dit qu’on se parlerait en août pour l’année prochaine mais je suis convaincu qu’ils auront déjà fait leur choix. De toute façon, les Francofolies sont davantage en concurrence avec les Ardentes qu’avec le festival de Dour. D’abord au niveau géographique. Ensuite, sur le plan musical. Les Ardentes n’ont affiché complet que le jour de Bashung, Darc et Dionysos. Quoi qu’il en soit, nous envisageons d’avancer légèrement notre festival. D’ouvrir nos portes le mercredi et de les fermer dans la nuit de samedi à dimanche. C’est une question de synergies. Nous deviendrons encore plus complémentaires avec nos partenaires. Nous pourrions attirer d’autres artistes.

Le nombre de festivals a explosé en France et plus généralement en Europe ces dix dernières années. Comment gérez-vous la concurrence ?

C’est vrai. Il y a dix ans, on n’entendait parler que de Rennes (Transmusicales), Belfort (Eurockéennes) et Saint-Malo (La Route du rock). Aujourd’hui, il y a Arras (Main Square), Paris (Rock en Seine…) et des dizaines d’autres rassemblements similaires. Ce n’est pas toujours facile. D’autant que certaines villes mettent des 200.000 voire 300.000 euros sur la table. Nous devons en plus, aujourd’hui, faire face à l’émergence des pays de l’est. Mais chaque inconvénient comporte ses avantages. Le week-end de Dour, l’Espagne a le Summer Case et Benicassim. Ils paient cher. Très cher. Ce qui nous permet de récupérer les groupes la veille à des cachets plus ou moins normaux.

Comment couvrez-vous la hausse des cachets demandés par ces artistes ?

Par une augmentation du prix des tickets de l’ordre de 6 ou 7%. Nous n’avons pas touché aux boissons. Via internet, on nous demande pourquoi l’eau n’est pas gratuite sur le site (elle l’est dans le camping…). C’est envisageable évidemment. Je veux même bien donner la bière. Mais ce qu’on donne d’un côté, il faut le reprendre de l’autre. Il n’y a pas de secret, lors du bilan financier, vous avez les recettes et les dépenses. Il en va de même pour les groupes. Ils ont besoin de davantage d’argent vu la crise de l’industrie du disque. Les firmes ne payent plus leur tournée. Ils doivent tout prendre eux-mêmes en charge.

L’an dernier, vous avez rencontré de gros problèmes en termes d’hygiène. On pense notamment à l’odeur pestilentielle qui a plané sur la plaine… On revoit cette fille qui pataugeait, pied nu, dans une flaque d’urine.

Le site arrivait à saturation et nous avons souffert des conditions climatiques. Lors du montage de son stand, peu de temps avant le début du festival, un sponsor a endommagé le terrain. Nous l’avons prié de résoudre le problème et il a remblayé avec du sable qui a provoqué de fortes nuisances olfactives. Un urinoir a par ailleurs explosé et il nous était impossible d’y accéder par l’arrière du site. Nous avons dû nous contenter de le condamner. Nous avons tiré les leçons du passé. En même temps, le festivalier se fout des excuses. Il s’attend à ce que chaque problème trouve rapidement une solution. Deux personnes ont ainsi été engagées pour plancher exclusivement sur le site. Nous avons agrandi de 30% la surface disponible sans augmenter le nombre de ticket vendus. Nous possédons 600 toilettes comme l’an passé mais elles seront désormais entretenues par la même équipe qu’à Werchter. Nettoyées trois fois par jour. Le confort est le principal enjeu de cette 20e édition…

Certains se plaignent de votre programmation. Sans tête d’affiche fédératrice…

Nous nous sommes incrustés dans le calendrier en devenant complémentaires de Werchter. En jouant sur les découvertes. Il s’agit de notre créneau et plus que jamais, nous devons l’affiner. On nous a proposé des Prodigy, des Chemical Brothers mais je ne voulais pas casser ce sur quoi on travaille depuis des années. Goldfrapp n’est pas écrit plus grand sur notre affiche que le gagnant du concours Tremplin dédié aux jeunes talents…

Difficile de ne pas évoquer la drogue. Dour, c’est quand même un peu le festival de la défonce, non ?

Nous gérons l’aspect prévention avec des associations mais la répression relève de la police fédérale. Elle va intervenir comme chaque année mais nous ne savons pas où et nous ne voulons pas le savoir. Nous en sommes contents. Les forces de l’ordre ont pour principale mission de traquer les fournisseurs. Certaines substances sont faciles à détecter. D’autres nettement moins. Celui qui boit douze bières, deux red-bull et termine par un cachet (seul de ces produits interdits) ne va pas se rater… J’ai toutefois du mal à croire que ça ne lui arrive qu’une seule fois sur l’année. Modus Vivendi est présent sur 150 lieux festifs et souligne que la consommation de stupéfiants à Dour est problématique comme partout ailleurs. L’herbe est un combat d’arrière-garde. Nous ne devons pas jouer les hypocrites. Je voudrais encore souligner qu’il est difficile de nous comparer à Werchter. Les concerts chez nous se terminent à l’aube. Nous nous situons en quelque sorte à la croisée des chemins. Quelque part entre le festival et la boîte de nuit.

A l’étranger, on s’étonne que des politiciens se trouvent aux manettes des grands festivals belges. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Il faut déjà discerner deux choses. Herman Schueremans, Chokri Mahassine et moi avons créé nos événements respectifs avant d’entrer en politique. D’autres venant de la politique ont organisé des concerts.

Comme Rudy Demotte avec Dialecta ?

Ou Gaëtan Servais, chef de cabinet d’Arena, avec les Ardentes. Ca doit être porteur. A Dour, on riait du PSC quand il m’a choisi pour tête de liste. On arguait notamment que je causais des nuisances aux riverains. La population y a plutôt vu l’implication, le dynamisme que je pourrais mettre en œuvre dans d’autres domaines. En raccourci, c’est comme ça que j’explique mon succès politique. Puis, Dour, c’est aussi 2200 volontaires. Des gens qu’on met à contribution. Bénévoles ou non. Le fils de l’un, le frère de l’autre. En même temps, je défie quiconque de trouver mention de nos partis à Dour, Werchter et au Pukkelpop. Nous ne sommes pas la fête de l’Huma. On peut sortir des chiffres.

Justement, pourriez-vous décortiquer les aides dont vous faites l’objet ?

Nous recevons 100.000 euros à travers les Contrats Programmes de la Communauté française. Un montant lié à des obligations. Nous assurons la visibilité d’une trentaine de groupes de la CF. Le CGRI (Commissariat Général aux Relations Internationales) nous alloue par ailleurs 6000-7000 euros pour la prise en charge de frais d’hôtel. La Région wallonne finance encore une partie des dépliants qu’on imprime pour assurer notre promotion à l’étranger. Nous avons reçu 15.000 euros l’an dernier. Dour est le premier événement touristique en région wallonne. Sur 144.000 nuitées, 88.000 sont à mettre au compte des festivaliers hors Communauté française. Personne d’autre n’attire autant de monde. Le plus proche derrière nous, c’est Francorchamps. Bien sûr, on parle de nuits de campings. Mais celles des Ardennes sont comptabilisées aussi en fin d’année quand on évalue le nombre de nuitées. Bref, Dour est subventionné à raison, grosso modo, de 120.000 euros sur un budget de 4 millions. 97% de financement propre, ça signifie que nous conservons la mainmise sur tout. C’est une fierté. Regardez de plus près les sponsors des Ardentes. Vous trouverez la province, des intercommunales… En France, vous remarquez l’intervention du conseil général, des régions, des villes. Des événements comme Les Nuits Secrètes d’Aulnoye-Aymeries reposent essentiellement sur les subventions. Que doit-on penser des festivals gratuits ? Doit-on les subventionner ?

Dans le cas contraire, c’est le spectateur qui devient perdant… Il y a la question de libre accès à la culture.

Je peux résumer comment fonctionne un festival gratuit. Plutôt que celui qui consomme paie, tout le monde paie. C’est la version cubaine du festival… Si on pousse le bouchon encore plus loin, l’état peut assurer un salaire à tous les artistes… Dans le système actuel, il existe des filtres en ce qui concerne l’accès à la culture. A Dour, nous avons vendu 1700 entrées Article 27. Les tickets ne coûtent au festivalier que 10 euros par jour. Comme Esperanzah !, nous avons laissé tomber l’ardoise de l’asbl censée prendre le reste en charge. Une ardoise impayable.

Pas mal de gens ont ergoté sur vos relations avec Live Nation, sur le fait que des artistes ne voulaient plus jouer chez vous.

Les Ardentes ont longtemps revendiqué leur statut anti Live Nation et aujourd’hui, elles se vantent de leur programmation. Cette année, à Dour, sur 220 groupes, 60 sont chez Live Nation. Sur neuf agents, un seul, celui qui représente les Français, n’a rien chez nous. Certes, quelques artistes sont plus sensibles au bruit, aux questions de son, de calme… Les discussions avec Goldfrapp n’ont pas porté sur l’heure, le cachet mais le côté intimiste de la musique… Nous avons essayé d’attirer Sonic Youth. Nous avons fait offre commune avec Melt et Benicassim. Les Espagnols mettaient le paquet et ensemble, nous proposions une coquette somme mais l’affaire ne s’est pas concrétisée. Cypress Hill n’est plus en tournée ce week-end. Il ne faut pas tout voir à travers le prisme : Live Nation a placé… L’an passé, nous avons attiré tout ce que nous voulions en électronique : Digitalism, DJ Shadow, Amon Tobin, Justice. Cette fois, nous sommes très présents sur le métal mais moins en électro. Contexte, circonstances… Il n’y a pas de boycott de Clearchannel à notre égard. Tout ça ne m’inquiète pas. A un moment, les règles économiques vont primer. Du moins si tout le monde est sur un pied d’égalité.

Entretien réalisé par JULIEN BROQUET


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6 Comments

  1. perceval

    17 juillet 2008 à 10 h 45 min

    supers concerts à Dour et cela depuis des années. Bravo aux organisateurs.

  2. Pingback: Raide d’Eli Reed | frontstage

  3. silk

    20 juillet 2008 à 3 h 03 min

    PAs toujours très clair dans ses explications ce cher Carlo Di Antonio. Je suppose que c’est comme ça qu’on arrive à monter une machinerie comme Dour. En tout cas bon festival!

  4. cath

    20 juillet 2008 à 19 h 01 min

    IL AURA FAIT DE DOUR UNE VILLE RECONNUE ET SURTOUT DE PERMETTRE AUX JEUNES TALENTS DE SE PRODUIRE!!!!
    BRAVO

  5. CP

    22 juillet 2008 à 13 h 01 min

    Félicitations pour l’organisation cette année … ils ont bien assuré le coup par rapport au foirage complet de l’année passée…

    Encore une fois : toutes mes felicitations aux organisateurs !!

  6. Pottiez Stéphane

    1 septembre 2008 à 17 h 15 min

    Carlo c’est un PRO. Arriver à faire du festival de Dour ce qu’il est devenu, sans mélange avec la politique, c’est un exploit. Des détracteurs, il y en aura toujours mais avant de critiquer faites comme lui, foncez et vous réussirez. Bonne continuation au Bourgmestre de ma commune et encore une fois BRAVO.

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