D’ici trois mois, quand on se creusera les méninges pour établir nos tops de fin d’année, un nom reviendra inlassablement dans les conversations. Que ce soit pour le titre de meilleur album ou dans la catégorie meilleurs concerts. Vendredi soir, au Botanique, dans une Orangerie archi sold-out et au fort accent néerlandophone, Bon Iver, bien entouré, a offert une splendide relecture de son exceptionnel premier disque. Le vibrant “For Emma, forever ago”.
Bon Iver, c’est l’histoire extraordinaire d’un jeune barbu venu d’Eau Claire, dans le Wisconsin. Une histoire qui commence mal. Pendant l’été 2006, le sort s’acharne. Justin Vernon cumule une mononucléose et une pneumonie. Son groupe se dissout et son couple se déchire. Il se sépare, produit le groupe de son ex et dort dans le divan. C’en est trop. Il décide de battre en retraite. De s’enfuir pour mieux se retrouver.
Justin part s’installer dans la cabane de son père. En pleine forêt. Loin de la ville et des hommes. « Je n’avais pas prévu d’écrire des chansons, dit-il. Je voulais juste hiberner. Les premières semaines d’ailleurs, je n’ai rien foutu. Je restais allongé dans mon lit. Je glandais sur le canapé. Je déprimais. »
Puis tout en chassant pour se nourrir, tout en coupant du bois pour se chauffer, Justin s’est mis à méditer. Le calme l’a ressourcé. Et la musique est tout doucement réapparue dans sa vie. « Quand des mélodies me venaient à l’esprit, je déposais ma hache et j’allais chercher ma guitare, » se souvient-il avec une pointe de nostalgie. Là-bas, le songwriter a pris ses distances avec Bruce Springsteen et Tom Waits. Pondu un disque touchant, personnel. Le disque d’une renaissance. Neuf pépites de folk intimiste. Une nouvelle peau pour un ancien écorché.
« Un jour ma douleur vous marquera, » chante Vernon sur « The Wolves ». Il tempère devant une bière. « Je ne veux pas qu’on m’associe systématiquement à la mélancolie, la tristesse. L’extraction de la douleur est synonyme de joie et de rédemption. »
On en a eu la preuve, vendredi soir. Entouré de trois musiciens, Justin a partagé un vrai grand moment de bonheur. Pendant une petite heure, il nous a emmenés ailleurs. A la fenêtre, près d’un feu de bois, dans cette fameuse cabane de son Wisconsin natal. Un moment magique. Chaleureux. Parfois très rock, quand les deux batteries se mettent en branle. Toujours très humain, proche du public.
Avant pratiquement chaque chanson, l’Américain fait la causette. « Qui donne son sang ? », « Qui est enceinte ? » interroge-t-il en guise d’introduction à ses nouveaux morceaux « Blood Bank » et « Babys ». Si le bonhomme passe en revue son premier et unique album, « For Emma, forever ago », deux reprises figurent également au programme de la soirée. Un dispensable « Simple Man » de Graham Nash où Vernon accompagne la voix de son bassiste à la flûte. Et un très sympa « Lovin’s for fools » de Sarah Siskind, chanté en chœur, façon boy scout, avec les Bowerbirds qui assuraient la première partie. Pour les distraits, rattrapage à Gand le jour de la Saint Nicolas.
Julien Broquet
Album : “For Emma, forever ago” (Jagjaguwar/4AD)
Au Vooruit (Gand), le 6 décembre.