Winwood revisite 45 ans de musique pop

Steve Winwood, c’est un monument de la musique rock-pop. A 15 ans, en 1963, il jouait déjà dans un groupe avec son frère Muff : c’était le fameux Spencer Davis Group. Il fut de l’aventure Blind Faith avec Eric Clapton. Il fonda Traffic. Fit une carrière solo, accompagna Jimi Hendrix sur le magique « Voodoo Chile », enregistra avec Lou Reed (Berlin), Marianne Faithfull (Broken english) et se produisit avec les grands anciens Muddy Waters, John Lee Hooker, T-Bone Walker, Howlin Wolf, BB King, Sonny Boy Williamson, Chuck Berry, Bo Diddley. Une carrière, quoi.

A 60 ans depuis le 12 mai, Stevie Winwood peut regarder dans le rétroviseur et contempler une carrière magnifique. C’est ce qu’il fait d’ailleurs depuis quelque temps : reformation de Traffic, concert avec Eric Clapton…

Vendredi, à l’Ancienne Belgique, il a revisité quelque 45 ans de musique pop. C’était assez magique pour les fans de Winwood. Et pour moi. C’est que ce fut aussi, en ce qui me concerne, un retour aux sources : j’ai applaudi le Spencer Davis Group dans cette même salle de l’Ancienne Belgique, qui était encore une espèce de cabaret avec tables et bières servies par des garçons stylés, dans les fameuses années 60. Nostalgie… C’est sans doute une grande part du succès de cette tournée européenne de Winwood d’ailleurs. Si quelques plus jeunes participaient à cette fête, l’AB avait surtout fait le plein de vieux de la vieille. Les quinquas et les sexas formaient la majorité d’un public heureux mais sage.

Sage comme Steve Winwood d’ailleurs. Jeans, chemise blanche, sans chichi, sans manière, peu de contact avec le public : la musique d’abord. Et quel fameux musicien, à la guitare comme à l’orgue. Et quel fameux chanteur : une voix toujours haut perchée, légèrement voilée, immédiatement identifiable. « Je suis heureux d’être ici ce soir, annonce-t-il quand même après le troisième morceau. C’est agréable de revoir des visages connus. Et d’en voir des nouveaux. Les uns et les autres vont être contents : on va jouer des chansons de mon nouvel album et des morceaux anciens, des années 70 et des années 60. »

Et c’est bien à un condensé de sa carrière et, dès lors, de l’histoire de la musique pop-rock, que Steve Winwood nous a conviés, en une quizaine de morceaux et deux heures de spectacle. Avec un fort bon groupe d’ailleurs : José Neto à la guitare, Paul Booth au sax et aux flûtes et Karl Van den Bossche et Richard Bailey aux percussions. On est passé de « I’m a man » (Spencer Davis Group) et de « Empty Pages » (Traffic) à « Dirty City » ou « At times we do forget » (le dernier album, l’excellent Nine Lives). Via « Can’t find my way home » (Blind Faith) et “Low spark of high-heeled boys” (Traffic). Winwood joue surtout de l’orgue mais quand il se met à la guitare, ça fait mal, comme dans « Dirty City », « Can’t find my way home » ou « Dear Mr. Fantasy », qu’il reprendra en rappel. Winwood n’est sans doute pas un  « guitar hero » à la Clapton ou à la Hendrix, mais il en a la classe. Il a sans doute été trop discret, trop secret pendant toute sa carrière pour en avoir eu le charisme.  D’ailleurs, il se fait aussi modeste dans ce concert : il laisse la part belle à ses musiciens, à la guitare subtilement inattendue de Neto ou au sax très jazzy de Booth. Et trop aux percussions : le son est souvent un peu noyé derrière les congas de Karl Van den Bossche.

Ces percussions permanentes, toutes excitantes qu’elles puissent être, dans « I’m a man » par exemple, finissent cependant par donner un ton égal, une sonorité trop souvent  identique aux morceaux pourtant bien diversifiés des différentes périodes de Winwood. Pour ceux qui ne sont pas acquis d’avance, par nostalgie ou par « fan attitude », ça peut devenir lassant. Mais ne boudons pas notre plaisir. Celui d’avoir vu un concert prodigue, sympa, qui nous a fait revivre de belles années de musique et de belles années de jeunesse. Et qui a fait croire aux vieux fans qu’ils sont toujours jeunes et beaux, comme Steve Winwood sur lequel l’âge ne semble pas avoir d’emprise. Et quand, au rappel, Winwood enchaîne « Dear Mr. Fantasy » et « Gimme some lovin », on a eu 20 ans à nouveau. Ces moments d’abandon au rythme, à la guitare, au tempo, au balancement, à la danse, à l’essence magique de la musique, ont mené dans un ailleurs qui fait partie de la mémoire collective de notre temps. Merci, Steve.

Jean-Claude Vantroyen


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