Et la lumière fut

29_anthony.jpgAntony revient avec ses Johnsons et un album, « The Crying Light », à faire pleurer un caillou.

I’ve been searching for my wings some time », pépiait Antony, en 2004, sur son album « I’m a bird now ». Depuis, l’Anglais installé à New York s’est senti pousser des ailes. Pas celles d’un oiseau. Plutôt celles d’un ange que trahissent une voix surréelle, aérienne et un nouveau disque d’un classicisme magique. Nous avons rencontré Antony à Bruxelles. Au café Greenwich fort prisé des joueurs d’échec. Discret, bienveillant, d’une gentillesse et d’un calme réconfortant, il ne se prend pas pour le roi. Il est la reine.

Quels préceptes ont guidé la genèse de ce nouvel album ?

Je voulais enfin enregistrer toutes ces chansons sur lesquelles je travaillais depuis sept ans. Des chansons qui parlent d’animisme. De ma relation étroite avec le monde naturel et ses éléments. J’ai mis en boîte une trentaine de titres que j’ai réussi à regrouper pour former un EP et un album.

D’où vous vient ce rapport si intime avec la nature ?

Tout a débuté il y a vingt ans quand j’ai commencé à étudier avec l’un des élèves de Kazuo Ohno, fondateur du butô (NDLR : il orne la pochette de l’album), et que nous avons pratiqué des exercices où nous incarnions le mouvement atomique d’une pierre ou d’une falaise. Venant d’Angleterre, j’avais bien entretenu, enfant, une relation pastorale avec les jardins, les forêts. Mais ce n’est pas comme si j’avais été élevé à la ferme. Une fois en Californie, je me suis rapproché de l’océan. Mais New York, aussi, est nature. Tout ce qu’on y trouve en est un dérivé. Les murs en pierre. Le plancher, en bois, par terre…

L’enfance est un thème récurrent de vos chansons nostalgique ?

Non. Pas du tout. J’ai vécu l’enfance comme une période fort inconfortable. J’étais incompris.

Isolé. Maintenant, j’arrive à prendre soin du gosse qui est en moi. En tant qu’adulte, nous devons nous sentir responsable de cet enfant. Nous devons le protéger. Nous assurer qu’il se sente en sécurité. Aimé. En grandissant, ça devient une de nos missions. Plus celle de notre père ou de notre mère.

Nous sommes tous à la fois le parent et l’enfant. Je peux devenir très ridicule quand je suis avec mes amis. Mais c’est quelque chose que je cultive. Je suppose que j’utilise l’enfance comme une métaphore pour parler de notre part d’innocence. Un trésor.

Qu’avez-vous pensé de l’exposition « It’s not only rock’n’roll baby » où l’on a pu découvrir quelques-unes de vos œuvres ?

Je n’aimais pas du tout son nom. Le mot baby me semble tellement bizarre. J’ai par contre apprécié l’expo. Le travail de Laurie Anderson, de Bianca et Sierra (CocoRosie). Personnellement, j’ai vécu ce moment comme quelque chose d’intimidant. J’exposais pour la première fois mes œuvres visuelles. Je ne suis pas dupe. Je sais que si je n’avais pas l’étiquette de musicien, on ne m’aurait pas ouvert les portes de ce musée. En même temps, j’aime dessiner. Ce que j’ai beaucoup fait ces dernières années dans l’idée de trouver un endroit libre où prendre du plaisir en créant sans être jugé. Vous comprenez qu’il m’a semblé particulier de soumettre ces œuvres au regard du monde.

Vous parlez de CocoRosie. La légende veut que le mouvement néofolk soit né pendant un de vos concerts.

Ce n’est pas le cas. Devendra (Banhart), Bianca, Sierra (CocoRosie), Mattea (Metallic Falcons) et Joanna Newsom viennent tous de Californie. Et ils ont permis à cette scène d’émerger. J’ai dix ans de plus qu’eux. Je me sens un peu comme leur vieille grand-mère. En même temps, la culture a changé depuis 2003. Cette communauté d’artistes s’est en quelque sorte dissoute. La manière qu’ont les gens de se rapprocher, de s’éloigner est très naturelle. Ainsi vont les choses. Mais à un moment donné, cette énorme et incroyable énergie était concentrée en un seul endroit.

Maintenant, de nombreux artistes de ce petit monde ont rejoint d’autres constellations. Tous me sont encore chers. Tout particulièrement Bianca et Sierra. On essaie toujours de passer un peu temps ensemble quand on se retrouve dans le même pays. Je me sens connecté aux directions artistiques qu’elles empruntent. Une sorte de futurisme féministe pensant l’esprit d’une manière révolutionnaire.

Comme l’animisme, le féminisme vous tient à cœur…

C’est une des racines qu’on doit laisser pousser si on veut transformer et faire évoluer la société. Une prise de conscience qui a guidé ce nouvel album. J’ai reçu une éducation catholique. On m’y a inculqué que seuls les êtres humains possèdent une âme.

Que les pierres, les arbres n’en ont pas. On m’a expliqué que les hommes et femmes, quand ils meurent, vont ailleurs. Un lieu abstrait et blanc qu’on appelle « paradis ». Un véritable cauchemar pour moi. Avec ce disque, j’ai réarticulé ma relation à la nature et à ce qui nous entoure. Mon corps est fait des mêmes éléments que ceux des animaux, que les rivières ou la terre… Pourquoi pas notre esprit ?

Vous avez un côté cabaret, vous avez touché au disco avec Hercules and Love Affair et vous vous êtes essayé au jazz. Aucun style ne vous effraie ?

Je ne m’interroge jamais en termes de genres. Je suis passionné par les rythmes. Je veux continuer à explorer. A développer ma relation avec la musique. Hercules a représenté un grand challenge, mais aussi un immense plaisir. J’ai essayé de suivre l’exemple de mes chanteurs favoris de dance music. Des gens comme Gloria Gaynor, Otis Redding, Alison Moyet (Yazoo). Je n’ai nourri aucune réticence, aucun doute à l’égard de ce projet. On l’a monté avec un ami alors qu’on perdait notre temps en studio. J’aimerais à l’avenir travailler avec davantage de musiciens issus de pays qui me sont étrangers. Chacun a son sens du rythme. La musique occidentale s’intéresse beaucoup ces derniers temps à l’Afrique. Mais je pense que c’est le cas depuis vingt ans. David Byrne, Peter Gabriel… Beaucoup ont tenté de trouver l’inspiration dans l’ailleurs, le lointain.

Vous sentez-vous encore anglais ? Quand vous avez remporté le Mercury Prize, décerné au meilleur album britannique ou irlandais de l’année, certains vous ont reproché de ne pas l’être assez…

Définitivement. La plupart de mes influences culturelles sont anglaises. J’ai baigné, enfant, dans la musique anglaise. Mon sens de l’humour est très anglais. J’aime l’absurdité. Quand j’étais gosse, j’ai déménagé de pays en pays. Et ça finit par vous procurer le sentiment d’être un étranger partout où vous allez. Je me sens à la maison partout et nulle part à la fois.

Quel rôle a joué le théâtre dans votre carrière ?

Quand j’étais plus jeune, j’ai fait partie des Blacklips et des Johnsons. J’ai changé de chemin parce que je ne me voyais pas d’avenir dans le théâtre expérimental. Et je me suis dirigé vers la musique. Avec le théâtre, que j’ai beaucoup pratiqué, j’ai appris l’art de la scène. Je jouais la plupart du temps dans des night-clubs à une heure très avancée de la nuit. J’y mettais mes rêves à l’essai. J’estimais si oui ou non j’allais pouvoir les réaliser. J’ai développé au théâtre des tas d’idées. Avec le réalisateur Charles Atlas, nous avons récemment imaginé un concert où un portrait vivant de femme new-yorkaise illustrait chaque chanson. Cette expérience m’a permis de repenser la présentation.

Que serait cet « Another World » que vous chantez et dont vous rêvez ?

Un monde où nous rétablirions la balance dans nos relations avec la nature. Où Jésus serait une femme. Pour beaucoup, le paradis est un endroit où l’on va quand on meurt. Moi, c’est l’endroit où je veux vivre.

Bio name-dropping

Johanna Constantine. Au début des années 90, Antony Hegarty s’installe à Manhattan. Ensemble, ils créent les Blacklips. Un groupe de drag queens s’adonnant au théâtre expérimental. L’oiseau a trouvé son excentrique nid.

David Tibet. Membre fondateur de Current 93, Tibet tombe sous le charme d’Antony en écoutant l’une de ses démos. Il sortira le premier album de la diva, sobrement intitulé « Antony and the Johnsons », sur son propre label : Durtro.

Joan As Police Woman. Elle dit d’Antony qu’il lui a sauvé la vie. Joan Wasser faisait partie des Johnsons avant de rencontrer Rufus Wainwright. Steve Buscemi et Sébastien Liftshitz. Antony a déjà plus d’une apparition au cinéma dans son sac. Toujours au beau milieu d’endroit à la sexualité, disons, particulière. En prison dans le Animal Factory (2001) de Steve Buscemi et au beau milieu d’un café de travestis parisiens pour le Wild Side (2004) de Sébastien Liftshitz.

Lou Reed. Grâce au producteur Hal Willner, Antony entre en contact avec Lou Reed. Il prend part à l’enregistrement de son album « The Raven » (2003). Participe à la tournée Berlin. L’ancien Velvet se joint à lui pour mettre en boîte l’EP « The Lake » et lui permet de rééditer son premier disque avec une vraie distribution chez Secretly Canadian. Antony a aussi collaboré avec Laurie Anderson.

Devendra Banhart. Il fait, comme… Lou Reed, partie des nombreux invités conviés à l’enregistrement d’« I’m a bird now » (2005). Antony joue La mère du monde dans le clip de son « Heard somebody say ».

Boy George. L’une de ses grandes idoles dont il adore les chansons d’amour sentimentales. Ensemble, ils chantent « You are my sister », extrait d’« I’m a bird now », et « Happy Xmas (War is over) » sur l’album « War child Help : a day in the life » (2005).

Marc Almond. Fan de pop androgyne eighties, Antony a aidé le fondateur de Soft Cell à remonter sur scène après son accident de moto. Notamment en l’invitant à chanter « River of sorrow » pendant l’un de ses concerts.

CocoRosie. Bianca et Sierra font partie de ses meilleures amies. Le premier concert d’Antony en Belgique remonte à sa première partie de CocoRosie à l’AB Club.

Björk. Antony est très demandé. Il a participé à deux chansons de son album « Volta ». Il a aussi séduit Brian Ferry, Marianne Faithfull…

Les Frères Wachowski. La chanson « Bird Gehrl » a été utilisée dans « V pour Vendetta » dont ils étaient producteurs et les frangins ont réalisé le clip fantasmagorique d’« Epilepsy is dancing ».

nouveau

The Crying Light

C’est la nuit, disait Edmond Rostand, qu’on a envie de croire en la lumière. Celle, naturelle et intérieure, d’Antony Hegarty a beau pleurer, on se laisse même de jour éclairer. Disque déchirant, classique et classieux, The Crying Light est un phare. Une exceptionnelle invitation à suivre le piano et la voix d’Antony, le timbre d’une Nina Simone transgenre doux et mélancolique, et la musique distinguée de ses Johnsons. Un album lent, absorbant, fascinant.

Rough Trade

BROQUET,JULIEN


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