Melody d’ amour

La chanteuse de Philadelphie publie son deuxième album,
encore plus féminin, délicat et sensuel que le premier.
Rencontre à Londres.

Avant qu’elle ne se produise en 2008 pour son seul concert belge à ce jour, au Blue Note Festival gantois, nous avions découvert Melody Gardot dans l’intimité du Club Soda, au Festival international de Jazz de Montréal. Un véritable coup de foudre, comme l’avait été la première écoute de son album Worrisome heart. Diana krall et Norah Jones peuvent se faire du souci : une nouvelle étoile du jazz est apparue. Née en 1985 dans le New Jersey, miss Gardot a grandi à Philadelphie dans une famille qui la pousse très jeune vers la musique. Tout va pour le mieux, s’amusant même à l’adolescence à jouer du piano dans des clubs locaux, jusqu’au jour où, à 19 ans, alors qu’elle se promène à vélo, Melody est victime d’un terrible accident. Polytraumatisée avec des lésions cérébrales graves, la jeune fille mettra des mois à recouvrer la santé. Sur son lit de douleur, elle se jette à corps perdu dans la musicothérapie, se mettant pour la première fois à écrire ses propres chansons. Aujourd’hui encore en convalescence, elle porte des lunettes et s’aide d’une canne pour se déplacer, alors que de terribles migraines l’accompagnent plus que de raison. Son premier disque, comme celui qui sort ces jours-ci, parle de tout cela, de ses amours déçues, de sa vie, avec une franchise que, sur scène, elle accompagne d’un humour ravageur. Sans parler d’une

sensualité toujours à fleur de peau.

D’accord, Melody est très jolie, d’accord elle met en scène sa musique, renouant avec l’imagerie des cabarets chics et du Hollywood des années 40 et 50. Mais, Melody, c’est avant tout une voix de velours et une plume alerte. Ses chansons sont simplement belles sans être datées. Elle croise le jazz avec le blues et la bossa-nova, sans tomber dans le déjà entendu. Melody joue sur le rétro mais ses disques sont très actuels. Oui, Melody est une charmeuse. Mais quel talent !

www.melodygardot.com

En concert le 19/7 au Gent Jazz Festival.

« Je chante ce que je suis »

entretien

Melody sait comment charmer son interlocuteur. Elle nous reçoit dans la suite de son hôtel, vêtue d’une courte mini-robe noire révélant la perfection de ses jambes qui n’en finissent pas. Sa chambre est complètement réaménagée pour qu’elle se sente chez elle : un petit temple votif animiste, des voiles, de l’encens, des fleurs… Tout est là pour créer une ambiance particulière que sa voix douce accompagne d’un sourire mystérieux.

Sur scène, vous semblez jouer un personnage, avec le chapeau buse, la canne, votre tenue vestimentaire très sexy, votre coiffure hollywoodienne…

Dans mon esprit, ce n’est pas un personnage que je joue, c’est moi. J’aime cette élégance, le côté rétro, glamour. Cette image accompagne ma musique bien sûr.

Surtout que votre musique a des réminiscences rétros évidentes. On pense à Sinatra, Jobim…

J’aime ces artistes et cette musique. Mais sans aucune nostalgie de ma part. J’apprécie l’essence jazz de la bossa-nova, par exemple. C’est ça que j’ai voulu inclure dans mon nouvel album. C’est une question de rythmes mais aussi de douceur, de saudade, de mélancolie…

On y trouve une très grande sensualité aussi. Vous jouez là-dessus. Le côté vamp… On a du mal à croire que vos chansons sont dédiées à tous ceux qui vous ont brisé le cœur…

C’est pourtant vrai…

Comme si vous n’en aviez jamais brisé vous-même ?

Oui, c’est arrivé, c’est vrai, je l’avoue.

Sur scène, vous dites que vous buvez du cognac parce que vous le faisiez déjà à 16 ans dans les piano bars. Ce n’est donc pas votre accident de la route, survenu à l’âge de 19 ans, qui a été le déclencheur de votre vocation…

Je ne chantais pas à l’époque. Je jouais du piano que j’ai appris très jeune, à Philadelphie. J’ai une formation classique. Mon accident et l’immobilité qui s’ensuivit m’ont surtout poussée à m’exprimer en chansons, à dire tout ce que j’avais sur le cœur. Je n’avais pas dans l’idée de devenir chanteuse professionnelle avant mon accident. c’était juste un hobby. Ça me plaisait et m’amusait.

Quand on vous voit monter sur scène en galopant, on se dit que votre canne n’est plus vraiment indispensable…

Non, non, détrompez-vous. Je serais pour le moment incapable de marcher droit sans elle. C’est une question d’équilibre que je n’ai toujours pas retrouvé. Mon système nerveux a été très endommagé. J’ai encore des séquelles de cet accident, la vision aussi, même si ça évolue favorablement au fil du temps. J’espère que ça va encore s’améliorer. Je suis toujours des entraînements.

Melody est-il votre vrai prénom ? Vos parents croyaient en votre destinée…

Oui, il faut croire, ils m’ont toujours poussée dans cette voie mais sans me forcer. Ils adorent la musique. Ma maman chante aussi mais en amateur, à la maison.

Vous n’avez pas perdu votre temps pour réaliser ce deuxième album, que vous avez réalisé durant une longue tournée. Avez-vous peur de vous ennuyer ?

Non, j’aime bien aussi ne rien faire. Mais j’écris et compose beaucoup, j’avais de nombreuses chansons que j’aimais bien. Et en tournée, j’avais mon groupe avec moi, sous la main, en permanence. Donc, c’est facile de réserver un studio pour maquetter. Mes chansons parlent de ma vie, donc comme je vis intensément, j’ai beaucoup à dire. Je suis très curieuse de tout, j’aime voyager, faire des rencontres…

Quelque part, vous vous vengez de vos aventures parfois malheureuses…

Non, c’est juste une réaction. Oui, c’est une thérapie, une façon drôle de parfois digérer quelque chose de douloureux ou particulier et ensuite, de passer à autre chose. Écrire m’aide énormément.

Sur scène, hier soir, vous avez un peu parlé français – devant un public anglais, c’était courageux –, vous vous débrouillez bien. Avez-vous appris à l’école, en voyageant ou sur l’oreiller ?

Un peu à l’école et un peu avec des amis. J’adore Paris, j’y vais souvent. J’y étais encore hier matin avant de venir ici. Hier soir, durant le concert, j’ai voulu être honnête et je m’attendais à ce que le public anglais me réponde en me disant que Londres aussi était une ville magnifique mais ils sont trop polis. Ils n’ont pas réagi. J’aime dialoguer avec le public, c’est comme un jeu. En Allemagne, ou a Paris surtout, ça réagissait bien, les gens étaient bavards. J’adore ça. Si je n’avais pas mon handicap, je serais très différente sur scène, je serais moins assise derrière le piano ou à la guitare. Je danserais, je me baladerais… J’irais plus facilement vers le public. Mais bon, je suis comme je suis. Je me débrouille avec ce que j’ai. Donc, quand une chanson est joyeuse, je veux prolonger ce moment avec quelque chose d’un peu drôle.

Il est étonnant de voir une toute jeune artiste qui parvient à imposer ses propres chansons à un grand label jazz, là où tant d’autres sont obligés de passer par la case « standards » d’abord…

Certains artistes le font parce qu’ils le veulent bien. Moi, on m’a signée pour mes chansons. Depuis le début, ma firme me soutient et défend mes chansons. J’ai cette chance.

C’est vrai que vous êtes gâtée. L’orchestre à cordes d’hier soir, c’était une expérience ?

Oui, pour voir ce que cela donne. C’est rare, c’est vrai. L’idée est de retrouver l’esprit des arrangements de Mendoza du disque. J’en suis vraiment tombée amoureuse… des arrangements, je veux dire.

Vous réussissez un joli cocktail de blues, jazz et bossa-nova. C’est ce qui fait votre originalité, vous en êtes consciente…

Oui, pour moi, c’est le disque le plus féminin et le plus délicat que je pouvais faire. J’aime le blues. Le blues, ce n’est pas de la poésie, ce sont d’abord des sentiments. Quand je chante, je relie toujours tout à ce que j’ai vécu, comme un rêve. Si j’étais peintre, je peindrais mes rêves. Mon album est celui d’un peintre, je trouve. Chaque chanson est un secret. J’aime le cognac, les cigares, les fleurs et les vêtements… Je chante ce que je suis.

La musique vous sert à séduire ?

La musique séduit plus que moi.

My one and only thrill

Comme sa collègue Madeleine Peyroux, Melody a fait appel à l’inoxydable Larry Klein pour produire, sur des orchestrations symphoniques de Vince Mendoza, un album doux et langoureux au possible, mêlant jazz et bossa-nova. « Over the rainbow », en version latino, est la seule reprise figurant sur ce disque d’une sensualité d’autant plus affolante que la chanteuse écrit essentiellement sur ses amours déçues. Tout ici force l’imagination et le plaisir d’une musique qu’on se passe comme un bon vieux Rita Hayworth en noir et blanc.

Universal.

COLJON,THIERRY


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