Le speed metal peut faire rire et pleurer. La preuve par un fabuleux documentaire : « The story of Anvil ».
Japon, 1984, un stade immense… « Cet été-là, Anvil est en tournée aux côtés des plus grands du rock. » Scorpions, Bon Jovi, Whitesnake, les noms ronflants se succèdent à l’écran. La voix off reprend : « Tous ont vendu des millions de disques sur la planète. Tous, sauf un… » Changement de plan. On passe du public en folie devant un guitariste que triture ses cordes à coups de vibromasseur au camping-car pourri dans lequel le même homme, beaucoup plus tard, confie aux autres passagers qu’il a été verni d’avoir pu trouver des sacs de couchage. Il s’appelle Steve « Lips » Kudlow, chanteur d’Anvil, groupe né à Toronto en 1973. Un groupe essentiel, aux dires de légendes comme Slash, Lemmy de Mötörhead ou Lars Ullrich, le batteur de Metallica. Essentiel parce qu’à l’origine d’un genre qui a fait la fortune de ces mêmes Metallica, Anthrax, Slayer et autres Megadeth. Sauf qu’Anvil n’aura jamais goûté à leur gloire : un quart de siècle après le Japon, Lips distribue des repas dans les cantines scolaires et Robb Reiner, son fidèle batteur, s’escrime toujours sur des chantiers.
Deauville, octobre 2008, le festival du film américain. Sacha Gervasi, citoyen britannique jusque-là connu pour avoir écrit le scénario d’un Spielberg (The terminal), présente « The story of Anvil », le documentaire qu’il a consacré au groupe dont il fut l’ami et le roadie. Lips et Robb sont à ses côtés, timidement. A l’écran, les scènes tragi-comiques s’enchaînent. Les deux compères racontent leur parcours : le pacte qu’ils ont scellé à 14 ans (« On jouera du rock ensemble toute notre vie »), les concerts foireux, la fan qui s’improvise manageuse, la famille au bord de la banqueroute parce qu’elle a prêté de quoi enregistrer un nouvel album, le désintérêt des majors, les déprimes profondes, la fête d’anniversaire où ils jouent comme si c’était dans une salle de 10.000 personnes… Certaines anecdotes semblent sortir tout droit de Spinal tap, d’autres rappellent Some kind of monster. Pas besoin d’être connaisseur en matière de décibels : la profonde humanité qui s’inscrit en filigrane est saisissante. On rit, puis la gorge se serre à la vue de ces deux quinquas animés d’une foi d’ados, se disputant avant de s’étreindre comme des frères.
Speed metal
Après la projection, les deux quinquas en question et en vestes de cuir sont postés dans un couloir du Casino. Ils vendent leur merchandising serré dans une boîte en carton. Une vieille dame bien comme il faut achète leur dernier disque en date. D’autres spectateurs l’imitent, puis d’autres encore… Quinze euros, une aubaine ! Le lendemain, dans un salon de la très chic Villa Cartier, le trio se retrouve face à quelques journalistes à peine remis de leurs émotions. « Après avoir écrit The terminal, raconte le réalisateur, je me suis senti un peu perdu dans la grosse machine hollywoodienne. En repensant à ce que j’aimais étant jeune, je me suis demandé ce que tous les deux étaient devenus. » Quelques minutes de Google plus tard, il découvre un site web intitulé anvilmetal : « Il y avait là des photos de concert prises deux semaines plus tôt. Une longue liste d’albums qui m’étaient inconnus. J’ai soudain réalisé qu’ils avaient continué à jouer pendant toutes ces années au cours desquelles je les avais perdus de vue. » A tout hasard, Sacha Gervasi envoie un mail. La réponse ne tarde pas. Lips en personne : « Hey, T-Bag ! On pensait que tu étais mort ou devenu avocat ! »
L’idée du film germe ensuite, lors de retrouvailles au cours desquelles les conversations reprennent comme si elles s’étaient arrêtées la veille : « J’ai emmené Lips chez mon mentor, Steven Zaillian (Ndlr : oscarisé pour le scénario de La liste de Schindler). Quand je l’ai vu expliquer à la femme de Steve ce qu’est le speed metal, je me suis dit que ces mecs étaient animés de l’énergie et de l’espoir d’y arriver qu’ils avaient 20 ans auparavant. En même temps, dans la musique, peut-on encore réussir quand ça n’a pas marché après tout ce temps ? Je trouvais cette foi en un rêve et cette passion complètement dingues. C’est ça qui m’a inspiré. Parce que combien de gens manifestent un tel degré de foi ou d’engagement ? » La réponse tombe sous le sens : très, très peu.
I just wanna rock
Reste que pour avoir été perçu comme un groupe novateur, Anvil n’est jamais devenu énorme, oeuvrant dans l’underground, gagnant tout juste, grâce à une fan base fidèle, de quoi pouvoir entrer régulièrement en studio. « De mon point de vue, c’est un succès, commente Lips. Peu d’artistes peuvent dire qu’en 25 ans, ils sont allés tous les deux ans enregistrer un nouvel album. Nous sommes restés dans le parcours, mais à notre allure. Prenez des Iron Maiden ou Judas Priest dont l’existence est parsemée de séparations, de réunions… Nous ne nous sommes jamais séparés. Le film, ce sera comme du carburant qui nous permettra de sortir du statu quo. Vous connaissez l’histoire du lièvre et de la tortue ? De temps en temps, c’est la tortue qui passe la ligne en premier ! Mais ce qui m’importe surtout, c’est de savoir combien de morceaux je peux écrire, et combien de gens je vais pouvoir rendre heureux avec cette musique. Ça n’a rien à voir avec l’argent ! »
A l’heure qu’il est « The story of Anvil » a non seulement effectué un joli parcours sur le circuit des festivals et s’est attiré une foule de commentaires dithyrambiques. En plus d’avoir ramené deux héros restés méconnus (malgré un « tube » comme Metal on metal) sous le feu des projecteurs et, qui sait, sur les écrans radar d’une grosse boîte de disques. Lorsqu’on demande à Robb Reiner si sa vie a changé depuis les premières projections, le batteur lâche un laconique « I just wanna rock ! » qui fait marrer Lips et Sacha Gervasi. « Quand je joue, je suis le mec le plus heureux du monde. Le film est génial, l’histoire me plaît. Ça a remis du soleil dans ma vie. » A la fin du mois, Anvil assurera la première partie de quelques concerts américains d’AC DC…
Didier Stiers
– « Anvil, the story of Anvil » est disponible en dvd, uniquement en version anglaise pour l’instant (Metal On Metal Productions/Universal Pictures).
[display_podcast]
[youtube umAxeO-QfmY]
MadCluster
25 juillet 2009 à 22 h 36 min
Excellent!
Je me souviens, il y a bien longtemps, j’écoutais Anvil. J’avais oublié leur nom… 😉