Le festival Esperanzah ! a ouvert ses portes : pas l’ombre d’une fausse note! Les billets en pré-vente sont partis comme des petits pains. Il reste encore quelques sésames pour dimanche. N’empêche. Pour la deuxième année consécutive, le festival se dirige tout droit vers le sold-out. Suivez le déroulement du festival des musiques nomades, engagées et plurielles en un roman photo.
1. Arrivée en gare
Evidemment, il faut parvenir à se parquer et prévoir cinq à dix bonnes minutes de marche. Mais l’accès à Esperanzah ! est facile. Les organisateurs ont étudié la question (on peut désormais échanger son ticket contre un bracelet au camping) et à l’entrée, on fait à peine la file. Avec le soleil qui brille et l’ambiance baba-cool de circonstance, l’arrivée se fait tout en douceur.
2. Premier wagon
C’est pas le Ventoux mais à Esperanzah !, ça grimpe. Les plus courageux marchent entre la cour et le jardin. Les autres prennent le petit train. Premier wagon. DOMGUè (un ordi, un saxophone) lance les hostilités côté cour. DOMGUè aime voir les fesses remuer mais on n’est pas encore prêts à se déhancher et on est moyennement convaincus par le Liégeois en costard. L’homme qui respire dans son sax. Certains ont l’air d’apprécier.
3. Hindi Zahra : sur les rails
On l’avait découverte à Eurosonic en janvier dernier. La petite Hindi Zahra, qui publiera son premier album en septembre, si tout va bien, a sans doute le talent pour tenir l’étendard folk féminin européen. Puis l’Africain aussi. Hindi est née au Maroc et vit désormais à Paris. Elle a grandi dans une famille d’artistes et ça se sent. Ca sent le désert, le blues, le folk. Ca sent aussi par moments la grâce. Elle n’intéresse pas tout le monde mais elle nous raconte l’amour, l’affirmation de soi, le monde et ce que ses rencontres lui inspirent.
4. Anthony Joseph : première classe
C’est sans doute le concert qu’on attendait le plus du festival (contrairement à un bon nombre du public venu pour Charlie Winston ce vendredi). On n’a pas été déçu. Le poète et prédicateur Anthony Joseph accompagné de son Spasm band nous a une nouvelle fois mis dans sa poche. Comme à l’AB où on n’était que quelques pelés et tondus pour l’écouter interpréter son renversant deuxième album Bird Head Son (dans notre top 5 de l’année). Le saxophoniste est toujours incroyable. Les percussions sont entêtantes. Ca sonne comme du free jazz. Ca groove. On pense à Curtis Mayfield avec un grand sourire sur les lèvres. Sifflet en bouche, lunettes de soleil, enthousiasme débordant… Le bonhomme possède un charisme et une forme de tonnerre. Manque juste un peu de son. Les lascars nous ont encore donné une belle leçon.
5. Charlie Winston : le resquilleur
On ne sait pas trop à quoi s’attendre. On a même plutôt entendu d’honorables échos à son sujet. Charlie Winston, l’un des grands buzz, comme on dit aujourd’hui, de l’année, a en tout cas activement participé au sol-out (10.000 personnes) de la journée. « Il y a quoi d’autre à l’affiche ? », interroge un festivalier. « Je ne sais pas, lui rétorque son pote. De toute façon, je passe le reste de mon temps à faire la fête au camping. » L’ambiance est au beau fixe mais c’est pendant le concert de l’homme au chapeau qu’on aurait bien été se promener. L’Anglais fait son show. Se transforme en human beat box. Elles sont où les chansons Charlie ? Du calme, les filles. Le protégé de Peter Gabriel attend la fin de son set pour lâcher l’arbre qui cache la forêt : le single Like a hobo » (ces sans domicile fixe qui se déplaçaient de ville en ville en se cachant dans des trains). Beaucoup de bruit pour rien ou du moins pas grand-chose. Même s’il y a un monde de dingue et que les spectateurs ont l’air content. Vous me direz, c’est déjà pas si mal.
6. Bassekou Kouyaté & Ngoni ba : Transafrique Express
La musique du Mali en 2009, ce n’est pas juste Amadou et Mariam. C’est aussi Bassekou Koyauté & Ngoni ba. Bien moins pop (et occidentalisé), bien plus roots (et blues), ils sont les disciples d’Ali Farka Touré que Bassekou a accompagné au ngoni sur l’album Savane. Le ngoni, harpe à chevalet ou petite guitare du monde mandingue, instrument de prédilection des chasseurs de la région du Wassoulou, remonte au 12e siècle. Il est aussi dans l’air du temps. Bassekou a décroché le prix de l’album de l’année pour « Segu Blue » et celui de meilleur artiste africain lors des derniers BBC 3 Awards. Une vraie découverte.
7. Color Humano : Proxima Estacion
Collectif hispano parigot, Color Humano compte en ses rangs d’anciens membres de la Mano. Et, en gros, fait du Manu Chao. De la musique sans frontières. Rock, funk, rythmes africains, afro-cubains et groove latin… Pas mal. Même si moins convaincant que ce que propose leur pote le lutin. Color Humano chante l’injustice, l’individualisme, l’incompréhension. Les maux qui nous rongent et sur lesquels le festival aime mettre le doigt. Il a aussi le sens de la fête. « Esperanzah !, vous avez une réputation d’incroyables danseurs. Vous nous montrez ?, » excite-t-il le public. Faudra confirmer.
8. A l’aérogare de Floreffe
Samedi, fin d’après-midi, début de soirée. Des tas (environ 5.000) d’avions verts survolent les jardins de l’Abbaye de Floreffe. Chacun a écrit un message sur ces « oiseaux » de papier… Une pensée intime qui l’aide à vivre, qui réveille sa force de vie, quelque chose qui donne du sens, qui toujours le réconforte. C’est l’idée de Damaris Risch. Photographe plasticienne, Damaris Risch se plonge au cœur de la condition humaine. Elle s’interroge sur l’identité, le vivre ensemble. La relation à soi, à l’autre, à l’étrange. Certains ont juste gribouillé des Je t’aime. D’autre ont cherché un peu plus loin. Dévoilé un petit coin de leur âme. Un chouette moment de partage. Et une belle image.
9. Souad Massi : correspondances
Certains CV font un peu peur. Présentée comme la diva du folk rock oriental, Souad Massi possède d’inquiétants antécédents. C’est elle, par exemple, qui chante « Savoir aimer » avec Florent Pagny. Née à Alger, dans le quartier de Bab El Oued, au début des années 70, Souad a vu sa carrière décoller à Paris. En janvier 1999, elle est invitée au Cabaret Sauvage pour le festival Femmes d’Alger. Bingo. Elle reste en France et signe un contrat avec Island-Mercury (Universal). Dans la foulée, elle chante en duo avec Marc Lavoine, compose des musiques pour le film Mauvaise Foi (elle partage le générique de fin avec Gad Elmaleh), interprète des chansons d’Azur et Asmar et remporte même une victoire de la musique pour l’album world de l’année en 2006. Souad peut chanter en français, en arabe algérien et en berbère avec la même voix suave. La Tracy Chapman du Maghreb comme certains l’ont rebaptisée propose un folk rock world toujours lié à ses racines. Une bonne surprise.
10. Tiken Jah Fakoly : La locomotive du reggae africain
Menacé de mort par des proches du président Gbagbo qui auraient assassiné plusieurs de ses amis, il vit depuis quelques années au Mali. Cela fait maintenant quinze ans que l’Ivoirien Tiken Jah Fakoly chante la révolte et s’attaque à la classe politique africaine. Mais pas seulement. « Nous, jeunes Africains, quand on voit des bases de l’armée française en Afrique après quarante ans d’indépendance, on est un peu agacés, » déclarait-il, en 2003, devant les caméras de télé alors que lui était remise une Victoire de la musique. Tiken Jah n’a jamais eu sa langue en poche. Samedi soir, il l’a même extrêmement bien pendue. Entre les morceaux, il parle politique. Les lieux sont bien choisis. Malgré l’heure et l’envie de faire a fête, Esperanzah ! est toute ouïe. Et la musique dans tout ça ? Elle sonne bien. Même si ses fans ont connu le rasta ivoirien et son reggae plus énergiques, de bonnes ondes se dissipent dans les jardins de l’Abbaye. « Un Africain à Paris » résonne sur l’air de l’« Englishman in New York » cher à Sting (une idée soufflée par le chanteur de Sinsemilia). Un autre monde est possible.
JULIEN BROQUET