Le caniveau du grand amour de Richard Hawley

La belle voix de Sheffield est de retour avec « Truelove’s gutter », un sixième album des plus somptueux. Rencontre à Paris.

Richard Hawley, c’est d’abord une voix. Grave et belle. C’est aussi une musique lente et douce comme une plume glissant, par une nuit de pleine lune, sur la rivière Sheaf qui traverse sa ville tant aimée de Sheffield. Une ville qui revient souvent dans ses chansons. C’est là qu’il enregistre tous les deux ans, avec toujours les mêmes musiciens, ses disques : « Où je vis, j’ai toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, nous dit-il avec conviction. Je ne ressens pas le besoin d’aller à L.A. ou à Paris. J’ai tout dans ma tête ou au bout de ma rue. Sheffield est un endroit très créatif. Dans le passé, la musique de Sheffield a été révolutionnaire avec Cabaret Voltaire ou Pulp. Ça n’a rien de confortable ni de rassurant. L’endroit où je vis est même assez dur et sale. Mais je ne veux pas exclure le reste du monde en ne parlant que de Sheffield. Ce serait stupide. Je me sers de Sheffield pour parler de plein de choses universelles. Je trouve ici plein de trucs à partager avec tout le monde, des similarités… L’être humain fait pratiquement la même chose, même avec des trucs différents. »

Pour ce nouvel album, Richard n’a pas hésité à utiliser des instruments et des sonorités inhabituelles, au travers de huit chansons qui prennent le temps de se développer : « Je veux m’étonner moi-même, me motiver en tant qu’auteur, compositeur, producteur, chanteur et musicien. Je veux voir jusqu’où je peux pousser le concept d’une chanson, en y incluant des éléments cinématographiques, des paysages… Je veux que l’écoute de ce disque ressemble à un voyage, du début à la fin. Sans chocs, mais avec douceur. Je dois me libérer du format de trois minutes de la pop song. J’expérimente. Tout l’album est un mantra. C’est mon album favori, le plus profond. »

Richard Hawley, banane sur la tête, boots aux pieds, a un vrai look de rockeur des années 50. Avant de nous faire planer avec ses arrangements pour cordes, il a vécu son parcours rock, avec des groupes comme Treebound Story ou Longpigs. Il a même monté un groupe de rockabilly, The Feral Cats : « Ce n’est que récemment que je me suis rendu compte de ce que je pouvais faire avec ma voix. Je ne me suis jamais considéré comme un chanteur. Sur mes précédents disques, c’est toujours la dernière chose que je faisais : chanter. Et vite. Ici, j’ai davantage assumé, en passant beaucoup de temps sur la voix, en soignant le choix des micros. À part ça, j’ai toujours chanté en famille, quand j’étais petit, avec mes parents et mes grands-parents. Et pas que du rock. On m’associe toujours aux Feral Cats, mon projet rockabilly, mais cela fait deux ans que je n’ai plus joué avec eux. Je suis trop occupé. »

En tout cas, on peut dire que Richard est très populaire auprès des musiciens pop. Il a joué dans Pulp avec son ami Jarvis Cocker. Il a chanté pour les Arctic Monkeys et Elbow, mais aussi Nancy Sinatra, avec laquelle il a tourné en 2005. Il a même passé un casting pour faire partie du premier groupe live de Morrissey : « J’ai toujours vécu dans la solitude, même gamin. J’observe. Je suis définitivement un désaxé. Ma musique n’est pas à la mode. Je suis heureux de pouvoir continuer à faire ma musique. Je ne sais rien faire d’autre. La musique, c’est que douze notes mais les possibilités sont infinies, je ne veux pas faire qu’un seul type de musique. Quand on me demande, j’en profite donc. Shirley Bassey aussi m’a demandé de chanter avec elle. J’ai de la chance. Mais ça ne m’intéresse pas d’être une star. Quand j’étais teenager, j’étais un grand fan d’Echo & the Bunnymen et de musique indé. Mais j’ai aussi grandi avec la musique ancienne qu’écoutaient mes parents. »

Truelove’s gutter, le titre de l’album, mérite une petite explication : « Truelove’s gutter aurait dû être un film. Je me suis toujours intéressé à l’histoire de ma ville. Avec un ami, on regardait de vieux journaux locaux pour trouver un titre à l’album. Truelove’s gutter était le nom d’une rue et d’un endroit dans les années 1750. Venant d’un homme s’appelant Thomas Truelove. Il a créé des égouts pour les ordures que les gens avaient l’habitude de jeter dans la rivière. J’aimais le rapprochement et le contraste de ces deux mots truelove (grand amour) et gutter (caniveau). C’est tout simple. Et puis j’utilise aussi de vieux instruments, comme un harmonica de verre inventé par Benjamin Franklin en 1750, au même moment que l’histoire de Truelove. »

Il y a un mot que Richard n’aime pas, surtout si on s’en sert pour le définir, c’est crooner : « Ça veut dire quoi ? Séduire les femmes ? Certaines de mes chansons parlent de la mort. Là est la différence. Je n’aime pas être mis dans une catégorie. Vous avez le droit d’être plus qu’une seule chose. Je suis libre de faire la musique que je veux. Mais avec la liberté vient la responsabilité. »

Richard a également une belle histoire d’acteur à raconter : « On m’a demandé, en 2007, de composer la musique du film Flick, de David Howard. Puis on m’a demandé d’y tenir un rôle de DJ à bord d’un bateau. J’ai une seule scène, seul avec Faye Dunaway. C’était incroyable, pour un début…

C’était bon. Enfin, je ne sais pas. Je n’ai plus eu d’offre depuis. »

THIERRY COLJON, À PARIS.

Truelove’s gutter

Après Coles corner et Lady’s bridge, qui étaient déjà deux grands disques, Richard Hawley parvient encore à renouveler son style, avec des mélodies d’une pureté et d’une beauté éblouissantes. À cela s’ajoutent des sonorités originales et des orchestrations d’une délicatesse inouïe. Tout dans ce disque est doux et beau. Triste et sombre. Une vraie merveille ! Mute-EMI.


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