Coup de soleil de l’été 2006, Corinne Bailey-Rae ne nous revient qu’en ce début 2010. Deuxième album, dédié à son défunt mari…
La belle Corinne Bailey-Rae nous est apparue, tel un pétale de rose, au printemps 2006, lors d’un show-case au Beurscafé et d’une interview dont on mit longtemps à se remettre. Son disque entrait dans les charts anglais au mois de juin. Tout de suite à la première place. Le titre « Like a star » et sa sweet et sexy soul music ont apporté tout l’été un vent de fraîcheur qui a soufflé des deux côtés de l’Atlantique. Un an plus tard, à la fin d’une longue tournée triomphale, Corinne avait vendu quatre millions de son album. Après le démon Amy Winehouse, la soul anglaise avait trouvé son ange.
Très discrète, mariée depuis 2001 au saxophoniste Jason Rae – qui apparaît sur son disque et fait partie de son groupe –, Corinne, fille aînée d’une mère anglaise et d’un père caribéen, tient à rester à Leeds où elle a toujours vécu. Loin du showbiz et des paparazzis. Voici ce qu’elle nous dit à ce propos lorsque nous l’avons retrouvée dans sa chambre d’hôtel parisien : « Je tiens à me tenir le plus éloignée possible de tout ça. Le concept de célébrité ne m’a jamais intéressée. Je ne tiens pas à me retrouver tous les jours dans le journal. Je plains celles qui ont droit à leur feuilleton quotidien. Je déteste me sentir observée. En plus, j’aime vivre près de la nature. »
Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Elle se met à écrire de nouvelles chansons – à commencer par « The sea » qui évoque la mémoire de son grand-père, mort dans le naufrage de son bateau –, quand son monde s’effondre le 22 mars 2008 : son mari Jason est retrouvé mort d’une overdose de méthadone (il se soignait d’une addiction à l’héroïne) et d’alcool. Durant un an, Corinne ne sortira pas de chez elle, incapable de faire quoi que ce soit : « Mon écriture est tellement personnelle que je ne me sentais pas la force ni l’énergie de m’y remettre. Je ne me sentais pas le courage de sortir, de voir les gens. Je n’écoutais plus de musique, ne regardais pas la télévision. Je n’avais plus aucune idée. Et puis, ça m’est revenu. J’ai tout doucement repris plaisir à prendre ma guitare et à écrire des chansons. Ça m’a aidé à communiquer mes émotions. Il fallait que ça sorte. »
Il n’est dès lors pas étonnant que ce deuxième album, intitulé The sea, soit très différent du premier, avec un ton plus grave que le premier. Un vrai disque de soul et de blues qui est son Black album à elle : « Ce disque est également très différent dans la mesure où il n’a pas été réalisé dans les mêmes conditions que le premier pour lequel je ne connaissais même pas tous les compositeurs. Ici, je tenais à le réaliser moi-même, avec ceux qui m’entourent. Et en même temps, ce premier disque me ressemblait. Je l’aime toujours beaucoup. Il m’a permis de me faire connaître, il a eu beaucoup de succès. Le fait d’avoir tant joué live accentue aussi la différence entre les deux disques, indépendamment de ce que j’ai pu vivre ces dernières années.
En 2007, je n’avais aucune idée de ce que serait l’album. La seule chose que je savais était que je voulais d’un disque à la sonorité plus chaude encore. Je voulais un esprit live pour mes chansons mais je n’avais aucun concept en tête. Les chansons sont venues petit à petit comme des accidents. Ce n’était pas mon intention de faire un album noir ou dépressif. Quand je le réécoute aujourd’hui, j’entends beaucoup de lumière et d’espoir dans ces chansons. Les émotions sont assez variées, finalement. En tout cas, c’est un album honnête. Je ne prétends rien. Ce qui m’est arrivé est toujours présent. Je ne cherche pas à effacer le passé. Il est là. Je n’oublie rien. J’y pense tout le temps. Chanter ces émotions, ces souvenirs est une forme d’honnêteté pour moi. Je chante ce que je suis. Je prends beaucoup de plaisir à être moi-même sur scène. »
THIERRY COLJON
The sea
Gainsbourg a dit qu’un ciel bleu, sans nuages, est toujours moins intéressant à photographier. Il en va de même pour ce nouvel album de Corinne Bailey-Rae, marqué par le deuil et la souffrance. Aux sonorités chaudes d’une soul acoustique boisée, et aux sujets d’une gravité jamais déprimante, Corinne ajoute une voix différente, plus grave que sur son précédent album. Ce disque est touchant et émouvant. Et Corinne ne perd rien de sa sensualité à fleur de peau.