Souchon sachant chanter reste chanteur

Alain ne change pas. Toujours cet air de ne pas y toucher, de ne faire que passer, comme le temps qu’il chante si bien. La sortie de son double album live « Alain Souchon est chanteur » nous donne l’occasion de discuter avec lui de tout et de rien. Nous l’avions rencontré avant sa venue aux Francofolies de Spa.

En quoi cette tournée est différente de la précédente ?

Elle l’est car pour la précédente, j’étais plus dans une routine, avec des musiciens que je connaissais très bien. J’ai changé de groupe, à l’exception du guitariste Michel-Yves Kochmann qui travaille avec moi depuis longtemps. Ça donne un sang neuf, ces gens de 30 ans, plus enthousiastes, qui sont heureux de jouer des morceaux qui leur rappellent des souvenirs de leur enfance. C’est un vrai groupe, avec une cohésion. Ils sont heureux et moi aussi.

Alain Souchon est chanteur, dit l’affiche…

C’est une affirmation. Ma vie est tellement différente quand je fais mes chansons, dans ma chambre, avec mon papier, à l’écart du monde. Je me concentre, je fais attention, je marche, je me balade. Sans emploi du temps. Je suis tranquille. Je gratte ma guitare puis je vais en studio, je suis enfermé. Quand tout est fini et enregistré, d’un seul coup, je deviens chanteur. Je m’achète un beau costume et je vais sur la scène, Je vais me montrer. J’aime bien aussi. C’est tellement différent du reste.

La vie en tournée, ça reste un plaisir ?

Quand je fais de la scène, c’est pour présenter de nouvelles chansons. J’aime ce rite. Ça va avec. Aujourd’hui, c’est vrai que les albums se vendent moins, c’est un autre monde. Pendant quarante ans, la scène était un complément de disques que les gens achetaient. Maintenant, c’est devenu la chose principale. Mais j’aime la différence entre mes deux vies. La vie en tournée, je n’aime pas tellement mais on se laisse porter par une espèce de fleuve tranquille, où tout est organisé. C’est agréable d’être pris en main comme ça.

Et la tournée inclut même les festivals d’été, comme les Francofolies de La Rochelle et de Spa.

Je serai là, oui. Les spectacles en plein air, au départ j’avais dit que je ne voulais pas en faire car j’aime la magie des rideaux, des silences… En plein air, c’est la fête, la foire, les gens sont debout, mangent des sandwichs… C’est tout à fait différent. On a insisté beaucoup et finalement, ça me plaît de faire ça.

Chanteur mais plus acteur ?

Il y a eu une période de ma vie où on m’a proposé de faire du cinéma. J’ai donc fait cinq, six films. J’ai trouvé que ce n’était pas mon métier. Je n’étais pas tellement satisfait. Je ne brûlais pas du feu des acteurs. Je n’étais pas un acteur qui avait du plaisir à faire son métier. Ce que j’aimais, c’était faire partie d’une équipe. Rencontrer un réalisateur, des acteurs, des Jean-Louis Trintignant, des Isabelle Adjani. J’ai trouvé ça merveilleux mais je ne suis pas un acteur. Dutronc l’est. pas moi. Quand j’ai décidé d’arrêter, tout le monde l’a su. Donc on ne me propose plus rien maintenant. C’est un choix de vie.

Par contre, on attend avec impatience cet album en duo avec Laurent, genre Everly Brothers ou Simon & Garfunkel, en français…

On n’aurait pas dû en parler car moi, j’ai beaucoup de mal à écrire les textes. C’est difficile. On a fait quatre chansons. Laurent est aussi en train de faire un album pour lui tout seul. Un album de recherches, assez compliqué, assez beau. Il tourne avec les Nights of the Proms en ce moment. Moi, pendant ce temps-là, je vais y réfléchir. Mais j’ai du mal. Lui pas, il a des musiques à n’en plus finir. Pour écrire de quoi chanter à deux, ça me bloque. Mais je vais y arriver… Ça nous plaît de chanter à deux voix des reprises, comme il nous arrive de le faire sur scène mais les créer, c’est autre chose.

Et puis il y a toujours le plaisir de travailler avec votre fils Pierre…

Oui, il vient de faire un bel album, là. Il est bien écrit puis il a le sens des mélodies qui restent dans la tête. On aime jouer ensemble car ça enlève les barrières père-fils. D’un seul coup, on devient deux musiciens, deux fabricants de chansons qui échangent des idées et c’est très agréable pour nous deux. Je le vois moins que lorsqu’il était petit car il a sa carrière et sa vie. Les chansons, c’est aussi un prétexte pour le voir. C’est pareil avec mon ami David McNeil qui écrit ses bouquins. Et en même temps, quand je cale, je suis bien content qu’ils viennent m’aider.

Ecrire une grande chanson est-il plus difficile au fil des ans ?

Oui car on est plus exigeant avec soi-même. Ce n’est jamais simple même si moi, j’aime quand ça coule, que ça donne l’impression que c’est facile alors que ce ne l’est pas, que c’est beaucoup de travail. Gainsbourg disait qu’il écrivait en cinq minutes mais c’était une coquetterie, il y réfléchissait beaucoup. Comme on ne veut jamais se répéter ni décevoir son public, c’est de plus en plus difficile. Mais j’aime bien cet exercice, faire des chansons.

Vendre 350.000 albums, ça reste remarquable aujourd’hui…

Oui, j’ai de la chance car les gens de mon âge ont encore des chaînes dans le salon pour écouter des CD. Les jeunes sont sur internet. Moi, j’aimais fouiner quand j’étais enfant, acheter le dernier disque de Jacques Brel. J’économisais pour ça. Je découvrais des chansons qu’on n’entendait pas à la radio, comme « Une île ». C’était ma chanson à moi, personnelle. Je découvrais la pochette, tout ça. Les jeunes s’en fichent un peu maintenant.

Au lendemain de sa mort, les disques de Jean Ferrat se vendent à nouveau…

Il y a une curiosité vis-à-vis d’un homme engagé, qui a eu une belle carrière. La télévision en a parlé. Il avait un beau regard. Je l’ai beaucoup écouté (NDLR : Alain se met à chanter « Aimer à perdre la raison »). Il avait une belle voix.

Aujourd’hui, on ne chante plus trop les grands poètes : Aragon, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud…

C’est vrai, à l’époque de Brassens, Ferré, Ferrat…, on faisait ça. Maintenant, ça ne se fait plus trop. Moi, je l’ai fait avec un poème d’Aragon qui s’appelle « Guitare » parce que ça me rappelle des souvenirs de ces gens-là mais je sais que ce n’est pas extraordinaire, ce que j’ai fait. Il y a une espèce de timidité par rapport à ça, je pense, aujourd’hui. Et la musique beaucoup plus rythmique maintenant qu’elle n’était dans les années 50-60, ne se prête pas tellement à la métrique des vers de douze pieds d’Aragon, très réguliers, très beaux, très chantants d’eux-mêmes.

On se sent écrasé, comme Charlotte Gainsbourg vis-à-vis de son père ?

Bien sûr. Elle est proche de la perfection des chansons de Serge. Ce doit être difficile pour elle car il y a une comparaison. Mais elle est tellement charmante à voir et entendre chanter en anglais qu’on est ravis.

Dans les jeunes, y en a-t-il beaucoup d’autres que vous aimez ?

Oh oui, il y a Mathieu Boogaerts, Vincent Delerm, le petit Renan Luce qui fait des choses charmantes. Si on me dit que je les ai influencés, ça me flatte bien sûr. Ça me touche. Moi, j’ai essayé de m’appliquer à faire des chansons convenables.

Vous aimeriez que vos textes soient publiés comme des poèmes ?

Ils ne sont pas faits pour ça mais bien pour aller avec la musique. Mais c’est marrant de lire des textes pour voir comment c’est fait. On s’aperçoit ainsi que beaucoup de textes d’auteurs-compositeurs, comme Jean-Jacques Goldman ou Bernard Lavilliers, sont très bien écrits. C’est rigoureux, bien foutu. Alors qu’on ne s’en rend pas toujours compte quand on les entend.

« Rame » qui clôt le concert, et donc le CD, reste un grand moment d’émotion, avec ce canon à plusieurs voix…

Ça vient de la musique qui est prenante comme tous ces canons à plusieurs voix qui résonnent dans la tête. C’est ce que j’aime. Avec Laurent, chanter à deux voix, c’est d’une beauté. Même une chanson simple comme « Frère Jacques », c’est beau. Ça fait vibrer l’air. C’est tout le système des Fugues de Jean-Sébastien Bach. Ça fait des canons merveilleux. J’aime beaucoup la musique classique. C’est émouvant de penser à ces gens – Mozart, Chopin… – qui ont laissé une telle trace, alors qu’ils sont morts si jeunes. Ils ont atteint une sorte d’éternité, c’est incroyable alors qu’ils n’ont pas profité de la vie, leur passage sur Terre fut pénible. Les Beatles, ce sera ça aussi, je pense. Ces gens ont été fulgurants !

Le plus dur, pour un chanteur, est de durer…

Oui mais il n’y a pas de secret. On ne le fait pas exprès. Ça se passe comme ça, c’est merveilleux. Moi, je me sens privilégié et béni. Je dis merci. Mais rien n’est acquis. C’est une aventure à chaque fois. On a peur chaque fois qu’on fait un album, on se demande si on sera à la hauteur de ce que les gens attendent de vous. On s’inquiète. Jusqu’ici, ça s’est toujours bien passé mais on verra la suite… Je cite toujours le cas de Françoise Sagan qui a écrit des pièces qui n’ont pas marché. Ça blesse profondément, à ce moment-là. C’est chaque fois un risque. Mais si on ne fait plus rien, on a l’impression de mourir. Donc, c’est une façon d’échapper à cette chose qui ne nous plaît pas. La chanson me nourrit, c’est ma vie. Je me dis : j’ai de la chance de coïncider avec les gens, comme ça. Je me sens responsable de tout ça. Je ne dois pas tout gâcher. Il faut être un peu sérieux. Et dans la mesure où j’ai encore du plaisir à le faire, et la santé, je continue.

Propos recueillis par Thierry Coljon


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