Les banlieues au pouvoir avec Arcade Fire

27_arcade.jpg Entretien exclusif, à Montréal, avec Régine Chassagne, d’Arcade Fire. Le groupe publie, début août, un troisième album : « The suburbs ».

Rendez-vous est fixé rue Ontario Est, non loin du Quartier Latin. C’est là que se trouve le bureau montréalais du management anglais d’Arcade Fire. On est donc plutôt étonné de tomber sur un immeuble industriel qu’on dirait à l’abandon. Aucun nom sur la sonnette. On monte au quatrième étage pour tomber sur un loft qui ne ressemble guère à un bureau. Régine Chassagne, qui a fondé au début des années 2000 le groupe Arcade Fire avec Win Butler, rencontré à l’Université McGill et qu’elle a épousé en 2003, arrive tout sourire. Heureuse de parler d’un album dans lequel elle s’est beaucoup investie.

Quel état d’esprit était le vôtre quand vous avez commencé à travailler sur ce troisième album. Différent de celui qui a engendré « Neon Bible », sans doute…

Oui, c’est autre chose. Quand on est revenus de la tournée Neon Bible, on a pris du temps pour se reposer, retrouver la maison, nos petites habitudes. On a commencé tout naturellement à rejouer de la musique, car ça fait partie de notre vie. Avec les autres membres, on est tous des amis, donc ils passent souvent à la maison. On jouait des petites choses qu’avec Win, on avait faites la veille. Ça s’est développé naturellement. En tournée, c’est difficile d’écrire. On a donc commencé il y a deux ans…
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Au départ, c’est donc bien Win et vous qui initiez les morceaux ?

Oui, on est toujours ensemble. Même si on travaille chacun de notre côté, comme on vit dans la même maison, j’entends ce qu’il fait au piano, je lui dis ce que je pense, et inversement. C’est vrai qu’on est inséparables. On travaille comme ça jusqu’à ce que la structure du morceau soit solide, puis on le fait écouter aux autres. Il faut un squelette, une certaine direction. Puis, on le joue avec nos amis.

Pour résumer en un mot le thème des albums, on peut dire que « Funeral », c’était la perte (d’un être cher) et « Neon Bible », la peur. Pour « The suburbs », ce serait quoi ?

C’est plus une connexion de sentiments relatifs à la banlieue. Win et moi avons grandi en banlieue. Lui au Texas et moi au Québec. Même si c’était différent, on pouvait y trouver des aspects communs.

En France, le terme « banlieue » a une connotation très péjorative. Ce n’est pas le cas à Montréal, ni à Bruxelles d’ailleurs…

Oui, je sais, la presse française n’arrête pas de nous parler d’endroits terribles, alors que dans notre esprit, ce n’est pas ça, la banlieue. Pour nous, c’est plus un sentiment d’ennui, surtout vers l’adolescence, vis-à-vis d’une ville morte le soir. Il n’y a rien à faire. Du coup, on cherche la vie le long de ces boulevards déserts qui n’en finissent plus. La banlieue n’est pas belle mais il y a tout de même des histoires d’amour qui y naissent. Pour nous, la banlieue, c’est ni positif ni négatif. C’est ce que c’est. On ne peut pas changer l’endroit d’où on vient.

Là où vous vivez aujourd’hui, à Longueuil, au sud de Montréal, c’est une banlieue plutôt calme, non ?

Oui, tout à fait. Il n’y a pas de voiture en feu. C’est un quartier populaire.

Ce thème de la banlieue vous a inspiré un album très lumineux, moins sombre que les précédents. Le genre d’album bourré d’énergie, qui vous met de bonne humeur de bon matin, qui vous donne la pêche…

Ah, youpi ! J’adore entendre ça. Même si certains sujets peuvent être graves, voire ternes ou mornes. Il y a quand même un certain espoir. Beaucoup de rêveries et de moments perdus à se demander ce qu’on fait.

Vous parlez d’une « City without children »… Vous n’en avez pas encore…

Ça décrit un environnement aseptisé, où tout est parfait, bien rangé. Avec Win, on n’a pas encore d’enfant mais ce sera pour plus tard. C’est dans les plans…

Vous parvenez à mener tous les deux une vie normale, banlieusarde, très détachée du succès mondial d’Arcade Fire…

Moi, je n’y pense pas du tout. J’aime chercher, travailler, donner, avancer. Je ne monte pas sur scène pour recevoir mais pour donner. Je n’ai jamais senti la pression de Funeral, comme certains le disaient. Je ne peux rien y faire de ce que les gens vont dire d’un disque. L’important est de faire les chansons du mieux que je peux. Ensuite, advienne que pourra. Une chanson peut être mal perçue le moment même et ressusciter cinq ou dix ans plus tard.

Owen et Richard ont maintenant leur propre carrière en parallèle à Arcade Fire dont le tronc, c’est vraiment vous deux ?

Le groupe ne serait pas pareil sans tous ses membres. Chacun apporte quelque chose. Qu’on soit nombreux n’apporte pas une difficulté supplémentaire. Peut-être parce qu’on est de bons amis au départ. On est chanceux sans doute. On est tous très proches encore aujourd’hui. Ce n’est pas une relation de travail. On vit ensemble, on s’appelle pour aller boire un café ou manger un bout, sans qu’il soit question de travail ou même de musique.

Votre lieu de travail, c’est The Church, l’église que vous avez achetée à Farnham, à trois quarts d’heure d’ici…

On va là-bas de temps en temps. On y est moins allés que pour Neon Bible. Cette fois, on y allait pour quelques jours. On a enregistré un peu partout cette fois : à la maison, chez les amis, un peu à New York, juste pour sortir.

Pourquoi avoir commencé par la tournée, avant de sortir le disque ?

On aime toujours faire d’abord de petits concerts pour retrouver les gens. Puis, les festivals. On est pressés de jouer les chansons sur scène. Pour nous, certaines sont vieilles d’au moins deux ans. Moi, j’ai une liste de 50 autres chansons. On aurait pu facilement faire un double album. On a gardé celles qui faisaient partie d’un même univers.

Le seul défaut de cet album est qu’il n’y a pas de chanson en français, cette fois-ci…

Ah, oui… Je sais que ça vous manque. Mais je suis en train de travailler sur quelque chose. Je ne peux pas en dire plus maintenant. Ce n’est encore qu’un fantasme.

« Spraw II », que vous chantez, est superbe. C’est votre chanson ?

Les deux. Win et moi, on s’échange souvent nos bouts de texte que l’autre complète. J’écris par-dessus ce qu’il fait et inversement. Il n’y a aucun ego là-dedans.

Et « Month of May », qui déménage un max, n’a rien à voir avec la violence de Mai 68…

Non, pas du tout. Ici, à Montréal, le mois de mai, c’est quelque chose, tellement la fin de l’hiver est pénible, quand tout est gris, la neige qui fond. En mai, les gens sont fébriles, ils s’habillent de couleur, il y a de grosses bourrasques de vent. C’est à la fois violent et joyeux. À l’image du morceau… On retrouve également, dans « Ready to start », cette idée de nouveau départ, de renaissance.

Comment une fille d’Haïtiens se retrouve dans un groupe anglophone comme Arcade Fire ?

Mes parents sont nés à Haïti et ont fui la dictature haïtienne. J’ai fait toutes mes études à Montréal en français mais je voulais apprendre l’anglais. J’aime me fixer des défis. J’ai donc fait mon bac en anglais. J’ai toujours été attirée par la musique. A 4 ans, la musique m’obsédait déjà. Mais je n’ai jamais aimé les cours. Je jouais chez moi du matin au soir ce que j’entendais à la télé, les pubs, les génériques, ou à la radio… Je répétais ça sur mon petit piano. Je n’ai jamais vraiment cherché à être dans un groupe de rock. J’écoutais beaucoup les disques de ma grand-mère qui adorait Jacques Brel. C’est un de mes préférés. Mon premier CD, je l’ai eu à 18 ans. Je viens d’un milieu modeste et comme je voulais aider mes parents, j’ai étudié la communication. J’ai fini mon bac. J’ai aussi été engagée pour donner des cours de musique, alors que je n’avais pas de diplôme. Je me suis dès lors inscrite en musique à l’Université McGill où, la deuxième année, j’ai rencontré Win. Et là, je n’ai pas terminé mes études.

Win était plus rock. Il ne connaissait pas Brel et la musique classique. Arcade Fire est donc le mariage de deux univers musicaux très différents…

Oui, et en plus, il est très curieux. Chez nous, il y a plein d’instruments. Tous les sons qu’on entend sur le disque, ça vient de nous. Markus (Markus Draws, producteur du précédent album, de Björk, de Coldplay…, NDLR) est un ami. On s’entend bien. On est à l’aise avec lui. Mais Arcade Fire est un groupe de producteurs quasiment. On fait nous-mêmes nos arrangements.

Vous devez donc avoir beaucoup d’idées. Arrive un moment où il faut trancher. C’est Win qui décide in fine ?

C’est nous. C’est le groupe. On discute entre nous. Je ne pourrais pas dormir sinon. Je me lèverais en pleine nuit pour changer un détail.

Peter Gabriel a repris « My body is a cage » que Jeanne Cherhal a traduit en français. Et Renée Fleming, votre « Intervention ». Ça fait plaisir, non ? Comme votre invitation à la Maison-Blanche pour l’investiture de Barack Obama…

Je suis contente que nos morceaux puissent en inspirer d’autres. Obama, je lui ai même serré la main. C’était un concert pour le staff. Je ne pense pas que c’était son choix. Mais ça m’a fait quelque chose tout de même.

Propos recueillis parThierry Coljon à Montréal

 The Suburbs – ****

Arcade Fire est bien le plus grand groupe rock actuel. En soi, ce n’est pas une nouvelle. On le savait déjà avec les deux premiers albums. Mais voilà la plus brillante confirmation qui soit. The suburbs, débarrassé des noirceurs du passé, n’est pas vidé de la sève propre au groupe : cette fulgurance, dotée cette fois d’une luminosité, d’un sens de la décontraction qui n’oublie pas l’humour et les sonorités 80’s (le Talk Talk de « Modern man », le Big Country de « Rococo », l’Ultravox de « Spraw II »). Des parfums qu’Arcade Fire digère totalement pour livrer sa propre partition, foncièrement rock car à la fois tendre et déchaînée.

Universal. Sortie le 2 août.


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4 Comments

  1. Le Soir

    28 juillet 2010 à 15 h 04 min

    Info lue sur Pixbear ce mercredi : Arcade Fire donnera le 5 août un concert au Madison Square Garden à New-York, qui sera retransmis en direct sur Youtube, et réalisé par Terry Gilliam. Trailer ci-dessus. Cette retransmission, dans le cadre du projet Unstaged pilotée par American Express, ne sera semble-t-il pas disponible en Belgique.

  2. Rikaï Zaza

    28 juillet 2010 à 19 h 36 min

    Cette retransmission, dans le cadre du projet Unstaged pilotée par American Express, ne sera semble-t-il pas disponible en Belgique

    Une bonne âme américaine s’occupera bien de capter le concert pour le balancer sur la toile par la suite 😀

  3. Chasseur Immobilier Toulouse

    2 août 2010 à 15 h 35 min

    Inspiré du style musical des années 80 cet opus pop rock est très réussi !

  4. Le Soir

    4 août 2010 à 11 h 57 min

    Oui, Zaza, sauf qu’a posteriori, ça risque d’être moins intéressant, puisque le dispositif annoncé – possibilité pour l’internaute de choisir son angle de caméra pendant le concert – risque franchement d’être moins intéressant a posteriori.

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