Attention, disque dangereux ! Avec « Master », les Gantois de Drums Are For Parades (DAFP) signent un brulôt stoner-noise d’une implacable magnitude : au moins 9 sur l’échelle rock de Richter. A part l’abri antisismique, reste donc une seule alternative : appuyez sur la touche “Play” et profiter de l’orage thermique, de ses riffs-éclairs qui tancent nos tympans et lézardent le ciel. Alors entrez dans la parade et faites le blind test : ça fait du bien par où ça casse.
BARKMARKET, « Visible Cow » (de l’album « L. Ron », 1996)
[youtube LdM3hcz0ao4]
Piet Dierickx (batterie, voix) : (après trois secondes) « Visible Cow » de Barkmarket ! Ca c’est du son ! Grand groupe.
Vous auriez aimé bosser avec Chris Goss (Kyuss, QOTSA, le premier Soulwax,…) pour ce premier album, mais ça n’a pas pu se faire… Pourquoi ne pas avoir pensé à Dave Sardy (leader de Barkmarket et producteur, entre autres, de « Boogie Children-R-US » d’Evil Superstars et de « Much Against Everyone’s Advice » de Soulwax – deux classiques de l’indie rock belge des années 90) ?
Piet Dierickx : Bien sûr qu’on y a pensé ! Il est juste trop cher pour nous !
Wim Reygaert (guitare, voix) : C’est clair que quand tu vois son CV (Johnny Cash, Marilyn Manson, Jay Z, LCD Soundsystem, NIN, Oasis, RATM, RHCP, Slayer, Supergrass,…, ndr), y a pas photo… Mais pour nous c’était important de trouver quelqu’un qui connaisse notre son et notre histoire, et c’est pour ça qu’on a demandé à Niek (Meul, ndr) et Reinhard (Vanbergen, tous deux de Das Pop, ndr).
Piet Dierickx : On les connaît depuis longtemps : Nick avait déjà produit notre EP (« Artificial Sacrificial Darkness in the Temple of the Damned », sorti il y a deux ans en vinyle, à 300 exemplaires, ndr). Pour nous c’est devenu naturel de bosser avec eux.
Wim Reygaert : Et franchement c’était la meilleure façon de procéder, parce qu’avec eux on reste entre potes, et on peut dire ce qu’on pense. Si on avait bossé avec Dave Sardy ou Chris Goss, on aurait sans doute moins fait les malins, c’est clair ! (rires)
C’est marrant parce qu’on a l’impression que Das Pop est un groupe pop bien propret…
Wim Reygaert : (sérieux) C’est le groupe le plus rock’n’roll de Belgique, mec ! Ils vivent le truc à fond ! Et ils sont super ouverts d’esprit : ils écoutent énormément de musique, dans tous les styles… C’est l’« Agence tous risques » de la pop belge, en fait : il leur manque juste un gros black musclé ! (rires) Ils ont chacun leur spécialité… Pour nous c’était donc le meilleur choix à faire.
MELVINS, « Eye Flys » (du premier album, « Gluey Porch Treatments », 1987)
[youtube oLko4TmJkUQ]
Piet Dierickx : (dès qu’on entend la caisse claire) Les Melvins !
Wim Reygaert : Harvey Milk ?
Piet Dierickx : Non, les Melvins ! Je les ai reconnus avec la reverb’ sur la caisse claire ! Mais je sais pas de quel titre il s’agit ! (rires)
C’est « Eye Flys »…
Wim Reygaert : Je ne connais pas non plus ce morceau, mais je suis si fier de Piet ! (ils rient de bon cœur, c’est beau)
Vous avez déjà donné quelques concerts avec un deuxième batteur (Matt Eccles de Das Pop), un peu comme les Melvins (dernière mouture). Peut-on s’attendre à vous revoir dans cette configuration ?
Piet Dierickx : Le problème qui se pose avec deux batteurs, c’est qu’il faut répéter tout le temps si tu veux que ça ressemble à quelque chose, et donc c’est beaucoup de boulot… De toute façon Matt joue à temps plein avec Das Pop, et on ne trouve pas que deux batteries soient vraiment nécessaires. C’est amusant de temps en temps, point barre. Et puis à trois notre musique est bien plus agressive !
Ok, morceau suivant.
Piet Dierickx : Je vais essayer de le reconnaître rien qu’à la caisse claire ! (rires)
Wim Reygaert : J’espère que tu vas nous mettre un petit « One » de Swedish House Mafia !
Piet Dierickx : Ah ouais ça serait bien cool.
(Eh bien non, mais voici leur cover : http://www.stubru.be/programmas/select/drumsareforparadescovertswedishhousemafia)
ELECTRIC WIZARD, « Funeralopolis » (de l’album « Dopethrone, 2000)
[youtube sO7VP34n2Ps&p]
Piet Dierickx : C’est un enregistrement live ? Sleep ? Je connais ce truc !
Wim Reygaert : En tout cas le bassiste joue comme une merde… C’est nous bourrés ou quoi ? (rires) High on Fire ?
Piet Dierickx : Harvey Milk ?
Wim Reygaert : Part Chimp ?
C’est Electric Wizard, le fameux groupe doom/sludge/stoner !
Pieter Dierickx : Mais ouais évidemment ! En plus je l’ai, ce disque !
Wim Reygaert : Ok, raté. Je pensais que c’était Black Sabbath.
Ca vous parle, ce genre de metal lourd et lent ?
Wim Reygaert : Moi ça m’emmerde assez rapidement, je dois dire. Si j’étais à un barbecue entouré de filles à poil, complètement défoncé, ce genre de truc pourrait bien m’exciter, mais là comme ça, à froid, je trouve juste ça chiant… Mais j’aime beaucoup le son, cela dit ! On a joué avec eux en Suisse et la puissance qu’ils dégagent sur scène nous a quand même bien scotchés… Mais l’écouter chez moi tranquille, non : je préfère les trucs avec plus de rythme.
Piet Dierickx : Il aime la musique rapide !
Wilm Reygaert : Ouais. J’aime bien des trucs comme Nile, Lamb of God,… Quand les doigts saignent sur la guitare ! J’aime la puissance et le son de ce truc-ci, mais j’aime aussi l’énergie du metal… Le problème avec la plupart des albums metal, c’est qu’ils sonnent trop « clean », trop « light » : vu qu’ils jouent super vite, ça ne laisse aucune place à des trucs plus lourds et plus pesants… Et c’est là qu’on intervient ! (rires) Avec DAFP on essaie de combiner ces deux approches : la puissance ET le rythme.
Passons à quelque chose de plus rapide, alors !
BLACK FLAG, « My War » (de l’album « My War », 1984)
[youtube 52scMVXF2mc]
Wim Reygaert : Mais c’est du punk ! (rire goguenard) Bad Brains ? Mon Dieu ce que c’est moche !
Faudra le dire à Henry Rollins ! C’est Black Flag.
Wim Reygaert : Je n’ai jamais écouté.
Piet Dierickx : Je n’ai aucun album de Black Flag… Grossière erreur ! (rires)
Wim Reygaert : En tout cas ça prouve bien qu’on n’a jamais été fans de punk ! Au risque de paraître arrogant, je trouve que c’est une musique parfois un peu simpliste, et moi les messages politiques, c’est pas trop mon truc.
C’est quoi votre message à vous ?
Wim Reygaert : Restez libres !
Piet Dierickx : Amusez-vous !
Wim Reygaert : Profitez de la vie ! Parce que le temps passe vite. Y a rien de plus basique, comme message… Comme disait Aleister Crowley : « Do what thou wilt shall be the whole of the Law » ! (d’où ce titre sur l’album, « The Law », ndr)
Piet Dierickx : C’est vraiment ça l’idée : se lâcher. Nos concerts se veulent une sorte d’exutoire...
Et parlons-en, de vos concerts… Qui sont dévastateurs ! L’aspect live de votre musique est-il vraiment primordial ?
Piet Dierickx : C’est clair ! C’est sur scène que tout a commencé, parce que c’est là que tu peux vraiment communiquer toute ton énergie au public.
Wim Reygaert : C’est comme regarder une cascade : c’est juste un paquet d’eau qui tombe, mais tu ne peux t’empêcher d’être impressionné par toute cette force et cette violence. J’aime bien comparer nos concerts à cette image : tu les prends dans la tronche et ça fait fait un bien fou. C’est comme un exorcisme.
Spéciale dédicace à votre côté obscur, justement, avec le morceau suivant :
BURZUM, « Jesus’ Tod » (de l’album « Filosofem », 1993)
[youtube 3wqVA66qTNc]
Piet Dierickx : Aucune idée…
Wim Reygaert : Sunn O))) ?
Un indice : True Norwegian Black Metal.
Wim Reygaert : Burzum !
Piet Dierickx : Je n’ai jamais entendu parler de ce truc !
Wim Reygaert : Le problème avec ce genre de types (en l’occurrence Varg Vikernes, condamné en 1994 à 21 ans de prison pour meurtre, en la personne d’Euronymous, du groupe Mayhem. Il a été libéré l’année dernière, ndr), c’est qu’ils se prennent vraiment trop au sérieux dans leur espèce de quête maléfique… Mais je n’ai aucun problème avec la musique – ça me parle, même : en un seul riff tu piges direct que ce mec n’est pas là pour rigoler. C’est ce qu’il fait, point barre, et même si j’ai du mal à comprendre ses actes et ses paroles, je trouve que sa musique est tout à fait respectable. Ok, bon, ces histoires de meurtres, c’est pas cool.
Piet Dierickx : Et ils brûlent des églises, merde !
Wim Reygaert : Ouais mais c’est parce que ces mecs sont des putain de vikings ! Cette violence, ça fait partie de leur culture.
Votre musique est assez violente et agressive, non ? Pour un public non averti.
Piet Dierickx : Ouais, c’est quelque chose qui est en nous : ça n’a rien de calculé, ce n’est pas une posture. C’est juste comme ça, en fait.
Wim Reygaert : Et en même temps je pense qu’il y a beaucoup d’humour dans notre musique… Et ça n’a rien de cynique : c’est plutôt l’absurdité de la vie qui nous intéresse. La colère que tu peux ressentir chez nous n’est que le reflet de notre environnement, de cette dualité entre le bien et le mal, l’amour et la haine. C’est très cliché de dire ça, mais c’est la vérité ! L’un n’existe pas sans l’autre… Ca n’a donc rien de négatif : encore une fois, c’est de l’ordre de la catharsis.
EVIL SUPERSTARS, « Gimme Animal Rights » (de l’album « Boogie Children-R-US », 1998)
[youtube s4wEC7perZw]
Piet Dierickx : (trois secondes) Evil Superstars ! Ca c’est cool.
L’un des meilleurs albums de rock belges de tous les temps, non ?
Piet Dierickx : Exactement.
Wim Reygaert : Et il l’est toujours. A l’époque, c’était vraiment une claque.
Eh quoi, la scène belge ?
Piet Dierickx : Ouais, quoi ? Où est-elle ? On n’en sait rien ! (rires)
Wim Reygaert : C’est clair qu’un type comme Mauro Pawlowski est un musicien vraiment intéressant, super ouvert d’esprit, qui a fait tellement de trucs…
En tout cas ça marche aussi pour vous ! Pour un groupe plutôt “dur”, vous connaissez déjà un beau succès d’estime…
Wim Reygaert : C’est cool d’attirer l’attention, mais notre but reste avant tout de faire ce qui nous plaît, sans aucune pression… Même si c’est clair qu’on aimerait encore davantage consolider notre position au sein de la scène belge.
Piet Dierickx : Laissons notre trace dans l’histoire du rock, tant qu’à faire ! (rires)
Wim Reygaert : Regarde les Melvins : voilà un groupe qui compte parmi les plus influents de ces vingt dernières années, et pourtant il ne passe jamais à la radio ! Et ils ont une énorme “fanbase”, qui les suit et achète leurs disques. C’est une source d’inspiration.
Allez, un autre groupe belge !
Wim Reygaert : Van Jets.
Piet Dierickx : Vandal X !
Wim Reygaert : Amen Ra ?
Piet Dierickx : Rise and Fall !
Wim Reygaert : dEUS ! (ça les fait bien marrer)
K-BRANDING, « Nubian Heat » (de l’album « Facial », 2009)
[youtube znJNa1eohnw]
Piet Dierickx : (attentif) Ca sonne bien !
Wim Reygaert : (interloqué) C’est excellent ! C’est Ultraphallus (quatuor liégeois de sludge-noise (rock, quoi) dont le troisième album (« Sowberry Hagan ») sort (en novembre) sur le label anglais Riot Season, ndr)
Pas loin.
Wim Reygaert : Ca sonne comme… GOD (groupe anglais de jazzcore-indus formé par Justin Broadrick (Napalm Death, Godflesh, Jesu) et Kevin Martin (Techno Animal, et plus récemment The Bug et King Midas Sound) au début des années 90, ndr). C’est trop fou ce truc, c’est quoi ?!?
K-Branding, un trio bruxellois qui a sorti l’année dernière son premier album « officiel » (« Facial ») sur Humpty Dumpty Records (Mièle, Carl, Françoiz Breut, Joy, Tangtype, Y.E.R.M.O.,…) .
Wim Reygaert : Vraiment ? C’est très bon.
C’est marrant parce qu’au moment où je vous ai dit « Un autre groupe… belge », vous avez tout de suite énuméré un tas de groupes… flamands. Vous connaissez donc ma prochaine question !
Piet Dierickx : Aha, ouais, je vois où tu veux en venir ! (rires) Franchement on ne ressent pas spécialement cette frontière… Sauf peut-être dans les médias : un groupe comme Ghinzu passe en boucle sur Pure FM, mais jamais sur Studio Brussel, parce que c’est un groupe wallon… Et c’est dommage. Mais on ne ressent pas ça quand on donne des concerts, que ce soit à Liège ou en Flandre.
Wim Reygaert : Je pense que si on arrêtait d’en parler, la question ne se poserait même plus ! Prends « The Pope of Dope » des Subs et des Party Harders (le hit dance de l’été, ndr) : c’est bien la preuve qu’on peut dépasser les clivages communautaires ! Le fait que ce soit devenu un tube montre bien que tout ça c’est juste un putain de cirque. Ok, on ne parle pas la même langue, et alors ? J’y connais pas grand chose en politique, mais les séparatistes sont juste des abrutis. On se croirait au Moyen Age !
C’est bête, j’ai pas de morceau de Ghinzu… Alors, heureux d’être invités à la « Nuit du Soir » ?
Piet Dierickx : C’est John Stargasm qui nous a demandé d’y jouer : paraît qu’il est fan de notre musique ! On l’ignorait, mais on l’en remercie.
Wim Reygaert : Je les ai vus une fois, avec Das Pop… Tu vois, c’est la preuve que des trucs peuvent se faire sans cordon sanitaire ! (rires)
Pour en revenir à K-Branding, j’ai choisi ce titre en référence à votre morceau « Idiot Check », où l’on entend du saxophone (Jorgen Munkeby, du groupe norvégien Shining)…
Wim Reygaert : C’est grâce à notre management qu’on est entré en contact avec eux… Au début on pensait faire appel à Peter Vermeersch de Flat Earth Society, mais on n’arrivait pas à le joindre, et donc on a demandé à Shining. On adore ce qu’ils font : c’est super extrême mais c’est fait avec tellement de passion et de professionnalisme… Ils sont très forts !
Vous écoutez du jazz ?
Wim Reygaert : Non, j’écoute plutôt des trucs comme Led Zeppelin ! En fait je les écoute depuis que je suis gosse… Si la musique devait se résumer à Led Zeppelin, eh ben ça m’irait plutôt bien, en fait !
Piet Dierickx : (taquin) T’as oublié Mastodon !
Et le lapin blanc (la cover de l’album) ?
Wim Reygaert : On aime les animaux parce qu’ils vivent selon leur instinct, et c’est ce que tout le monde devrait faire… Au lieu de ça on réfléchit toujours avec notre cerveau et notre portefeuille, et on laisse les sentiments de côté. C’est con à dire, mais l’animal qui est en nous se réveille seulement pour faire la guerre et tabasser son prochain. Les animaux ne perdent pas leur temps à se mettre sur la gueule pour le plaisir… Enfin si, y a les orques : ils s’amusent à tuer des phoques comme ça, sans raison ! C’est bien pour ça qu’on ne mettra jamais d’orque sur nos pochettes de disques ! (rires)
Mais comme l’écrit William Burroughs, les lapins ne « sont pas du tout malins. (…) Ils ne font que des tentatives stupides, galvaniques, pour se dégager de vos mains » (« The Cat Inside »). Ce sont des animaux craintifs.
Wim Reygaert : Pas tous. Certains d’entre eux peuvent être de sales raclures ! Et ce lapin-ci est un rescapé de laboratoire : c’est pour ça qu’il a un œil humain, tu vois ? On est tous des animaux !
Propos recueillis par Grégory Escouflaire
Drums Are For Parades, « Master » (Skeleton Ears/Pias)
Concerts :
19/10 STUK (Leuven)
20/10 NIJDROP (Opwijk)
29/10 4AD (Diksmuide) avec SHINING (Nor)
06/11 DE VELINX (Tongeren)
Cricorev
24 février 2011 à 21 h 30 min
Critique du concert de Drums Are For Parade à Bruxelles du 01/02/2011 à lire ici :
http://gigs.skynetblogs.be/archive/2011/01/29/drums-are-for-parade-01-02-2011-ancienne-belgique-bruxelles.html