« 101 », le doux polar de Keren Ann

Keren Ann Zeidel publie son sixième album, « 101 ». Rencontre avec une chanteuse passionnante vivant entre Paris et Tel-Aviv.

Keren Ann n’a pas changé, elle a grandi, tout simplement. Elle s’est multipliée aussi. Non, la coiffure exhibée en pochette et pour la promotion de son nouvel album, 101, ne doit rien à Mireille Mathieu mais bien à Linda Thorson, Tara King dans The Avengers (Chapeau melon et bottes de cuir). Quand nous la retrouvons, dans le salon de l’hôtel bruxellois où elle est descendue, ses cheveux sont bruns et longs, son sourire est le même, l’éclat de ses yeux aussi. Comme on l’avait laissée il y a près de quatre ans.

« Il m’est souvent arrivé de porter cette perruque. Amit Israeli, le photographe, est un ami. Il y a dans cette photo une ambiance très années 60, un peu Hitchcock comme ça. Avec une ambiance de film policier, d’où le revolver. Cette pochette n’a posé aucun problème de censure. La violence est partout et ici, c’est une œuvre fictionnelle tout de même. »

Une ambiance policière encore accentuée par l’auteur canadien de polars Peter Robinson, créateur du personnage de l’inspecteur Alan Bates. Pour lui, chaque chanson de 101 est comme un instantané réalisé par James Stewart dans Fenêtre sur cour de tonton Alfred. Keren Ann lui a demandé d’écrire sa biographie pour la présentation du disque (texte qu’on retrouve sur son site www.kerenann.com) : « J’ai appris par hasard qu’il écoutait mes disques, tout comme l’inspecteur Alan Bates quand il se rendait sur des scènes de crime. Je trouvais donc logique de lui demander d’écrire ma bio. »

Keren Ann a quitté Nolita et New York pour vivre désormais entre Paris et Tel Aviv. « J’ai besoin d’aller à Tel Aviv pour me reposer, faire du sport, voir ma famille… Au moins un week-end par mois. À Paris, je me lève tôt pour travailler. J’y vis à un autre rythme. Ces deux villes me fournissent un certain équilibre. »

Entre Paris, Jaffa et Reykjavik

Rappelons que Keren Ann Zeidel est née à Césarée, en Israël, d’un père israélien d’origine russe et d’une mère hollando-javanaise. Hollandaise de nationalité, Keren Ann vit aux Pays-Bas jusqu’à ses 11 ans (tout en occultant le néerlandais, avoue-t-elle), avant de vivre son adolescence à Paris. La biographie de Luka Philipsen, son premier album, sorti en 2000, qu’elle a réalisé avec Benjamin Biolay (et sur lequel se trouvait le « Jardin d’hiver » offert à Henri Salvador) s’inspire en fait des histoires que lui racontait, petite, Lurs Philipsen, sa grand-mère maternelle indonésienne. Luka, autre allusion évidente à Suzanne Vega dont elle est grande fan, c’était elle bien sûr.

Son nouveau disque, son sixième si on ne tient pas compte de Lady & Bird, Keren Ann l’a enregistré entre Paris (au Ferber et dans son studio parisien, le Philipsen), Jaffa en Israël et Reykjavik où vit son partenaire de Lady & Bird, l’Islandais Bardi Johansson : « Il n’était pas question que Bardi n’intervienne pas sur ce disque. On a terminé l’écriture d’un opéra baroque et loufoque, Red Waters, qui sera monté cette année au centre dramatique d’Orléans. »

Keren Ann boulimique de travail ? Certes si on se souvient qu’entre son album éponyme de 2007 et ce 101, elle a réalisé la bande originale du film Thelma, Louise et Chantal, enregistré le concert symphonique donné avec Lady & Bird à Reykjavik (La ballade of Lady & Bird) écrit et composé avec Doriand les chansons des albums Dingue d’Emmanuelle Seigner et Soleil bleu de Sylvie Vartan.

« Et j’ai des projets jusqu’en 2013 », ajoute-t-elle gourmande. « Je n’accepte pas systématiquement tout ce qu’on me propose. Je choisis les projets où je peux m’exprimer indépendamment de mes albums. J’aime ces collaborations, ce sont de vrais désirs que je me permets d’assouvir parallèlement à mes albums où j’ai une entière liberté artistique. »

Car Keren Ann écrit, compose et produit seule ses albums. Elle y raconte la vie de personnages moins fictionnels qu’on pourrait le penser. « Mes chansons s’inspirent toujours de ma vie. Il n’y a peut-être que “Blood on my hands” qui relève – pour le moment du moins – du fantasme. »

La fuite en avant

Cet album est dédié à son papa, Dan Zeidel, disparu l’an dernier, ce qui explique aussi cette fuite en avant dans le travail : « Je me suis beaucoup occupé de lui pendant sa maladie et de maman, tout en travaillant beaucoup. C’était indispensable pour occuper mon esprit. Mais j’ai toujours fait beaucoup de choses. J’adore ça. Il m’arrive de craquer, comme tout le monde, mais en général, je tiens bon car j’aime ce que je fais. Je ne suis pas à plaindre. Je suis heureuse quand j’écris, compose ou chante. C’est ma vie… Mon papa n’était pas un artiste professionnel mais il sculptait. Il a toujours suivi de près ce que je faisais et était très fier de mon indépendance. »

Dans la chanson « 101 » qui a donné son titre à l’album, Keren Ann ne fait pas allusion à l’autoroute reliant Los Angeles à San Francisco (cfr. le film 101 de Pennebaker consacré à la tournée de Depeche Mode) mais bien d’un étage qu’elle descend en énumérant autant de possibilités jusqu’au Un écrit en hébreu… pour signifier Dieu : « Je lis souvent la Bible, qu’on trouve d’ailleurs dans toutes les chambres d’hôtels aux Etats-Unis mais aussi ailleurs. Je trouve que c’est un livre fabuleux. 101 est le numéro de mon psaume préféré mais c’est aussi mon prénom en hébreu. »

Et Keren Ann de relever la manche de son pull pour nous montrer son tatouage 101 : « Je l’ai fait récemment. 101, c’est moi. »

Pour illustrer ce disque, Keren Ann a également fait appel au plasticien John Mavroudis, célèbre pour ses couvertures du New Yorker. Il a illustré chacun des 101 jours précédents la sortie du disque. Un travail à voir sur www.101kerenann.tumblr.com :

« Je l’ai contacté parce que j’aimais ce qu’il faisait pour le New Yorker. Il s’est inspiré des chansons et des indications que je lui donnais pour réaliser ces 101 dessins. J’espère qu’ils seront un jour publiés. »

De nombreuses références à la culture hébraïque parsèment ces illustrations. Keren Ann ne chante pas en hébreu pour autant : « Je le parle mais ne l’écris pas. Je n’ai pas vécu suffisamment en Israël pour ça. Je me sens nettement plus à l’aise en anglais, la langue de ma vie, de mon amour, de mon travail. Le français n’est que ma troisième langue. J’aime écrire des textes en français mais je suis très exigeante. 101 parlant de moi, je n’imaginais pas l’écrire dans une autre langue que l’anglais. »

Ce qui n’est pas fait pour gêner sa firme de disques, la New-Yorkaise Blue Note. En décembre dernier, c’est d’ailleurs à New York et Philadelphie que Keren Ann a présenté ce disque au cours de quatre concerts. Après quelques dates printanières à Madrid, Londres et Paris (la Cigale le 24 mai), elle entreprendra en juin une vaste tournée nord-américaine. La Belgique ? « En automne certainement. »

Nul doute que le Cirque royal sera la salle qui l’accueillera le mieux. Elle y a gardé de bons souvenirs et son nouvel album est fait pour cet écrin hanté.

http://www.kerenann.com/

THIERRY COLJON


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1 commentaire

  1. Leslie Bangs

    23 février 2011 à 10 h 39 min

    Petite précision : la 101 Road longe toute la côte ouest des Etats-Unis. Elle commence donc en Oregon et va jusque LA …

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