Fleet Foxes a enfanté son deuxième disque dans la douleur. « Helplessness Blues » valait la peine d’attendre.
De notre envoyé spécial
Ils ont pratiquement vendu 20.000 exemplaires en Belgique de leur premier album, à une époque où on ne fourgue pratiquement plus de disques. Ils ont vu le Vatican sélectionner leur chanson « He Doesn’t Know Why » dans une playlist de titres ayant pour but de toucher le cœur des « gens bons ». Ils se sont même fait singer par un équipementier espagnol qui voulait leur morceau « White Winter Hymnal » pour accompagner un spot publicitaire. Beaucoup ont voulu un petit bout du succès des Fleet Foxes. On ne compte d’ailleurs plus le nombre de groupes présentés comme leurs légitimes successeurs et sonnant plutôt comme d’indignes héritiers.
Il n’y a cependant pas vraiment de quoi envier Robin Pecknold. Le garçon en a bavé pour accoucher du deuxième Fleet Foxes. Annoncé en 2010, Helplessness Blues, qui voit enfin le jour en cette fin de semaine, lui a coûté pas mal de nuits blanches et de tracas amoureux. Même quelques problèmes de santé. « J’ai souffert pour donner naissance à cet album. Franchement, il m’a consumé. Il a emporté un bout de ma vie. C’est dingue ce que certaines choses peuvent vous détourner de tout le reste. »
Dingue ce qu’un boulot, une passion peut envahir voire détruire une vie sociale. Pecknold concède même qu’il se sentait coupable d’aller ne serait-ce qu’au cinéma alors qu’il pouvait avancer sur ses chansons. « Vais-je continuer à m’impliquer si profondément dans ce projet que je me coupe des gens à qui je tiens et qui m’aiment ? Pour qui est-ce que je fais tout ça ? Suis-je un égoïste ? » Toutes ces questions, et bien d’autres encore, il se les est posées. Elles ont même nourri son album. En en inspirant les thèmes. En décuplant encore son désir de sortir une plaque dont il serait entièrement satisfait. Disons même pleinement heureux.
« Réaliser ce que j’avais sacrifié a encore renforcé ma minutie et mes attentes. Peu importe le nombre de fois où nous devrions retourner en studio ou réenregistrer une prise, je tenais à ce que ce disque soit le meilleur possible. Je pense que je ne pourrais plus m’investir autant dans un album dorénavant. »
C’est au retour d’une tournée en solo début de l’année dernière avec Joanna Newsom que Pecknold lance les grands travaux. Après avoir testé quelques morceaux sur la route, il rentre à Seattle et s’installe dans le studio où Nirvana a enregistré Bleach, son premier album. Puis il part à Woodstock, dans le New York rural, avant de se promener pendant six mois d’un studio à l’autre, notamment un bunker de la guerre froide à l’abandon avec 40 secondes de réverb naturelle.
A nouveau produit par Phil Ek (Built To Spill, Mudhoney, The Shins, The Dodos…), Helplessness Blues est marqué par une écriture plus lisible, l’utilisation de quelques nouveaux instruments, mais aussi l’arrivée d’un sixième membre. En l’occurrence Morgan Henderson, des furieux Blood Brothers. « Ça va peut-être vous surprendre mais je suis fan. Sa copine et la mienne sont amies. Nous nous sommes rencontrés à travers elles et on s’est tout de suite bien entendu. Je croisais Morgan depuis dix ans à Seattle. On a commencé à passer pas mal de temps tous les deux. Pas dans le contexte du groupe. Juste en tant que potes. On se faisait découvrir des disques. Puis, on s’est mis à jouer ensemble. Quand nous avons attaqué de plus en plus sérieusement notre album, il est apparu naturel et sensé qu’il apparaisse dessus. Et puis dans la foulée qu’il parte avec nous en tournée. »
S’il réfute l’étiquette de « hippie » qu’on lui a collé sur le paletot, le leader des Fleet Foxes est l’anti-Gallagher. Là où Liam et Noel font leur promo en tapant sur le dos de la concurrence, le barbu se fend sur son blog d’un laïus contre les langues de pute… « Ce n’est pas vraiment peace and love, man… Mais sur Twitter, il y a des tas d’artistes qui passent leur temps à critiquer d’autres musiciens. Je n’aime pas vraiment les groupes sur lesquels ils crachent. J’ai même plutôt tendance à apprécier leur musique à eux. Mais j’avais juste envie de leur dire : j’aime ce que vous faites mais vous tombez dans la méchanceté gratuite en public. Et en tant que fan, ça fait un peu tomber l’excitation que me procure votre musique. »
S’il défend le téléchargement libre, postait récemment et gratuitement sur la Toile trois nouveaux morceaux dont un duo avec Ed Droste de Grizzly Bear et une reprise de Chris Thompson, Pecknold connaît aussi les méfaits d’internet, le blues et le doute. « Les gens peuvent avoir leurs opinions évidemment, mais je préférerais qu’ils n’usent et abusent pas du web pour les répandre de la sorte. Si tu sais ce que ça signifie d’être un groupe, et ce que les critiques négatives peuvent procurer comme sentiment, je ne comprends pas que tu veuilles devenir la source de cette humeur maussade chez d’autres artistes. J’ai des tas de choses à dire sur des tonnes de trucs, mais je ne veux pas être source de négativisme. On en est déjà noyé. »
Les Fleet Foxes en écoute intégrale