Il arrive dans le patio de la RTBF encore un peu cassé par les 80 minutes de Thalys et la sieste qui va avec.
La poignée de main est franche et le regard perçant. Bertrand Belin, qu’on a découvert avec son habité et faussement apaisant Hypernuit (son troisième album solo), fait pourtant de la musique depuis plus de vingt ans. Musicien pour Néry ou Nosfell, membre de Sons of the desert, compositeur des courts métrages de Blandine Lenoir, Bertrand Belin a aussi écrit pour Olivia Ruiz, Delphine Volange ou Caroline Loeb. Rencontre trop courte avec ce qui a tout l’air d’être un chouette bonhomme.
Alors que votre territoire musical est foncièrement différent de celui de Dominique A., on perçoit pourtant un certain lien de parenté entre vous. Ses textes vous touchent ?
Je n’ai pas de filiation particulière avec Dominique A. Mais dans le périmètre de ce qui est venu jusqu’à moi en chanson d’expression francophone, il est dans le peloton de tête. Ce qui nous rassemble, c’est cette histoire de proportion entre l’intérêt qu’on porte à la musique et à l’écriture. Par contre, on traite de manière différente les choses. Pour le peu que je le connaisse, c’est quelqu’un d’accueillant, de généreux et de drôle.
Le charme d’« Hypernuit », qui est le seul de vos disques que je connaisse, réside dans une certaine forme de poésie, de chanson française sur une toile anglo-saxonne qui n’est pas sans rappeler Giant Sand, par exemple…
C’est indéniable. Il y a assez peu de gens pour le voir mais c’est vrai. Comment faire ? En France et en Europe, depuis le jazz de La Nouvelle-Orléans, nous sommes sous perfusion de musique anglo-saxonne. Il y a quarante ans, Hugues Aufray faisait déjà de la musique américaine.
Pour moi, les représentants de la musique française sont à chercher du côté de Ravel. Soit des artistes qui ont travaillé à une synthèse plus pensée.
Et comme Howe Gelb, cerveau de Giant Sand, vous vous êtes nourri de Duke Ellington, Monk, Neil Young ou Bob Dylan ?
Et aussi Gershwin, Bartok, Charlie Christian, Eric Dolphy, Ornette Coleman, Arto Lindsay, John Zorn, Marc Ribot…
On a le sentiment que votre disque est apaisant mais quand on fait gaffe aux textes, ce n’est pas vraiment le cas. Que raconte la chanson « Hypernuit », par exemple ?
C’est pas vraiment la fête. « Hypernuit » mélange différents matériaux autobiographiques. C’est une histoire de rédemption au premier plan. Les choses qui sont de l’ordre privée ou de l’intime deviennent importantes dès lors qu’on en a extrait ce qu’il y a de commun. Ce que je trouve intéressant à partager, ce n’est pas tant les détails que la mécanique des phénomènes. « Hypernuit », c’est l’histoire d’un type qui pressent qu’il va être rattrapé par son passé. Qu’il n’est plus question de fuir, ce n’est plus possible. Il va falloir qu’il se mette face à ses responsabilités. Sa responsabilité, ça fait des années qu’il la renie ou qu’il la nie parce qu’on apprend dans la chanson qu’il y a longtemps : « Ils lui sont tombés dessus/Et passé le goût des fleurs ». Il y a une espèce de scène de lynchage en filigrane.
En concert à l’Orangerie, le vendredi 13 mai avec Stéphanie Crayencour et Florent Marchet.