Les Voix Du 8, c’est ce qu’on appelle communément un « side project ». Sauf qu’il n’a rien de commun, justement. Ludique et expérimental tout à la fois, pour Veence Hanao, il fut aussi l’occasion de travailler avec deux guests au CV fort intéressant. Et c’est tout ? Non : dans la foulée, il vient d’achever le tournage d’un clip visible sur la toile courant juin, destiné à illustrer « Kick, snare, bien… », extrait d’un nouvel ep encore à venir.
En attendant, on peut toujours se repasser The border ep, la galette virtuelle sortie sous ce pseudo des Voix Du 8. Huit titres, comme son nom l’indique, dont pas mal étonnamment « au format pop », soit 3 minutes 30 maxi. Et c’est d’autant plus étonnant que cet ep traduit aussi un vrai travail sur les textures sonores.
Avec sa voix traficotée, « Intro retrocomputing » semble ainsi avoir été imaginé par un gamin qui serait tombé sur la réserve de champignons magiques de la maîtresse. Sur « BorderNike », avec Subtitle, et « Last man standing » featuring Citizen Ledge, l’électro accouche d’atmosphères un peu étranges baignant des flows impeccablement old school. Les instrumentaux sont assortis, façon rétrofuturiste, comme ce « Polar light » tout en sinuosité, ou le presque guilleret « My kinda love » et sa clarinette un peu swing…
C’était quoi l’idée de départ ?
L’envie de me faire plaisir. Je m’étais beaucoup raconté sur le précédent disque, Saint-Idesbald. C’est un album très introspectif, très personnel, très « tranche de vie ». On l’a vécu et joué sur scène pendant près de deux ans, et au terme de cette belle aventure, j’ai simplement éprouvé le besoin de prendre de la distance par rapport au fait de « revivre » cette tranche de vie, par rapport au texte, au fait de me raconter. Ça, c’est le contexte.
Pourquoi alors cette envie de ne se concentrer que sur la musique et la production avec Les Voix Du 8 ?
J’éprouvais toujours l’envie de faire de la musique. De raconter un truc, mais autrement. Chez moi, des nouveaux sons naissaient. De Saint-Idesbald, j’ai conservé l’idée du travail électronique à partir de samples très organiques, et je les ai croisés avec des compositions jouées à partir d’instruments virtuels. Surtout 8bit. La 8bit m’a toujours intrigué, sans jamais vraiment me séduire. Elle m’a très vite saoulé, en fait. Mais je trouvais qu’il y avait de petites choses à faire, en l’utilisant de manière plus subtile, sans qu’elle ne soit la finalité d’un morceau, mais plutôt un ingrédient parmi d’autres. Certains des morceaux ainsi construits se suffisaient, existaient en tant qu’instrumentaux, tandis que sur d’autres, j’imaginais une voix, deux voix… Des anglophones, d’office, car je ne voyais pas qui pouvait rapper là-dessus en français.
D’où tes deux « guests »…
Au même moment, je re-croisais la route de Citizen Ledge (que je connais depuis l’école primaire, puis que j’ai ensuite un peu perdu de vue) et je rencontrais Subtitle qui débarquait à Bruxelles pour un concert à la RTT. Ce sont là deux mecs très talentueux qui, dans leurs projets respectifs, amènent quelque chose d’unique, ils véhiculent un univers, des textures et une identité qui me plaisent. Je leur ai proposé le projet, ils ont écouté et adhéré.
Qu’est-ce qui t’a inspiré ces atmosphères à la fois un peu mystérieuses et « enfantines » ?
C’est sincèrement très difficile à dire, d’autant que mes morceaux, je pense, doivent énormément au hasard. Je cherche, je teste, et si un accident se produit et qu’il donne quelque chose, je l’exploite. Je ne peux pas envisager me mettre derrière les machines en sachant à l’avance ce que je vais faire, jouer, écrire… Ce serait ennuyeux ! Au niveau des ambiances, même si ce projet paraît musicalement très éloigné de Saint-Idesbald, il ne l’est pas tout à fait. Ces atmosphères dont tu parles sont surtout le fait des introductions, des traces apparentes/audibles de « process », des sons additionnels, des nappes, de sons triturés, choses que l’on trouvait déjà sur Saint-Idesbald mais dans un autre registre, et qui prennent une autre dimension quand tu leur donnes vie la nuit. Et je ne pourrais pas travailler autrement pour le moment. Je n’aime pas quand un morceau commence directement sans mise en contexte, ou quand ça tourne « trop carré ». Je ne suis pas dans la course au passage radio, donc pas dans la recherche d’un format ; si je veux prendre 1’30” pour installer mon morceau avant qu’il ne commence réellement, je le fais, et c’est un vrai plaisir. J’aime les choses un peu caduques, avec du grain, et j’ai également profité de ce projet pour « m’amuser ». Ainsi, l’intro de l’EP s’ouvre sur un poème chinois kitschissime que j’ai décidé de chanter et de placer là car ça me faisait rire d’ouvrir un projet avec ça. Je m’excuse d’ailleurs auprès d’1,5 milliards de chinois pour avoir massacré leur langue (rires). Au-delà de cet amusement, aussi, les sonorités 8bit nous rappellent forcément nos premières consoles, donc l’enfance…
Un mot sur Citizen Ledge ?
Je l’ai rencontré quand j’avais 10 ans, quelque chose comme ça. Il débarquait d’Afrique du Sud et arrivait dans ma classe. On s’est perdus de vue pendant tout un temps, puis recroisés. Il fait aujourd’hui partie de L.E.G., un groupe bruxellois super intéressant qui propose un rap expérimental comme il n’en existe pas d’autres en Belgique. Ça vit. Le son est lourd de chez lourd, noisy à souhait, grosses basses, gros rouleau compresseur, et des voix souvent saturées/distorsionnées. Il y a des morceaux plus calmes aussi, faut pas exagérer ! Ils ont sorti un EP l’année passée, Illness of the realness, sur Briefcaserockers. Et ils viennent de sortir une K7 intitulée M.on.X sur le label Entr’acte (UK).
Et Subtitle ?
Pour Giovanni Marks alias Subtitle, c’est différent. Je l’ai rencontré à Bruxelles pour un concert qu’il donnait à la RTT. C’est un MC notoire de l’underground californien, un véritable performer sur scène, qui a un parcours complètement atypique. Tu lis sa bio et tu constates qu’il a collaboré avec de très gros noms (The Mars Volta, Madlib, Busdriver, Daedelus, pour ne citer qu’eux) et qu’il a voyagé à peu près partout… C’est un phénomène qui mérite qu’on s’y intéresse. Il fait ses beats, il écrit, il enregistre, il mixe, il sort le disque sur son propre label (Briefcaserockers), il tourne tout seul en live, il s’auto-suffit complètement. A l’occasion de son passage à Bruxelles (qui s’est quelque peu prolongé), nous nous sommes rencontrés, nous avons échangé des sons, et ça s’est fait très simplement.
Didier Stiers