Chad VanGaalen: un lange tombé du ciel

Voilà un ours comme on les aime : avec une bonne tête, qui évite certes de quitter sa tanière quand il le peut mais ne passe pas pour autant ses jours à hiberner. Planqué à Calgary où il a, semble-t-il, débuté comme musicien de rue, Chad VanGaalen est auteur, chanteur, musicien, producteur et même animateur. Comme on dit dans les télécrochets : « Il a son propre univers. » D’où est arrivé voici une quinzaine cet album très recommandable : Diaper Island. Et tout récemment, l’interview qui s’imposait.

Avec ce Diaper Island, son quatrième album studio après Infiniheart (2004), Skelliconnection (2006) et Soft airplane (2008), le bonhomme n’a pas vraiment tourné le dos à sa philosophie lo-fi. Sous ce titre qu’il dit être une métaphore de la vie en Amérique du Nord, il a rassemblé douze compos très axées sur la guitare et les effets. Ce disque est aussi le fruit de quelques jolis bricolages : il y a de la profondeur sous les cordes. Des nappes, des sons, des textures, des petits inserts qui finissent par donner à ces morceaux quelque chose d’obsédant. « Peace on the rise » (illustré par un clip animé, sorte de publi-rédactionnel sf pour diverses substances illicites) en est le parfait exemple. La filiation avec le rock indie des années 90 est assez évidente. Sonic Youth, oui, mais aussi avec du Lush et du Pale Saints dedans comme me le disait très justement l’autre jour un ami de Facebook (et pas que).

L’univers de VanGaalen, c’est un monde où résonnent le drone discret et des riffs répétés, parfois plus incisifs, comme sur « Burning photographs » ou « Replace me ». Où l’on se fait aussi inviter à une promenade un peu folk, un peu nerveuse par moments (« No panic no heat »), ou alors plus champêtre (« Heavy stones », sur un canasson fourbu mais le Stetson bien digne). Malgré les dissonances (« Can you believe it ? »), Neil Young n’est jamais très, très loin non plus.

Le pensionnaire de Sub Pop (qui a aussi un alter ego électronique, Black Mold) explique avoir fait l’effort d’écrire de vraies chansons, un effort déjà consenti sur l’album précédent. D’où, probablement, cette « Sara » lumineuse, créature à la fois muse et sirène à laquelle il tente une déclaration d’amour un peu désespérée (« You’re a golden beam breaking into the ocean deep… »).

Au-delà du ton rock (celui qui, dit-il, le mettait le plus à l’aise cette fois), des arrangements décalés et des harmonies vocales psychés, VanGaalen trimballe plus que de la mélancolie. Un côté sombre, dont ses illustrations maboules pour la pochette (crustacés mutants, algues mangeuses d’hommes…) ne sont qu’un indice. Rien de grivois dans un texte comme celui de « Shave my pussy », c’est plutôt, disons… venimeux (« Maybe if I shave my pussy, then you’ll love me baby, will you love me ? I’m really feeling ugly… »).

Le Canadien, par ailleurs producteur de l’album Public strain de Women, est casanier. Mais il tournera, ces prochaines semaines. Aucune date belge n’a été communiquée jusqu’ici ; au cas où il ferait bel et bien l’impasse, il reste toujours ses concerts d’Amsterdam (le 3 août au Paradiso) et de Cologne (le 4 au King George). Ou, pour se consoler : les clips qu’il a animés, pour lui comme pour son camarade J Mascis, Holy Fuck ou Guster, et si vous n’en avez pas encore assez, un 6 titres composés d’inédits (Your tan looks supernatural), vendu au profit des opérations menées au Japon par la Croix-Rouge. On peut être ours et aimer son prochain.

Didier Stiers

Chad VanGaalen – “Peace on the rise”
Chad VanGaalen – “Molten light”
J Mascis – “Not enough”
Holy Fuck – “Milkshake”
Black Mold – “Metal spiderwebs”

“Dans notre tête, on doit tous avoir une sorte de décharge à ordures”

Reclus au Canada, dans une bicoque de la banlieue de Calgary, Chad VanGaalen écrit égoïstement les plus belles pages de la pop moderne. Dessinateur, vidéaste, le grand échalas canadien produit des chansons magiques pour les autres, tout en continuant d’empiler des albums indispensables sur sa table de chevet. A l’écoute de son nouveau ‘Diaper Island’, on débloque complètement. Impossible de piger. Comment expliquer qu’une musique qui gravite quelque part entre les Fleet Foxes, Neil Young, Beck et Roy Orbison reste confinée à l’anonymat ? Pour trouver des bribes de réponses et éclaircir quelques zones d’ombre, on se décide finalement à appeler le garçon. Chez lui, à la maison, il est cinq heures. Chad s’éveille.

Ton nouvel album s’intitule Diaper Island. Cette île, c’est un lieu imaginaire ?
Oui, une sorte d’île poubelle. C’est une métaphore pour évoquer la société nord-américaine, une façon d’insister sur tous ces problèmes qu’on emballe vite fait dans un sac plastique pour, ensuite, les balancer le plus loin possible. Je pense qu’on fonctionne comme ça. Dans notre tête, on doit tous avoir une sorte de décharge à ordures, un endroit où on planque les souvenirs puants, des trucs étranges et mauvais.

L’année dernière, tu as endossé le costume de producteur pour travailler sur Public Strain, dernier album des Canadiens de Women. Cette collaboration a-t-elle eu des répercussions sur ta propre vision artistique ?
Je me suis vraiment investi pour mener à bien cet album. J’y ai mis plus d’énergie que dans n’importe quel disque. J’ai tendance à considérer Public Strain comme la consécration de ma carrière musicale. Je ne pense pas avoir réalisé quelque chose de mieux. En comparaison, mes propres chansons me semblent dérisoires… C’était terriblement stimulant de travailler avec les gars de Women. A priori, je suis un peu asocial : très mauvais pour travailler avec d’autres personnes, surtout en studio. Cette expérience m’a appris à catalyser mon anxiété, à partager mon environnement créatif. Grâce à ce travail, j’ai également appris de mes erreurs. Avant, j’avais peur de faire des conneries. Désormais, ça ne me fait plus rien. Au mieux, je pars de mes bêtises pour m’améliorer. Au pire, je tire profit des imperfections.

Au Canada, tu es signé sur une petite structure baptisée Flemish Eye. Peux-tu nous en parler ?
Au Canada, tu peux vivre et exister aux yeux du public grâce au soutien d’un label comme celui-là. Flemish Eye bénéficie de subsides de fonctionnement alloués par le gouvernement canadien. Pour ça, on a de la chance : le Canada avance des sommes considérables pour soutenir ses artistes. Ian Russel, le boss du label, n’a jamais pensé une seule seconde que sa structure allait se développer de la sorte. Le succès rencontré par Women, notamment, a précipité les événements. Une seconde personne a dû être engagée et des accords de collaboration sont nés entre Flemish Eye et de plus gros labels indépendants comme Sub Pop ou Jagjaguwar. Pour moi, c’est parfois déstabilisant de travailler avec Sub Pop dont le système organisationnel est assez poussé… Chez Flemish Eye, tous nos accords sont tacites. Je n’ai pas de contrat. Je n’ai jamais rien signé. Tout se fait oralement. Notre collaboration est totalement informelle. Elle s’apparente plutôt à une relation amicale.

En 2008, tu as sorti Soft Airplane. Si ce disque n’a pas remporté un énorme succès commercial, il s’impose aujourd’hui comme un trésor caché. A l’écoute de Diaper Island, on ne peut s’empêcher de te voir comme un des meilleurs « songwriters » du moment…
Pour moi, il est plus important de capturer un moment que de faire sonner un morceau à la perfection. Je recherche d’abord le charme, pas la beauté absolue. Pour écrire des chansons, je me concentre essentiellement sur le son et les mélodies. Je ne me sens pas l’âme d’un songwriter. Je suis davantage un ambianceur qu’un bon auteur. Je pense d’abord mes chansons comme des paysages, pas comme des messages. Mes morceaux naissent de longues plages expérimentales. Je ne me prive d’aucune tentative : j’inverse des sons, multiplie les collages, filtre la distorsion. Au final, un essai de 20 à 30 minutes doit tenir en 3 minutes. Greffer des paroles à ces 3 minutes, c’est la dernière chose à laquelle je pense. On me présente souvent comme un « singer-songwriter ». Pour ça, j’ai parfois l’impression d’être un imposteur. (sourire)

On tend aussi à te présenter comme un artiste casanier et introverti…
J’ai une femme adorable et deux petites filles. Je possède un atelier de dessin et je viens d’achever la construction d’un studio d’enregistrement. Tout ce que j’aime, tout ce qui me passionne se trouve chez moi, à portée de main. Alors oui, j’ai parfois tendance à vivre dans ma bulle. Elle est confortable. Certaines semaines, je cherche des raisons valables pour quitter la maison, et aller faire un tour… A côté de la famille, je dessine, je compose des chansons, enregistre pour d’autres groupes. Actuellement, je travaille aussi sur une nouvelle animation vidéo. Tout ça me laisse très peu de temps pour sortir. Mais je ne suis pas un individualiste ou un antisocial : j’aime les gens ! (rires)

Pour résumer, tu es à la fois musicien, producteur, dessinateur et vidéaste. Quel est le point commun entre toutes ces disciplines ?
Le dessin est la glue : c’est l’activité qui me permet de tout rassembler. C’est ce que je fais le plus naturellement. Mon rapport au papier est viscéral. Je ressens une liberté totale que je n’éprouve pas forcément à travers les productions musicales ou cinématographiques. Là, tu es toujours dépendant d’une interface mécanique. Toujours à la merci de problèmes techniques. Il faut vérifier des micros, brancher des appareils et croiser les doigts pour que tout fonctionne… Parfois, ces efforts se soldent par un terrible sentiment d’impuissance. Avec le dessin, tu es maître de ton destin. Tu as juste ce truc, un bête crayon, et une feuille. Poser la mine sur le papier, ça reste un lien primaire. Ton crayon est foutu ? Tu le balances et t’en prends un autre. J’aime la spontanéité qui existe dans mon rapport au dessin. Et, pour être honnête, j’envisage souvent les sons comme j’appréhende une palette de couleurs.

Propos recueillis par Nicolas Alsteen


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