MONTREAL
DE NOTRE ENVOYE SPECIAL
La vingt-troisième édition des Francofolies de Montréal s’est ouverte, vendredi, pour neuf jours de fête en plein cœur du Quartier des Spectacles. Ici, les Francofolies, c’est plus de 250 concerts dont 150 gratuits en plein air. Cette année, l’événement, c’est « Le condamné à mort » par Jeanne Moreau et Etienne Daho, qu’on pourra voir samedi au Bozar.
Après la création à Brest et à Paris en novembre dernier, après le disque, voici à Montréal, avant Bruxelles, ce fameux « Condamné à mort » de 1942, qui célèbre le centenaire de la mort de Jean Genet. Un poème d’une modernité inouïe mis en musique dans les années 70 par Hélène Martin. Le spectacle ne dure que quarante minutes mais il est d’une telle force que seul le silence peut dignement le clore. C’est Pierre Lapointe qui s’est chargé d’ouvrir la soirée en version piano solo. Une entrée en matière idéale par un artiste qui manie l’humour pour mieux mettre en évidence la gravité de ses textes. Dédié à tous les célibataires et à la solitude en générale, cette prestation ne déparait nullement avec le thème de la mort qui allait s’en suivre. Car « Le condamné à mort », écrit par Jean Genet en prison, est une ode à l’amour carcéral homosexuel et à son ami Maurice Pilorge, guillotiné à Saint-Brieux à 25 ans.
Le rideau rouge s’ouvre majestueusement sur une scène vide. A droite, les cinq musiciens dont Edith Fambuena à la guitare. Au centre deux pupitres que rejoignent main dans la main Jeanne et Etienne. Tailleur blanc pour elle. Tenue noire pour lui. Figés tous les deux. Jeanne commence par un extrait de « Saint Genet comédien et martyr » qu’a écrit en 1952 Jean-Paul Sartre. Introduction indispensable pour qui ne connaît pas bien Genet. A Maurice Pilorge, assassin de vingt ans : Jeanne passe ensuite la parole à Etienne, entre récits et chansons, tels que révélés sur le disque.
La mise en scène est d’une sobriété et d’une puissance superbes. Jeanne et Etienne sont Eros et Thanatos. Ils sont l’incarnation taoïste de ces deux anges de la mort, l’un blanc, lumineux, l’autre, noir, sombre, venus prendre l’âme des spectateurs. La lumière souligne cette ballade mortelle se terminant par la blancheur du flash précédant le dernier souffle. On ne manque pas une miette de ces mots libres, dressés comme le membre dur qui rythme chaque pensée de l’auteur scandaleux. Mots fiers et libres, tendus comme un vit de marbre lisse, dégorgeant d’une sève qui, dans la bouche des deux interprètes tragédiens, nous inonde de sa beauté chaude. Un ange passe. La mort de même. Reste la vie. Folle et fougueuse.
THIERRY COLJON
« Le condamné à Mort », par Jeanne Moreau et Etienne Daho, samedi 18 au Bozar.
Réservations au 02/507.82.00 ou www.bozar.be