J’ai quitté la maison à 14 ans. Je ne voulais pas partir. Mais je n’avais pas 36 solutions. C’était soit me barrer, soit tuer mon beau-père qui me foutait des trempes. J’étais à deux doigts de le buter. Il m’avait balancé à travers la fenêtre. J’avais le flingue en main. J’ai réfléchi 30 secondes et j’ai pris la meilleure décision de ma longue existence. Si je n’avais pas décampé, j’aurais passé ma vie en prison. » Seasick Steve y a juste fait de petits séjours. Parce que de son temps, on foutait les gens en cabane pour que dalle. Puis, l’hiver, ça l’arrangeait d’avoir un toit et à bouffer. « J’ai parfois essayé de me faire boucler sans y arriver, » rigole-t-il dans sa vieille barbe de bourlingueur. Steve Gene Wold et sa guitare ont passé plus de temps sur les routes et les trains que derrière les barreaux.
Les racines du rock
Et si son histoire ressemble à celle d’un vieux bluesman, sa musique aussi d’ailleurs, ne lui dites jamais qu’il en est un. C’est peut-être bien la seule chose qui pourrait le foutre en rogne. « Le blues est ennuyeux la plupart du temps. Mais ce sont les racines du rock. Et ne pas les connaître, c’est comme manger la bouffe de quelqu’un d’autre. Tu ne sais pas d’où elle vient. » Ancien hobo qui a déménagé 62 fois depuis son mariage, Steve est de partout et de nulle part. Il n’était pas le meilleur ami de Janis Joplin et de Kurt Cobain comme certains voudraient le faire croire, mais il vivait à San Francisco à la grande époque hippie et avait posé son baluchon à Olympia au moment où se mettait à déferler la vague grunge.
« Si je pouvais voyager dans le temps, je retournerais sans hésiter à Frisco en 66. Le Grateful Dead, Jefferson Airplane, Big Brother and the Holding Company… Tout le monde vivait sur quelques rues de Haight-Ashbury. C’était le free love mais aussi la free food. C’était free everything. Tu pouvais vivre pour pas un rond. Faire la fête. Il y avait les rêves, les grands espoirs. Malheureusement, je les ai vus s’effriter. J’ai vécu la chute. Vu les dealers et les Hells Angels arriver. Puis les mecs revenir du Viet Nam. L’héroïne et le speed remplacer l’herbe et le LSD. Avant qu’on s’en rende compte, on était entourés de junkies et de touristes. »
Un album à 60 ans et la mort de près
A Olympia, au début des années 90, notre homme possède le seul lieu d’enregistrement potable de la ville. Une petite centaine de groupes y défile. Des Bikini Kill à Modest Mouse. Souvent rabattus par Calvin Johnson, le boss de K Records. « C’était une scène de jeunes. Et s’ils m’en ont ouvert les portes, c’est parce que j’avais un studio. Tout le monde connaissait Kurt. Et tout le monde à Olympia a joué au moins une fois dans son groupe. Ce n’était pas mon ami mais je l’aimais bien. Je me souviens avoir vu Nirvana au Surf Club. Son premier concert avec Dave Grohl. »
Pour peu on croirait que Seasick Steve a toujours vécu de son art. Tour à tour plombier, ambulancier, marchand de chaussures, il ne sort pourtant son premier album qu’en 2004, à plus de soixante balais, avant d’être victime d’une crise cardiaque et de passer à deux doigts de la grande faucheuse. « J’étais déprimé. Je n’avais pas un rond. Je pensais devenir conducteur de bus mais je vis en Norvège. Et en Norvège, tu ne peux pas conduire de bus quand tu as des problèmes de coeur. En plus, je ne parle pas très bien norvégien… »
Sur l’insistance des organisateurs qui diffusent un film au sujet des hobos et ont axé leur communication sur le sujet, il accepte malgré tout de participer en solo à l’Open House Festival de Belfast. Tout ensuite le mène à la consécration. « Ma carrière dans la musique est un miracle. Et le succès un formidable médicament. »
Aujourd’hui, libéré de ses obligations, un contrat de trois albums, avec Warner, il sort son nouveau disque chez Pias en Europe, et Third Man Records, le label de Jack White avec qui il vient d’enregistrer un single, deux reprises du bluesman Fred McDowell, aux Etats-Unis.
Son titre, On ne peut pas apprendre de nouveaux tours à un vieux chien, c’est évidemment de lui dont il parle. « L’an passé, on m’a proposé de jouer à Glastonbury. Scène principale. 100.000 personnes. J’étais bourré. Et je me suis dit que je ferais peut-être bien de m’acheter de nouveaux vêtements », se souvient le vieux briscard adepte de la salopette, du marcel et de la casquette. « Puis j’ai pensé à inviter Jack. Mon esprit s’est mis à s’emballer. Les lumières, les choristes… J’ai pris ma guitare et écris ce morceau en deux minutes : You can’t teach an old dog new tricks. »
Album : You can’t teach an old dog new tricks (Pias).
Jeudi, de 16h15 à 17h05 (Main Stage).