Joeystarr : « Résister, c’est exister ! »

Ecrit lors d’un séjour en prison, « Egomaniac » est le tonitruant nouvel album de Joeystarr, un disque de chair et de sang. Le rappeur, impeccable comédien dans « Polisse », sera ce 18 novembre au Botanique.

Les réputations et les clichés ont la vie dure. Ce n’est pas à Joeystarr (en un mot), poids lourd du rap français avec NTM et en solo, qu’il faut le rappeler. N’en déplaise à ses détracteurs, c’est un Didier Morville (c’est son nom) posé et retenu que nous avons rencontré lors d’un entretien entier et sincère de 45 minutes hier, mardi, lors d’un séjour promotionnel bruxellois. Ça tombe bien, Egomaniac, son nouvel album solo aux paroles écrites lors de sept mois d’incarcération à Fleury-Mérogis est une bombe. À l’image de ce père de famille de bientôt 44 ans. Radical. Frontal. Entier. Sans concessions.

Chez Michel Denisot, sur le plateau du « Grand Journal », vous évoquiez votre « tourisme carcéral » à propos de la genèse de « Egomaniac ». Ecrire en prison vous a apaisé ou permis de vous occuper intelligemment ?

Ce n’est pas facile d’être protagoniste et spectateur en même temps. J’ai du mal à répondre à ce genre de question. Car, comme tout le monde, je n’ai pas envie qu’on me marche sur les pieds. Je ne prône pas la violence. Je fais de la musique. C’est virulent. Cela vient du sentiment d’urgence. Sinon ce serait de la provocation. Et la provocation, tout le monde le sait, n’a pas nécessairement de fond. En l’occurrence, je vis dans un quartier populaire et je me comporte comme un citoyen lambda à qui il arrive des choses comme à n’importe qui sauf que ma vie est mise en lumière. Attention, je ne suis pas en train de me faire passer pour une victime. J’ai fait une connerie, je la paie.

Quel était le vrai challenge d’« Egomaniac », sa vraie difficulté ?

D’habitude, j’arrive en studio avec deux couplets, un bâton et un pneu. Ici, j’ai eu le temps de l’écrire tranquillement. J’ai l’impression que ce disque, NTM inclus, est le mieux écrit et le mieux produit. Tu sais, quand tu es au placard et que tu écris, tu as ton petit pupitre et tu grattes tes trucs. J’ai fait sept mois et pendant les sept mois, je n’ai fait que ça. Le temps est suspendu.

Alors, tu t’y mets à 10 h du matin et quand tu relèves la tête, tu t’arrêtes parce que tu as faim ou soif. Les activités, c’est lire, regarder la télé, aller en promenade et attendre les visites. Se lever tous les matins pour aller à l’usine, c’est difficile. Faire de la musique, je ne le vois pas sous le même angle.

Votre incarcération vous a canalisé artistiquement ?

Entendons-nous. Le placard, c’est quand même le truc qui m’a permis d’écrire sans, entre guillemets, la pollution qu’est le portable qui sonne ou les copains qui débarquent.

Pour la chanson « Mamy Blue », j’avais l’intention de faire une adaptation de la préface de King Kong Théorie de Virginie Despentes. Malheureusement, on ne trouve pas de bouquins de Virginie Despentes à la bibliothèque de Fleury-Mérogis. J’avais ma mère qui venait, mes enfants qui me manquaient, les gonzesses de la prison pour femmes qui m’écrivaient et du coup, le sujet était vite trouvé.

Sur « Mamy Blue », justement, on entend Nicoletta. Quel est le point commun entre Nicoletta et Georges Moustaki ou Brassens que vous repreniez sur votre précédent disque « Gare au jaguarr » ?

Nicoletta a chanté ce morceau à la veillée mortuaire de mon copain comédien, Ticky Holgado. C’est en l’entendant que j’ai eu le déclic d une adaptation. Mon père écoutait ça quand j’étais jeune. Ce morceau fait partie de notre mémoire collective. Et ça reprend ma première démarche de l’album précédent, effectivement.

À défaut de faire des choses un peu faciles et commerciales, que je n’ai jamais su faire, je préfère passer par le biais de ces chansons qui traversent les décennies.

Dans un des interludes de l’album, il y a cette phrase qui résume finalement votre carrière de rappeur. « Résister, c’est exister », dites-vous. C’est toujours ton moteur ?

Je suis dans la continuité. Je suis rentré dans la musique par le constat de l’urgence et ça n’a pas changé. Mes disques, avec ou sans NTM, sont des carnets de bord habités par ce constat d’urgence et cette envie de résistance.

Vous incarnez Fred, un flic de la brigade des mineurs, dans le film « Polisse ». Ça vous a aidé à comprendre le côté humain chez les policiers ?

Des cons, il y en a partout. Le film m’a permis de mettre en lumière la violence entre un mineur et la pédophilie. On en parle mais on ne met jamais en lumière ces gens qui remuent cette merde. Ils sont le pouls du peuple au même titre que les pompiers qui vont ramasser des gens à moitié découpés sur les routes.

Joeystarr en concert au Botanique le vendredi 18 novembre 2011. botanique.be. Le film Polisse est toujours à l’affiche.

PHILIPPE MANCHE

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