C’est la période des rééditions. Après Nirvana et U2, c’est au tour de la fabuleuse “Histoire de Melody Nelson” de Serge Gainsbourg de se voir sortir le grand jeu pour ses quarante ans. Au menu, les formats désormais habituels (double CD avec prises alternatives et DVD 35€, coffret double vinyle et double CD 89€, et vinyle picture disc 20,50€). Mais surtout, on retrouve la musique, vieille de quarante ans, et qui n’a toujours pas pris une seule ride.
En 1970, Serge Gainsbourg sort à peine de sa période pop anglaise et a l’idée d’un album concept. Il a en tête de faire sa propre version du “Lolita” de Nabokov. Une idée qu’il a depuis sa rencontre avec Jane Birkin, sa nouvelle muse rencontrée deux ans plus tôt. La base de l’histoire est simple: un homme entre deux âges tombe amoureux d’une lolita à bicyclette qu’il renverse alors qu’il divague au volant de sa Rolls Silver Ghost 1910:
«-Tu t’appelles comment?»
«-Melody»
«-Melody comment?»
«-Melody Nelson»
L’ “Histoire de Melody Nelson” peut commencer. «Une comédie musicale à une seule personne sur un disque», comme le décrira Jane Birkin.
A l’époque, les concept-albums sont en vogue dans le rock. Le Who et les Kinks ont initié la chose avec plus ou (surtout) moins de bonheur et ce qu’on appelait le rock progressif (Genesis, Yes,… Spinal Tap…) en a fait son cheval de bataille. Les disques étaient de plus en plus visuels, les chansons s’allongeaient et les instruments se multipliaient. Bref, c’était l’époque ou les groupes de rock sortaient la grande panoplie théâtrale et symphonique. Mais M. Gainsbourg étant homme de savoir, il n’y aurait rien de tout cela sur “Melody Nelson”.
Déjà, “Melody Nelson” ne dure que 27 minutes et 57 secondes, loin des formats longue durée de l’époque (et d’aujourd’hui). Ensuite, Gainsbourg n’est pas genre à se perdre dans les boursouflures orchestrales. Ce qui frappe à l’écoute de “Melody Nelson”, quarante ans après, c’est le son. Le son de la basse d’abord, qui nous promène à pas de velours durant le long titre d’ouverture, ‘Melody’. Un son rond et chaud qui traverse tout l’album et qui a traumatisé les artistes trip-hop dans les années 90. Et puis, bien sûr, il y a la collaboration avec Jean-Claude Vannier, l’homme derrière les orchestrations qui aujourd’hui encore, sont copiées à foison, mais dont la maîtrise n’a jamais, de près ou de loin, été ne fut-ce qu’approchée.
«Melody Nelson a les cheveux rouges, et c’est leur couleur naturelle»
Durant plusieurs mois, Gainsbourg travaille sur les parties instrumentales guitare-basse-batterie-piano à Londres. Puis, il déclare: «J’ai une idée». Il rentre à Paris et rencontre Jean-Claude Vannier. Arrive cet orchestre de cinquante violons qui donne à “Melody Nelson” son envergure. Car tout le disque repose sur ces conversations en triangle entre la section rythmique d’un côté, les arrangements de cordes de l’autre et la voix narrée de Gainsbourg au centre. Les trois parties se croisent et se répondent, toujours avec finesse et style. Le résultat est un point de rencontre entre la pop, les ambiances cinématiques et un classicisme à la française parfaitement mesuré.
Comme nombre de grands disques intemporels, “Histoire de Melody Nelson” a été un flop commercial lors de sa sortie en mars 1971. Une vidéo mettant en image l’album en entier est sorti dans la foulée, mais rien n’y a fait. A peine 30 000 exemplaires furent écoulés à l’époque, alors qu’un an et demi auparavant, Gainsbourg était n°1 partout en Europe avec ‘Je t’aime… Moi non plus’.
Aujourd’hui, “Melody Nelson” est loué comme étant le classique de Gainsbourg, et ce aux quatre coins du monde. Son influence sur la scène musicale européenne et anglo-saxonne est immense: Air, Beck (pour qui “Melody Nelson” est “le meilleur mariage jamais réalisé entre un groupe de rock et un orchestre symphonique”), David Holmes, Ian Brown, Jarvis Cocker de Pulp, Portishead, Danger Mouse (dont le dernier projet “Rome” avec les musiciens de Morricone, fait beaucoup penser à “Melody”)… Ils sont nombreux à chercher, telle la pierre philosophale, la clé de ces arrangements de corde magiques, à vouloir retrouver l’atmosphère cinématique et érotique du disque.
Et il y a de quoi. A l’écoute de l’album, quarante ans après sa sortie, on est subjugué par sa modernité. Les Beatles ont dû attendre quarante ans pour avoir un son correct sur support numérique, mais “Melody Nelson” n’a jamais eu besoin d’être retouché. Sur vinyle, CD ou mp3, c’est la même magie. Le son est parfait. Les arrangements somptueux. L’atmosphère envoûtante. “Histoire de Melody Nelson” est tout simplement un chef d’oeuvre intemporel. En français dans le texte.
Didier ZACHARIE
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Tardis
13 novembre 2011 à 15 h 33 min
Cela vaut la peine de vérifier les prix annoncés, qui sont loin de ceux pratiqué sur les sites de vente en ligne… Et pour une fois à l’avantage du portefeuille…
Quelle classe, et quels somptueux arrangements de Jean-Claude Vannier…
Et tous les goûts étant dans la nature, moi je le trouvais plutôt beau, Serge…