Le groupe new-yorkais a étalé ses plages atmosphériques sous les voûtes du Botanique. Auteur d’un dernier album séduisant (‘Burst Apart’), The Antlers a remporté les faveurs du public. Pas notre ferveur.
Mardi soir. Le concert de The Antlers est attendu. Impossible de trouver une place depuis des mois. L’Orangerie affiche « complet de chez complet ». Bien aidés par les sites web spécialisés (cfr. Pitchfork) et les chroniques dithyrambiques, The Antlers promène son rock indé de parterres bondés en salles combles.
Les chansons classieuses de The Antlers tiennent en équilibre sur des structures électroniques complexes. Les murs (du son), quant à eux, sont érigés selon les méthodes traditionnelles : batterie métronomique, riffs explosifs et lignes de basse gonflées à l’hélium. Sous le toit (parlons plutôt de plateforme) de la bicoque, c’est l’antre de la sophistication. Les quatre musiciens évoluent tout en finesse dans un registre qui doit autant à Deerhunter qu’à Jeff Buckley. Evidemment, ça plaît. Trois voix se répondent en écho. Au centre, le chanteur Peter Silberman distille ses bons mots du haut de ses inflexions androgynes.
The Antlers a tout – ou presque – de la gravure de mode hipster. Chemises – avec ou sans carreaux, barbe mal dégrossies, mèches de cheveux soigneusement négligées. C’est ça le rock, coco. Sous ses attitudes un brin poseuses, les mecs façonnent une cloison sonique d’une impressionnante puissance. Entre mélancolie agressive et romantisme exacerbé, le concert se concentre principalement sur les derniers titres du groupe (‘I Don’t Want Love’, ‘Parentheses’, ‘No Widows’, ‘French Exit’, etc.).
Scientifiques du son, les musiciens de The Antlers cherchent d’abord à plaire. A taper dans l’œil. Pour ça, on ne leur en veut pas. Mais leurs expérimentations conduisent irrémédiablement leur musique sur des (kilomètres de) plages atmosphériques, balayées par des vagues d’arrangements luxuriants. C’est du rêve éveillé. C’est très très bien fait. Tout ça tend malheureusement à pousser le rock dans un décor aseptisé et sans relief. Hier soir, on a souvent eu l’impression d’observer une vitrine, d’applaudir l’image figée d’un rock estampillé « moderne » sans aucune autre forme de satisfaction.
The Antlers est un groupe à l’image de nos sociétés modernes. Miroir d’un monde aux abois qui cherche le réconfort et la sérénité au cœur de ses vieilles habitudes. On est dans le communément admis. Ce qui ne suffit pas toujours pour se réinventer. Où est l’excitation ? Où est l’innovation ? On est là, à s’estimer heureux de passer 90 minutes en territoires conquis, en terres connues. On sait que tout va bien se passer. Face à nous, rien ne déborde. Qualité, quantité : tout y est. C’est rassurant. On peut (presque) rentrer à la maison avec un certain sentiment de plénitude. Mais est-ce vraiment ça l’amour de la musique ? The Antlers est un formidable groupe de studio – ses albums en témoignent. Mais, sur scène, là où on célèbre la passion, le perfectionnisme affiché par la formation new-yorkaise éteint progressivement les feux (de l’amour). Ce concert était long, répétitif et, paradoxalement,
hyper touchant. En bout de course, il ne restait que la tendresse. Le grand incendie n’a pas eu lieu. Il y avait beaucoup de monde. On était serré. On a eu chaud. C’est tout.
Nicolas ALSTEEN
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bousval
23 novembre 2011 à 15 h 00 min
Je partage en partie l’avis ci-dessus même si je serais plus modéré. Ils excellent dans l’interprétation (trop propre, c’est vrai) de leurs morceaux. Mais ceux-ci ne sont pas tous renversant par contre. Et c’est là que le bât blesse pour moi. Une fois que l’on a compris leur code “post trip hop sur l’intro, refrain haut en voix et sortie en mur du son post-rock”, on est de moins en moins bluffé au fil du concert. Reste leur interprétation magistrale et un catalogue loin d’être dégueulasse. Ce qui est déjà pas si mal, non?
marc
23 novembre 2011 à 16 h 43 min
Je dois dire qu’il m’a fallu un temps d’adaptation, le temps pour que le son s’installe (littéralement, la balance était un peu boiteuse au début).
Après, c’est une question de ressenti. Je comprends qu’on reste un peu froid face à ce perfectionnisme distant. Mais cette musique-là ne permet pas l’à-peu-près, l’improvisation, de basculement de l’équilibre. On peut en dire autant de Deerhunter (justement cité), Radiohead ou le post-rock.
C’est donc peut-être tout simplement une conséquence inévitable du genre pratiqué. J’attendrai autre chose (je veux dire des sensations différentes) d’Okkervil River et Sunday Bell Ringers vendredi ou Marissa Nadler dimanche…
Enfin, voilà quoi…
Quelques mots et images de mon cru: http://mescritiques.be/spip.php?article1482
Benjax
23 novembre 2011 à 17 h 41 min
Salut,
Avant de dire ce que j’ai à dire, deux rapides considérations :
primo, je n’étais pas au concert donc je ne peux rien en dire à proprement parlé (même si je le fais de façon indirecte), et deuxio, je trouve que cet article est très bien écrit, ce qui est loin d’être toujours le cas sur les sites de reviews de concerts.
Mon intervention rejoint totalement celle de marc. Rien qu’à l’écoute des albums de The Antlers, il me semble que cela saute aux oreilles (sic) que ce groupe ne sera pas une bête de scène bondissante et pyromane. Les albums étant en effet très bien arrangés, je m’attendrais précisément pour ma part à quelque chose de très statique dans une forme de retenue toute en concentration.
Si on devait critiquer tous les groupes en live qui jouent en premier lieu sur le perfectionnisme de la prestation, on peut mettre à la poubelle pas mal de concerts pourtant hautement recommandables en musique indie, typiquement genre Bon Iver, Grizzly Bear ou encore James Blake (voir en effet tous les morceaux post-Ok Computer de Radiohead.) Ou alors on ne les aime déjà pas à la base pour cette raison précise, ce qui est tout à fait compréhensible…
En d’autres termes, il me semble normal et logique d’avoir droit à quelque chose d’intimiste et de long en bouche devant The Antlers, et le contraire me choquerait presque. Le tout est de savoir à quoi s’attendre… Si je vais voir Fucked Up et que je me place au premier rang, je m’attends à perdre de l’audition et à ruiner mon cou par exemple 🙂
Voilà, je voulais juste apporter ma petite pierre à l’édifice très “avocat du diable” élevé par les deux commentaires précédents. Merci encore pour cette belle critique, et au plaisir d’en lire d’autres!
bousval
24 novembre 2011 à 8 h 29 min
Je suis complètement Marc qui une de fois plus voit très juste quand il rappelle que le genre pratiqué ne permet pas d’écarts.
Par contre, là où je coince c’est par rapport aux nombreuses comparaisons à Deerhunter. Chez Deerhunter, il y a du grain, des poils qui dépassent, du vécu. La voix est douteuse et loin d’être parfaite comme ici. La basse est vrombissante, sale, à la Pavement. Les guitares sont dissonantes. Et c’est tout ça qui rend Deerhunter si excitant là où s’ennuie parfois à écouter les, certes très beaux, morceaux des Antlers.
Caral
24 novembre 2011 à 9 h 41 min
C’est probablement aussi ce côté “interprétation” de leurs propres titres qui pousse au rapprochement avec Deerhunter. Et aussi ce côté faux-brouillon ultra-préparé mais hyper agréable.
Moi, je ne boude pas mon plaisir. J’ai apprécié. Et j’ai tenté de l’écrire par ici: http://www.goldsoundz.be/shows/the-antlers-le-botanique/