Lana et la cruelle culture du vide

On vit une époque formidable. Tout se vend, même le vide. À commencer par le vide. Vous n’avez rien à vendre, rien à dire ? Pas grave, avec quelques bons réseaux sociaux, vous pouvez tout de même le vendre.
La chanteuse américaine Liz Grant, rebaptisée Lana del Rey avec l’accord d’un petit malin d’Universal qui a dû également lui conseiller de se gonfler la lèvre supérieure au botox, vient d’en faire les frais, nouvelle icône vite déboulonnée de son piédestal médiatique.
Véritable star du web depuis près d’un an alors que personne n’a encore entendu son album à paraître fin de ce mois, Lana a chuté avec une prestation ratée à l’émission Saturday Night Live. Et des revanchards de se réjouir en twittant tout le mal à penser de la vedette de pacotille. On devine le sourire carnassier et la bave aux lèvres. Bien fait pour la chienne prétentieuse ! Idem quand Britney se plante dans son play-back ou quand Dame Gaga se casse la figure sur scène. Idem quand l’une ou l’autre s’effondre en larmes.
Mais là n’est pas le plus grave. La planète Internet est devenue à ce point folle que tout est buzz, à commencer par le vide intersidéral. Andy Warhol avait prédit quinze minutes de célébrité à n’importe quel gusse. En ce qui concerne Paris Hilton (la championne toutes catégories) ou, en France, Mickael Vendetta, cette célébrité basée sur du vent ou un subtil alliage de fric et de bêtise, atteint des sommets de stupidité affligeante.
Mais que foutent Lindsay Lohan et Kim Kardashian dans la vie, sinon exhiber leur anatomie aux paparazzi affamés ? Que proposent-elles d’intéressant, d’original, de créatif ? Lady Gaga vend également son image mais elle, au moins, bosse en écrivant des chansons et en les chantant lors d’interminables tournées mondiales.
Peut-être que Lana del Rey n’est pas qu’une belle plante refaite. Peut-être qu’elle est la prochaine dont on sera tous Gaga. Son « Video games » est de fait très alléchant. Mais pourquoi vendre la peau de la gamine avant même de l’avoir entendue (car tuée, huée, vue, c’est fait !) ? Pourquoi cette précipitation ? Pourquoi ne pas laisser le temps à la petite de faire ses dents sur scène, de sortir son album à son aise, et ensuite… libre à chacun de juger sur le fond ce qu’elle a à dire, ce qu’elle propose.
Le fond ? On s’en fout dorénavant. Seul compte la forme. Tout le monde se prend pour un nouveau Steve Jobs passé maître dans le marketing de produits aux allures d’œuvres d’art. Mais on oublie un peu vite que derrière lui, il y avait une armée d’ingénieurs.
Donnez-nous donc du sens, de l’intériorité, de l’épaisseur… Et, please, arrêtez de leur gonfler les lèvres! THIERRY COLJON


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