Uman & King Lee: “Le hip hop, c’est un style de vie”

King Lee et Uman, deux «anciens » de nos scènes urbaines, entament 2012 avec un nouvel album. Un chacun… où chacun pose ses rimes et des constats. Entre le fun et les textes conscients, ils comptent cela dit quelques points et avis communs. Petit florilège d’une discussion à bâtons rompus dans un café du centre de Bruxelles, entre culture et politique…

Est-ce encore parfois compliqué de sortir en Belgique un album de musique «urbaine» ?

King Lee : Malgré tout ce qu’il y a eu en hip hop en Belgique depuis plus de 20 ans, ça reste une musique qui n’est pas encore reconnue à sa juste valeur.

Uman : Il y a des raisons. Chez nous, il n’existe pas de star system comme en France ou aux États-Unis. Les maisons de disques ont les mains liées sauf si c’est pour sortir du gros succès. Et culturellement… mes parents écoutaient plutôt Elvis que Sam Cooke. Tout ça fait que cette musique ne trouve pas de gros relais ou d’écho.

Même auprès des institutions ?

U. : Il y a une chose que je pointe doucement du doigt, c’est la récupération sous forme d’alibi social, pour encadrer les jeunes. Alors que par essence, le hip hop et les contre-cultures urbaines sont le contraire. C’est un peu cracher dans la soupe parce que cet album-ci a reçu le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et c’est très difficile d’avoir une résonance autrement, mais j’ai tendance à penser que quand les petits se lancent, on les encadre vite avec des « activités rap ». Le rap, c’est un style de vie, la pelle avec laquelle tu fais ton trou, et pas l’assiette avec laquelle tu vas faire la manche.

K. : Les radios ne jouent pas pleinement leur rôle. Pas plus que les organisateurs de concerts. A la grande époque de Starflam, on était déjà Disque d’Or en Belgique et on jouait à 14h au Pukkelpop pour 1.000 euros…

U. : Quand tu es le premier à ouvrir la porte, tu ne bénéficies jamais de tout ce qu’il y a derrière ! En même temps, ce qui m’emmerde avec cette question, c’est que, voilà, nous sommes déjà à nous plaindre. J’ai pas envie de dire qu’on ne croit pas en nous ou qu’on ne nous soutient pas. Parfois, ce sont des données réelles, mais pas des bâtons dans mes roues. Je les contourne !

K. : Je ne suis pas en train de me plaindre non plus, je constate juste que si je sortais un album pop-rock, ce serait plus facile, je pense.

Pour vous, «être artiste » et « engagement », c’est indissociable ?

K. : On peut faire de l’art pour l’art, des choses qui sont belles, ou faire de l’art qui pose un regard sur la société dans laquelle tu vis. C’est un terme que je n’aime pas : c’était bon pour l’époque des Léo Ferré, que je respecte tout à fait, mais c’est difficile de me définir moi-même comme un artiste engagé. Le monde dans lequel je vis nourrit ma musique et mon écriture. Je pourrais écrire des belles chansons, mais c’est pas ma voie.

U. : Ce qui me dérange dans cette notion, c’est que quand tu t’engages, tu engages des autres derrière toi. Je ne suis ni curé, ni chef , et je suis tellement amoureux de ma liberté que je ne voudrais pas avoir l’air de conduire qui que ce soit n’importe où. Mon seul engagement est d’avoir un point de vue. Et je trouve décevant que la plupart de mes confrère humains n’en aient pas. Mais je ne m’engage pas à leur en donner un. Et le mien ne vaut pas raison.

1 – Uman, The Clash et l’engagement
2 – King Lee, Jordy et la politique
3 – The Clash, donc, et le hip hop

Jusqu’où « représentez »-vous et aimez-vous chacun votre ville ?

U. : Je suis un vrai ket de Bruxelles. J’y suis né, j’ai toujours vécu dans les 5 communes entourant la Grand Place. Je parle un peu flamand, un peu français, un peu anglais. Je me sens bien dans une ville où il y a autant de Flandre que de Wallonie. Après, j’ai autant de plaisir à aller jouer en Wallonie qu’en Flandre. C’est parfois plus dur dans les « patelins », mais comme partout.

K. : Je suis né à Liège, à la clinique Sainte Rosalie ; je crois que l’endroit où tu nais influence toute ta vie. C’est une ville magnifique pour y vivre un moment, mais c’est bien aussi d’aller voir ailleurs. Par rapport à Bruxelles, Liège a encore ce côté village, avec ses avantages et ses inconvénients. Mais j’aime aussi la Flandre : à l’époque de Starflam, sur 10 dates, on en faisait 8 en Flandre. En même temps, je trouve que Liège a beaucoup perdu de sa vie nocturne, est devenue blasée. Des grosses structures, que je ne nommerai pas, ont pris le pas. On est donc effectivement dans les soirées, l’électro, des dj’s qui font des sets les mains en l’air, un public super jeune, et tout le côté plus underground a disparu.

U. : A Bruxelles, l’underground bouge, et dans tous les styles musicaux. Après, le monde s’aseptise à une vitesse de dingue…


Propos recueillis par Didier Stiers
(Photos: Thomas Blairon)


UMAN
Avec son album Umanity, dans les bacs depuis fin janvier et pur produit home made, Manu le Bruxellois n’en est pas à son coup d’essai non plus. En 2007, L’aventure c’est l’aventure indiquait déjà ses préférences musicales : à chercher du côté de la Jamaïque. Le regard qu’il pose sur le monde peut se faire acide, mais n’empêche… « Les vrais responsables de l’état dans lequel le monde se trouve, en tout cas en démocratie, ce sont les électeurs. Nous. Mais pour obtenir la démocratie, c’est-à-dire le pouvoir de changer les choses, il faut avoir une notion de ce qu’elles sont ces choses. La clé, c’est l’éducation ! »

“Marie” (unplugged)
“Bienvenue en Belgique”

KING LEE
Alias Pavé, et Pierre Etienne dans la vraie vie, il vient de donner un successeur au 400 blowz de l’enfant pavé sorti en 2008 avec Menace2Wallifornie paru lui aussi sur le label Freaksville de Miam Monster Miam. Au menu : du rap old school, conscient parce qu’il pose le regard sur notre société. Notez, on retrouve aussi King Lee, ex-Starflam, sur les listes du PTB à Liège : « Si je veux encore croire à la démocratie, et en tout cas au système représentatif, je ne vois justement pas d’autres solutions que de s’engager à un moment donné. Je ne vois pas d’autre alternative, à part peut-être la guérilla urbaine. »

“Menace2Wallifornie”
“L’enfant”

Didier Stiers

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