Garbage is back ! Il était temps. Après sept ans de réflexion, la même équipe constituée de Shirley Manson, que nous avons rencontrée à Paris, et des trois Wisconsiens, revient pour le meilleur.
Shirley est venue seule à Paris. Sans ses trois vieux complices américains. Comme elle adore parler et que le travail ne lui fait pas peur, elle se charge seule de la tournée promotionnelle européenne, enfilant les interviews au pas cadencé. Dans une ravissante robe noire très habillée, elle nous reçoit au bar de son hôtel parisien, à deux pas de l’Olympia que Garbage remplira sans problème ce 16 mai. Cela fait sept ans que nous ne l’avions vue et elle n’a pas changé. Toujours aussi rousse, toujours cet accent écossais garni de grands éclats de rire, toujours aussi passionnée… Shirley Manson tient la forme.
C’est la première fois qu’un album de Garbage n’est pas enregistré aux fameux Smart Studios de Madison (Wisconsin) d’où sont originaires vos trois complices. Où vivez-vous maintenant ?
Mon rêve serait de vivre en France. En attendant, je vis à l’opposé : à Los Angeles, tout comme Butch qui vit pas loin de chez moi. C’est pour ça qu’on a choisi un studio de Los Angeles pour enregistrer l’album.
Ce disque est produit sur votre nouveau label, Stun Volume. L’idée est-elle aussi de produire d’autres groupes ?
L’idée de ce label, au départ, est de chevaucher nos propres chevaux. Maintenant, tous, on se dit qu’on pourrait donner un coup de main à d’autres. Parce qu’on a beaucoup d’expériences dans ce foutu business.
Vous dites que vous étiez tellement fatigués et malades du comportement de votre firme de disques que cela a précipité votre décision de tout arrêter. Pourtant, vous avez toujours réalisé les disques que vous aviez en tête, sans contraintes…
Oui, on a fait les disques que nous voulions, mais ce processus de réalisation et de promotion de l’album est une petite goutte dans l’océan. C’est après que les négociations commencent pour mener une carrière, une stratégie qui n’a plus rien à voir avec l’art et le fait d’être un artiste.
Comment, à la fin, ça se passait au sein du groupe ? Ne souffriez-vous pas de tensions nées de la fatigue, d’une certaine lassitude ?
Non, nous ne nous disputions pas. On était vidés. On ne s’amusait plus tous les quatre, sinon quand nous étions sur scène. On était surtout triste de voir que notre firme de disques n’en avait plus rien à foutre de nous. Nous ne les intéressions plus, ils n’avaient aucune idée sur la façon de résoudre les problèmes du groupe. Mais nous avons notre part de responsabilités. Nous tournions comme des malades et eux ne faisaient rien pour que les radios diffusent nos disques.
Il ne s’agit pas de votre faute mais de votre essence : Garbage n’est pas un groupe comme un autre et votre musique ne vous permet pas d’entrer dans une catégorie, qu’elle soit rock, électro ou pop… Le seul malentendu est venu du fait que vous avez vendu beaucoup de disques au début. Vous êtes devenus très populaires, ce qui ne fait pas de vous un groupe pop pour autant…
Ça a été dur pour nous de savoir qui nous étions. On a peut-être passé trop de temps à alterner studio et scène. Il ne s’agit pas que de fatigue. Un artiste doit garder sa capacité à appréhender ce qui se passe dans le mainstream de la culture populaire, afin de pouvoir la commenter, voire la remettre en cause. C’est le rôle de l’artiste et là, on n’a pas senti à quel point les choses avaient changé depuis nos débuts. Il a fallu qu’on arrête pour s’en rendre compte.
Mais dès le départ, Garbage était un curieux mélange entre trois « vieux » Américains du Midwest et une jeune chanteuse écossaise. C’est ce curieux mariage qui a donné des étincelles…
C’est ce qui explique pourquoi personne ne nous a remplacés. On est toujours vieux et étranges et sept ans plus tard, rien n’a changé. Ce long break nous permet de mieux comprendre ce qu’on a fait et qui nous sommes. On avait un son qu’il est inutile de vouloir changer. On est trop vieux pour ça. On n’a pas besoin d’être jeunes et de sentir l’actuel son de la rue. Notre responsabilité est de livrer aujourd’hui un foutu bon disque, c’est tout.
En arrêtant tout, vous ignoriez bien sûr que ce break durerait sept ans. Qu’avez-vous fait tout ce temps ?
J’ai soigné mon cancer du cerveau. Non, j’rigole. J’ai d’abord déménagé à L.A. où j’ai acheté une maison. J’ai sauvé un chien. J’ai appris à conduire. Puis j’ai beaucoup voyagé dans tous ces pays que je rêvais de voir depuis longtemps : en Inde, en Afrique… J’ai travaillé avec d’autres musiciens. J’ai écrit des chansons pour un hypothétique album solo…… Qui n’a finalement jamais vu le jour…
Je sais, mais j’avais d’abord besoin de disparaître de la vue du public. J’avais besoin de calme et c’est vers une musique calme et intimiste que je tendais. Ma firme de disque voulait un disque avec des tubes pop mais ça ne m’intéressait pas. J’ai donc refusé. J’ai joué dans des séries télés. J’ai adoré jouer à l’actrice. Et puis je me suis mariée.
Mais toujours pas d’enfant ?
Beurk, non merci. Je n’ai pas de place pour un enfant dans mon utérus. J’étais davantage prête pour un nouvel album.
Et donc vous avez décidé de vous revoir tous les quatre ?
Je voyais souvent Butch puisqu’il vivait à cinq minutes de la maison. Je suis la marraine de l’enfant de Steve. Duke est le seul que je voyais moins. C’est notre agent, une amie qui nous connaît depuis toujours, qui un soir nous dit : « Quel est votre foutu problème ? Bougez-vous le cul. Personne ne vous a remplacés. Il n’y a plus de femme dans les groupes de rock… »
Il n’y a plus du tout de rock bands dans les hit-parades, si l’on excepte Foo Fighters (que produit Butch) et Muse…
C’est vrai. Il n’y a plus personne. Il y a plein de filles qui font de la pop, du r’n’b ou du folk, mais plus de rock. Notre agent nous a d’abord proposé de jouer au Hollywood Bowl avec l’orchestre symphonique de Los Angeles. J’ai donc appelé les gars et ils ont tous dit oui. On a loué un studio, on a vidé quelques bouteilles de vin rouge, on a beaucoup ri puis on a commencé à jouer. La première chanson qui est sortie est « Battle In Me ». On a « jamé » et on s’est tous rendu compte que c’était vraiment ça, ce son, qu’il fallait préserver. Il fallait en faire un album.
Ce disque a-t-il du coup été plus facile à faire que les précédents ?
Pour moi, oui. C’est le plus facile que j’aie jamais fait dans ma vie. Il y avait moins de préparations. C’était plus jouer. On a essayé des trucs stupides. J’ai joué du mélodica, des synthés… C’était fun.
Ce disque est plus guitares, avec moins de boucles. L’idée était : « back to the roots » ?
Non, on s’est plutôt considérés comme des débutants, sans plus penser à ce que nous représentions, ce que nous avions fait ou pas. C’était comme si je les voyais pour la première fois, en retrouvant cette alchimie particulière au groupe. C’était toujours là.
Le titre « I hate love » est du pur Garbage…
Je trouve aussi. Je sais que le titre est provocateur mais je suis comme ça. Je déteste l’idée d’aimer quelqu’un qui ne vous aime pas en retour. C’est une torture. Mon père m’a engueulée : « Comment peux-tu écrire une chanson pareille ? Comment peux-tu être si négative ? C’est honteux… » J’ai dû lui expliquer le sens de la chanson qui dit l’inverse en fait.
De ne plus être à Madison n’a rien changé ?
C’était important de ne plus être dans notre ancien environnement. Il ne fallait pas retomber dans nos vieilles habitudes. Il fallait du sang neuf, un nouveau feeling. Ce disque n’a rien de nostalgique. Il ne fallait pas rester bloqué sur le passé. Il y a trop de come-back d’artistes coincés dans l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes et de ce qu’ils ont réalisé dans le passé. Il y a tant de ces chanteurs célèbres qui reviennent vieux et tristes, courant après leur passé glorieux, leur jeunesse. C’est sans intérêt. Je comprends, ceci dit, ceux qui sont victimes de toutes ces terribles raisons qui les poussent à revenir : l’argent ou juste pour se sentir à nouveau célèbres.
Vous restez vous-même. Vous avez beau vivre à L.A., cela ne fera pas de vous une Américaine…
Pour vivre à L.A., il faut vous préparer à de légères adaptations. La vie y est loin d’être parfaite. Vous ne pouvez contrôler ce qui vous arrive dans la vie. Il vous faut bien savoir ce que vous voulez y faire. J’ai vu des choses choquantes en Inde, qui me poussent à être heureuse d’avoir un toit et d’être là où je suis. Je ne vais pas me plaindre. Je suis là aussi parce que mon mari en avait besoin.
Vous n’avez pas le mal du pays, loin de l’Écosse et de l’esprit européen ?
J’ai amené cet esprit avec moi. J’ai vécu trente ans en Écosse et je veux de la nouveauté. L.A. est une ville incroyable à certains égards. Ce n’est pas Paris bien sûr. À L.A., vous sortez de chez vous et vous voyez les montagnes, le vert, la mer… Vous n’avez pas ça à Paris ni le soleil tous les jours.
Vous êtes repartie pour une longue tournée avec Garbage, comme avant…
C’est notre boulot, on fait de la musique. De nous quatre, c’est vrai que c’est moi qui prends le plus mon pied. Ce n’est pas parce que je suis la chanteuse, mais c’est plus dû à la capacité à ressentir de la joie et de l’enthousiasme sur scène. Je ne suis pas cool, je suis passionnée. J’ai faim de ça… J’adore être sur la route. Quand je suis sur scène, je ne suis pas quelqu’un d’autre, je suis la meilleure version de moi-même. La plus généreuse, la plus aimante, la plus sûre de moi… Ceci dit, je suis terrifiée à l’idée du premier concert. J’aime aussi m’habiller pour la scène, ça fait partie du merveilleux. C’est un show, une célébration.
Vous sentez-vous différente malgré tout ?
Oui, j’ai beaucoup changé. L’inverse serait triste. Je me sens moins peureuse qu’avant. Ma mère est morte récemment, j’ai été dévastée et en même temps, ça m’a renforcée. De ne plus avoir le soutien le plus important de ma vie m’a forcée à devenir plus adulte. Du coup, je me prends davantage en main. Je n’attends plus de l’aide venant d’ailleurs. J’ai commis des erreurs que je ne commettrai plus.
Vous revenez à Werchter…
Ah, quels souvenirs… On a toujours été bons là. C’est un chouette festival. On y jouera surtout nos anciennes chansons. Il faut laisser aux gens le temps de se familiariser avec le nouvel album. Il faut aussi donner aux gens ce qu’ils attendent…
La critique du CD http://mad.lesoir.be/musiques/pop-rock/cd/38624-garbage-not-your-kind-of-people/?refresh=1
http://www.myspace.com/garbage