“Playlist” : Thierry Coljon retrace ses souvenirs de critique musical au journal “Le Soir”. Editions Luc Pire, 192 pages, 21 euros, en librairie dès le jeudi 15 novembre 2012.
Prince, Sign O’ the Times. Le signe des temps est celui du sida et d’un double album absolument fou et furieux. Tout le génie de Prince éclate ici d’une façon à la fois moderne et ancrée dans l’héritage soul.
Depeche Mode, Music for the Masses. Le disque de la conquête américaine. Never Let Me Down Again chante un Gahan sous la plume très pop d’un Martin Gore de plus en plus à l’aise à la guitare.
U2, The Joshua Tree. L’album américain de U2 sera leur plus gros succès. Chaque chanson est un bijou, de With Or Without You à Where the Streets Have No Name.
Chris Isaak, Chris Isaak. L’ange californien livre avec Blue Hotel de quoi inspirer David Lynch et Bruce Weber.
INXS, Kick. Il aura fallu dix ans au groupe de Sydney pour conquérir le monde. Avec le charisme de Michael Hutchence.
Eric Clapton. Avec un guitariste de luxe : Mark Knopfler. C’était le 17 janvier à Forest National.
Paul Simon. Le 4 février, Paulo présente à Forest Graceland in Concert qu’il représentera 25 ans plus tard au même endroit.
Psychedelic Furs. Le 12 mars au Brielpoort de Deinze, un fabuleux show en noir et blanc.
David Bowie. Le Glass Spider Tour le 30 mai à Feyenoord avant le terrain de Werchter le 2 juin.
U2. Joshua Tree sur scène le 17 juin à Cologne, au Müngersdorfer Stadion, avant le 8 juillet à Forest.
Thierry Coljon revient sur les souvenirs et anecdotes qui ont marqué ses 30 ans de journalisme musical dans «Le Soir».
Que tous les grands artistes du moment se retrouvent en un seul été à Werchter ne surprend plus grand monde de nos jours. Mais cela n’a pas toujours été le cas. En 1987, on avait encore l’impression de rêver éveillé. Voir dans le même mois de juin Prince et Peter Gabriel à Paris-Bercy, avant leur venue à Anvers et Werchter, me mettait « dans un état qui a nécessité un internement rapide » (c’est du moins ce qui parut en Une du « Soir »). Ils venaient de publier Sign O’ the Times et So et on en était encore à courir les voir partout où c’était possible.
Voici ce que j’écrivais dans le MAD le 18 juin : « Il n’est pas encore trop tard pour vous en rendre compte mais sachez dès à présent que nous vivons, en cette année de grâce 1987 de l’ère chrétienne, une époque formidable où s’affrontent, dans un mouchoir de poche spatio-temporel, tous les chefs de file de la grande famille du rock. Le monstre Genesis (médaille de la longévité – vu à Malaga), le roi Bowie (prix de la meilleure mise en scène – vu à Rotterdam avant Werchter), l’archange Gabriel (palme d’or toutes catégories), les chevaliers U2 (mention spéciale des années 80 – vu à Cologne avant Forest-National), et bientôt, la Madonna (prix d’interprétation féminine).”
« Notre Prince qui êtes aux dieux », titrions-nous. On aurait pu faire de même, en octobre de la même année, avec deux autres dieux (de la trompette cette fois) qui, le même soir, à Anvers, m’ont ébloui. Après le concert de Miles Davis à la salle Elisabeth d’Anvers, sous les ors du Belga Jazz Festival, il était possible d’aller entendre Chet Baker dans l’intimité du Riverside Club, à deux pas. Après la lumière, l’ombre, celle d’un homme décharné, porté véritablement sur scène car son état de camé à mort l’empêchait de marcher. Une fois assis, il souffle dans sa trompette et le corps se redresse, le visage s’illumine et il nous est donné d’entendre le plus beau chant du cygne. Sept mois plus tard, il mourait défenestré d’un hôtel amstellodamois.
Et on termine l’année avec la rencontre d’un cas : George Michael, et d’une légende : Serge Gainsbourg. Le premier fait la promotion, à Amsterdam, de son premier album solo, Faith. Adorable, il répond à toutes les questions. Quand on lui demande s’il est gay, celui qui n’a pas encore fait son coming-out me répond : « Je n’ai jamais souffert de ces rumeurs. Ma carrière ne s’en est jamais ressentie. Il s’agit de mensonges inévitables dans ce milieu. »
Plus concentré, Gainsbourg me reçoit dans sa suite royale de l’hôtel Astoria, à deux pas du « Soir », pour une heure d’entretien exceptionnelle, avant la conférence de presse – oui, être journaliste au « Soir » est un privilège – de présentation de son album You’re under arrest (titre d’un album de Miles mais ça, il s’en fout le Gainsbarre). Serge, me voyant impressionné, tremblant comme une feuille, me met tout de suite à l’aise, me sert une flûte de champagne rosé. Prévenant, attentionné, généreux… belle leçon d’un grand homme qui me demande de le tutoyer. Et c’est parti pour une nouvelle « plus belle heure de ma vie ». Je ne résiste pas au plaisir de lui demander des nouvelles de sa fille Charlotte, comment elle supporte la célébrité apportée par le film Charlotte for ever et le tube « Lemon Incest » : « Charlotte est très secrète, même avec moi. Elle n’est pas perturbée à ma connaissance. J’en veux pour preuve qu’elle a toujours de très bonnes notes au lycée, qu’elle a un flirt et qu’elle continue le piano… »
THIERRY COLJON
Bonus internet : VINCENT QUITTELIER