“Playlist” : Thierry Coljon retrace ses souvenirs de critique musical au journal “Le Soir”. Editions Luc Pire, 192 pages, 21 euros, en librairie dès le jeudi 15 novembre 2012.
Jeff Buckley, Grace. Rarement album n’aura si bien porté son titre. Seul album studio sorti de son vivant, ce Grace, avec la relecture somptueuse du Hallelujah de Cohen, n’a rien perdu de sa beauté.
dEUS, Worse Case Scenario. Ce premier album du groupe anversois va inciter toute la scène belge à se bouger et à oser un rock original, sale et décomplexé.
Beck, Mellow Gold. Le Prince blanc ? Pourquoi pas, tellement Beck Hansen sait tout faire et livre ici un cocktail rap, funk et country, mené par Loser.
Ben Harper, Welcome To the Cruel World. Premier album révélant un bluesman californien qui aime fausser les pistes entre rock et gospel.
Portishead, Dummy. Le monde est bleu avec ce groupe de Bristol qui parvient à trancher avec le modèle Massive Attack. De Glory Box à Dummy, on plane en pleine nuit.
Stephan Eicher. Quelle joie de voir Stephan remplir Forest National, le 1er février, huit ans après notre première rencontre.
Barbara. La grande dame en noir invitée au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, par le Botanique, le 28 février.
Paul Weller. Lui – comme tous les autres Nits, Texas, Bashung, Nick Cave, Dinosaur Jr. – c’est au Lunatheater qu’on le voit. Le 17 avril.
Lo’Jo Triban. Fabuleux concert donné le 27 septembre au Théâtre 140, notre salle préférée.
Pino Daniele. Dernière apparition en Belgique du grand chanteur italien. C’était le 13 novembre au Cirque royal.
dEUS : Le miracle ex machina !
Mano Solo : Mano et Bruno au Bota
Thierry Coljon revient sur les souvenirs et anecdotes qui ont marqué ses 30 ans de journalisme musical dans «Le Soir».
Le plus grand des hasards participe souvent à la découverte d’un artiste. Après Cesaria Evora, l’année précédente, c’est une autre chanteuse qui me charmera au travers de différentes pérégrinations. Ainsi quand je reçois un coup de fil de l’ami bruxellois d’une jeune chanteuse israélienne, je ne fais pas encore le lien avec celle dont m’avait parlé, un an plus tôt, le guitariste Pat Metheny, qu’il avait découverte et comptait produire. Elle s’appelle Noa et son ami Michel Braunstein est suffisamment convaincant pour que j’accepte, en avril, avant même la sortie de son premier album, une interview téléphonique avec celle qui habite Tel-Aviv. Le courant passe, le charme agit et quand je découvre qu’elle se produit au Criterion Theatre londonien, je ne résiste pas au plaisir d’aller la voir et la saluer. Un mois plus tard, c’est à Tel-Aviv que je la retrouve, avec son complice Gil Dor et un an plus tard, elle remplit les Beaux-Arts de Bruxelles où je la vois sur scène pour la cinquième fois.
Mais il ne faut pas toujours aller très loin pour se faire des amis. Ainsi, je craque sur le premier EP d’un groupe inconnu. Sans doute anglais ou américain tellement c’est bon, fort et original. Ce n’est qu’en cherchant le numéro de téléphone du management que je me rends compte que le préfixe est +32-3… à Anvers donc. Le groupe s’appelle dEUS. On me passe le chanteur qui s’appelle Tom Barman. Ce dernier m’avoue qu’il s’agit pour lui de sa première interview en français, qui paraît dans « Le Soir » le 17 mars 1994.
Ce n’est évidemment pas une raison pour rester assis derrière son bureau et ne pas se balader aux quatre coins de monde en quête de nouvelles sensations. Entre Lucio Dalla à Naples et Adriano Celentano à Florence, on ne choisit pas. Les quatre de R.E.M. ont une heure à nous consacrer à Dublin ? On court, on vole… La nouvelle tournée américaine des Stones, qui passe par le Giant Stadium, me permet même de faire un saut de puce de New York à Atlanta où nous attend J.J. Cale. En débarquant à son hôtel, je demande à un roadie sortant des valises d’un car si J.J. est bien là, avant de me rendre compte que c’est au légendaire guitariste quinquagénaire à qui je parle. Le concert me charmera plus que la ville envahie par des bretelles d’autoroutes.
A l’inverse, Miami Beach me séduira plus que Jon Secada, le chanteur sorti de la cuisse de Gloria Estefan qui, malgré les efforts louables de sa forme de disques, ne parviendra jamais à conquérir le public européen non latino. On préfère encore aller à Bath retrouver notre ami Peter Gabriel ou découvrir dans un tout petit club parisien le jeune Mano Solo appelé à vivre une véritable carrière.
A Bruxelles, il se passe aussi toujours quelque chose. C’est là que nous donne rendez-vous Leonard Cohen le fidèle. Ou, pour la première et dernière fois (car il n’aime pas trop l’exercice de l’interview), Paul Weller, charmant au demeurant. Sur scène, c’est Nick Cave qui bluffe tout le monde à la Luna, où tout le monde se retrouve en attendant la réouverture de l’AB.
Et on termine par une petite pensée émue à Whitney Houston. Eh oui, c’est en 1994 qu’à Rio, elle a débarqué avec sa montagne de valises, confisquant notre chambre – sans nous prévenir – pour installer ses bodyguards, avant de monopoliser la piscine, n’allant faire trempette qu’après que ses gardes du corps eurent veillé à ce que personne ne puisse gêner ses quelques brasses d’ondine au faîte de sa gloire.
THIERRY COLJON
Bonus internet : VINCENT QUITTELIER