Cannibal Stage, anciennement Cannibal Blue Stage… Rien que l’intitulé est déjà tout un poème ! On vous l’assure, le « Blue » n’a rien à voir avec le son planant d’un Sébastien Tellier, et le « Cannibal » n’est pas un mensonge : le groupe qui se produit en général sous ce chapiteau a de l’organe plus puissant que celui d’un ogre coursant des petits enfants dans les bois. Exemples : The Experimental Tropic Blues Band vendredi et Caliban ce samedi. « Reviens, gamin, on a des choses à te raconter sur ces artistes-là aussi ! »
Sur Caliban, par exemple… Ces Allemands-là ont plus à voir avec le mutant de chez Marvel que le personnage de La tempête de Shakespeare. Encore que, pour faire hurler la tempête, ils s’y entendent. Bref, Caliban c’est un chanteur dont le français cache bien ses origines teutonnes. Une collection de rouflaquettes tellement énormes qu’elles semblent avoir été découpées dans le paillasson pectoral de Demis Roussos. Des gratteux qui font hurler et gronder leur instrument, mais qui prennent aussi la pose, un pied planté sur les retours, la tête qui headbange en cadence, même quand elle est rasée à zéro.
Et très franchement, il n’y a pas de quoi ironiser. Présents pour la troisième fois à Dour, ces jeunes gens pratiquent un mix de metal- et de hardcore, mais n’en font pas moins régner une chouette atmosphère sous le chapiteau. L’excitation n’exclut pas le respect, et c’est ce qu’on comprend vite quand ils lancent les festivités dans le circle pit. Et si l’un ou l’autre accro monte sur scène pour s’offrir une petite séance de stagediving, le cas échéant avec une bouteille débouchonnée histoire d’arroser au passage ceux qui se trouvent en-dessous, personne ne vient se saisir de sa personne pour aller la planter manu militari dans la boue qui encercle la Petite Maison dans la Prairie. C’est-à-dire loin, à l’autre bout du site !
Reste que cette Cannibal Stage a une réputation, et que ceux qui s’y produisent jouent rarement du Bontempi. Napalm Death, par exemple, qui a beaucoup traumatisé le rédac chef du No Bullshit. Ou Meshuggah, vendredi soir. Le genre de cocos, quand on les entend, on se dit que quelqu’un est sorti de l’enfer en oubliant de fermer la porte derrière-lui et que tout ça va très mal terminer. Jay Mascis avait très envie d’aller les écouter ; espérons qu’il ne lui soit rien arrivé !
Du coup, vendredi, – toujours – quand les Tropic s’y sont installés vers une heure du matin, ils éprouvaient encore comme une appréhension. Le plus marrant, c’est que le public qui les y attendait était déjà sur des charbons ardents, qu’il ne lui a pas fallu la moindre miette du « Best burger in town » pour exploser, et du coup, le trio liégeois s’est retrouvé dans le bain avant d’avoir pu dire ouf !
La suite ? Passablement indescriptible ! On se souvient d’un featuring à la guitare de Sébastien du groupe The K. On se souvient de ces dizaines de crowdsurfers, de cette version de plus en plus cataclysmique de « Garbage man » des Cramps… De Dirty Coq qui refait prendre l’air à Popaul pendant quelques secondes. Mais surtout, d’un set dense, tendu, bien plus électrique que celui vécu il y a quelques jours aux Ardentes. Non que celui-là fut mou, mais chez leurs brûlants concitoyens, les Tropic avaient déjà partie gagnée et surtout, envie de faire un peu la fête. Ici, ce fut tout simplement leur meilleur concert belge depuis la sortie de Liquid love !
Didier Stiers