Londres 1962 : la révolution pop

1962-2012: Londres a bien changé. Il y a cinquante ans naissait la révolution pop anglaise. Beatles et Rolling Stones sont les têtes de pont d’une véritable invasion qui marquera le monde des sixties.

C’était il y a cinquante ans. Un demi-siècle. Le 5 octobre 1962 paraît « Love Me Do », le premier 45-tours des Beatles, que les fans de la première heure, à Liverpool, attendaient depuis plusieurs années. Le 12 juillet de la même année, au Marquee de Londres, monte pour la première fois sur scène le groupe Rolling Stones. La Révolution pop est en marche.

C’est sur ce terme de Révolution pop dans l’Angleterre des années 60 que tous les sociologues se sont accordés pour définir l’incroyable lame de fond grâce à laquelle, selon l’expression consacrée, une nation a sauté à pieds joints dans le siècle.

Le terme pop est évidemment à prendre dans son sens large et originel. La musique est le sommet de la vague qui allait envahir et influencer le monde entier, à commencer par les Etats-Unis inventeurs du blues et du rock’n’roll.

On oublie trop souvent que le pop art est né à Londres au début des années 50 à l’Institute Of Contemporary Arts, pour se développer grâce à des artistes comme Allen Jones, Peter Phillips ou Richard Hamilton qui, tous, intègrent dans leurs œuvres des éléments de l’ordre du fonctionnement, du quotidien, du vulgaire, nés de la société de consommation de masse (« Vous n’avez jamais été aussi prospères », disait un slogan politique de l’époque). La Factory new-yorkaise d’Andy Warhol, c’est pour plus tard.

Ça bouge dans les galeries londoniennes mais aussi dans la rue avec les premiers teddy boys (racistes et violents comme l’a rappelé le film Absolute Beginners, de Julian Temple) et leurs rivaux mods, version anglaise des beatniks américains influencés par Allen Ginsberg et John Kerouak.

La jeunesse se réveille à la fin des années 50, après des années, des décennies de grisaille, de dépression existentielle et sociale.

Pour bien comprendre les racines de la Révolution pop sixties, il faut se souvenir de l’état dans lequel se trouvait l’Empire de sa Majesté.

Que reste-t-il de l’Empire dont l’ère victorienne a illustré la splendeur ? Sorti affaibli de la Grande Guerre, ruiné avec la crise économique de 1929, écrasé par les deux superpuissances après la dernière guerre mondiale dont il mettra longtemps à se remettre, choqué par la perte des colonies et ridiculisé par l’affaire de Suez en 1956, l’Empire britannique n’est plus que l’ombre de lui-même et vole en éclats malgré l’illusion du Commonwealth qui l’éloigne, tout un temps, de ce Marché commun européen pourtant si proche.

Fin des années 50, la couleur de cette Albion qu’on dit perfide, est le gris. Toujours engoncé dans ses mœurs rigides, que symbolisent le monopole et la censure de la chaîne d’Etat BBC, le Royaume-Uni vit calmement ses hypocrisies sexuelles et ses déceptions.

C’est de la jeunesse et de l’éducation que viendra le sursaut. Les enfants issus de la classe moyenne ont enfin l’occasion de faire des études et les écoles d’art se remplissent ainsi d’artistes, plasticiens comme musiciens.

La littérature n’est pas en reste et prépare également le terrain à la Révolution des sixties. John Wain, John Osborne, Harold Pinter… seront à ce point en colère contre l’establishment et l’affluent society, qu’on les appellera les Angry Young Men.

Au cinéma aussi, le terrain se prépare avec le free cinema de Lindsay Anderson (Everyday except Christmas), Jack Clayton (Les chemins de la haute ville), Karel Reisz (Samedi soir, dimanche matin) et surtout Tony Richardson (La solitude du coureur de fond).

La culture de masse succède à la culture de classe. Défaite sur les mers et les places boursières, l’Angleterre retrouve son leadership dans la création : la Swinging England est née !

Tous ces artistes ont préparé le terrain. Pour la musique, il faudra attendre le début des années 60 qui sortira l’Angleterre du skiffle de Cliff Richard ou de Tommy Steele toujours influencés par les Etats-Unis qui vivent leur révolution rock’n’roll. Les orchestres de skiffle pullulent : dans l’orchestre de jazz/blues d’Alexis Korner se trouve un certain Mick Jagger, pendant qu’à Liverpool, le jeune John Lennon commence à faire parler de lui dans un obscur groupe qui n’était encore que les Quarry Men qui deviendront en 1960… les Beatles !

Le succès des Fab Four, après la lente maturation liverpuldienne et hambourgeoise, sera explosif. Dès 1962, la Révolution est en marche avec la Beatlemania qui connaîtra son apogée en 1964 avec la réussite de la conquête américaine. Une percée dans laquelle s’engouffrera une foule de groupes britanniques biberonnés au blues. Les Américains découvrent ébahis la version européenne de leur propre musique.

A la grisaille des années 50, les acteurs pop britanniques opposent un monde de couleurs. Les Beatles montrent l’exemple.

Les Quatre Garçons dans le Vent deviendront vite les symboles de toute une génération de jeunes aux origines modestes issus d’une région – le nord – dont l’industrie décline au profit de celle, plus moderne, du sud et dont, jusque là, seules les équipes de football (Liverpool, Manchester, Leeds, Everton…) étaient la fierté.

A Londres, c’est Soho qui prend la tête de la Révolution. Quartier où régnaient à ce moment-là en maître pubs et sex-shops. C’est là aussi que se retrouvent les peintres Lucian Freud et Francis Bacon. C’est là aussi que Carnaby Street va devenir le centre névralgique d’une mode se pavanant comme de nouveaux dandys.

Les Kinks et les Who vont suivre les modèles Beatles et Rolling Stones. Mais l’underground anglais a encore de nombreux noms à livrer. Dans tous les secteurs artistiques.

Les jeunes ont enfin de l’argent à dépenser. Que ce soit en fringues, en disques ou en instruments de musique. La France devra, elle, attendre Mai 68 pour se libérer d’une telle manière.

La mode livre la minijupe de Mary Quant portée par le mannequin filiforme Twiggy. Vivienne Westwood commence à faire parler d’elle.

L’âge d’or est également celui du cinéma britannique. Une apogée qui passera par pas moins de trois Palmes d’or en cinq ans : The Knack en 1965, Blow Up en 1967 et If en 1969.

Même le football s’invite à la table de la Révolution pop puisqu’en 1966, à Wembley, l’Angleterre gagne sa première Coupe du Monde.

L’avant-garde picturale passe par David Hockney et Peter Blake. Barry Miles monte avec John Dunbar, galeriste influent marié un temps à Marianne Faithfull, la librairie Indica où le tout le monde de la pop allait se croiser, là où John Lennon rencontrera Yoko Ono. Barry Miles crée également le journal de la contre-culture International Times que finance également Paul McCartney.

Les Anglais, décomplexés, n’ont peur de rien et n’hésitent pas à copier les Américains. Après les versions blanches du blues (John Mayall, Animals, Clapton…), le folk n’hésite pas à créer de toute pièce un Donovan pour répondre à Dylan. De la même manière que l’île de Wight répondra à Woodstock. Et c’est en Angleterre que se réfugiera un certain Jimi Hendrix.

On parle de couleurs ? La consommation de LSD – provenant des Etats-Unis – allait lancer le mouvement psychédélique symbolisé par les couleurs de Yellow Submarine et une chanson comme « Lucy In the Sky With Diamonds ». Un psychédélisme qui va toucher toutes les formes artistiques… jusqu’au Club UFO, le concert Technicolor Dream de 14 heures et… Pink Floyd.

C’est d’ailleurs ces paradis artificiels qui annonceront la fin du rêve pop. Brian Epstein, le manager des Beatles, meurt en 1967. Brian Jones, en 1969. En 1970, The dream is over, écrira John Lennon. La nouvelle décennie se fera sans les Beatles. La mort sera au rendez-vous du concert d’Altamont des Stones.

Les morts de Janis Joplin, Jimi Hendrix et Jim Morrison sonneront le glas de cette Révolution pop qui a permis au monde de rêver à des lendemains qui chantent « Satisfaction », « My generation » ou « Revolution ».

L’Angleterre se réveillera en 1976 sous les coups de boutoir des punks et dans les années 80 avec le mouvement anti-thatcherien Red Wedge. Mais ça, c’est une autre histoire.THIERRY COLJON

Bertrand Lemonnier, La révolution pop dans l’Angleterre des années 60 (La Table Ronde, 1987, 250 p.).

Barry Miles, Ici Londres ! Une histoire de l’underground londonien depuis 1945 (Rivages rouges, 572 p.)

Alain Pire, Anthropologie du rock psychédélique anglais (Camion blanc).


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1 commentaire

  1. basol

    23 février 2015 à 9 h 12 min

    Perso je préfere le rock et les licornes

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