Ils ont rejoint les rangs de nos chères têtes blondes, les Slovènes de Laibach ! Muscles bandés sous les uniformes repassés de frais, bottes lustrées en lignes impeccables : eux aussi effectuent leur rentrée. Point en classe, mais en scène. Et sur la platine/dans le Cloud/lecteur mp3. L’album Reproduction prohibited vient de sortir sur Mute, avant-goût (goûtu ?) de leur passage par Audenarde ce 17 septembre. Laibach ? Ach, c’est tout un poème !
Précisons d’emblée que l’album dont question a des allures de compile. Il reprend notamment une série de covers, certes remasterisées, mais bel et bien déjà entendues. Entre autres : « Final countdown » et « Life is life »… Attendez avant de ricaner, j’y reviens ! Le disque est complété par quelques nouveaux enregistrements, telle cette version du « Warm leatherette » accouché en 78 par The Normal. Il voit en outre le jour dans une collection que Mute a baptisée « An introduction to », pratique pour la (re)découverte (Crime & The City Solution, Komputer et le Balanescu Quartet y figurent déjà).
On peut se le demander : quelle est la pertinence d’un groupe comme Laibach, alors que se manifestent des vrais / faux trublions un rien plus contemporains, style Rammstein ou Marilyn Manson ? Justement ! En matière de provocation et d’agitation de neurones, il fait figure de pionnier, face à ces jeunes gens finalement très propres sur eux. Même la Tate Modern à Londres l’a reconnu : en avril, les Slovènes s’y produisaient sous l’intitulé « Monumental Retro-Avant-Garde ».
Tito, Malevich & co
Né en 1980, dans un pays qui s’appelait encore la Yougoslavie, Laibach se veut d’emblée plus multidisciplinaire que strictement musical. Et développe un arsenal fort, mais pas très consensuel : références à l’avant-garde, mais aussi au réalisme socialiste et à l’esthétique nazie, musique industrielle aux envolées grandiloquentes, uniformes militaires pour tenues de scène qui, rappelle sa bio, soulignent « la dé-individualisation de ses apparitions en public sous la forme d’un quartet anonyme. » Réécrit en Französisch dans le texte : Laibach aime brouiller les pistes, et pas que celles qui traversent les Alpes juliennes.
Le gps étant inutile, pour s’y retrouver un peu, il reste toujours Predictions of fire, le documentaire proposé en 96 par Michael Benson. L’Américain y évoque l’histoire balèze de la Slovénie, nation divisée pendant la Deuxième Guerre entre Italie fasciste, Allemagne hitlérienne et Hongrie alliée au Reich. « Laibach » est la traduction en teuton du nom de sa capitale, « Ljubjana » : déjà une première provocation – nous sommes donc en 1980 -, dans cette Yougoslavie de Tito et des héroïques Partisans ! Benson se penche également sur le NSK, ou Neue Slowenische Kunst, mouvement artistique engagé dont le groupe est un des représentants. On y découvre ses accointances avec le suprématisme de Malevich, et ce concept récurrent selon lequel le seul art qui ne puisse faire l’objet de manipulation politique est celui qui utilise le langage de cette même manipulation politique.
Reproduction interdite
Musicalement, ça donne quoi ? C’est tout pareil, surtout quand Laibach se réapproprie des compos signées par d’autres, et parfois pas des moindres. Un exercice habituel, accompli tambour battant. Ici en l’occurrence : « B Mashina » emprunté à ses concitoyens de Siddharta et rendu majestueux comme un décollage de Saturn 5, le total cheesy « Final count-down » des affreux Europe passé à la moulinette synthétique et attifé d’un oripeau kaki/feldgrau, « Bruderschaft » et son petit quelque chose de kaftwerkien assumé, « Get back » repris aux Beatles sur un ton vaguement cosaque, ou encore « Geburt Einer Nation » mariant grondements vocaux à la Till Lindemann et claviers à la Pointer Sisters.
Bref… Laibach, c’est la touche de synthé de chez Tandy, le chœur lyrique qui s’envole plus haut que l’aigle du Triglav, le truc kitsch, l’équilibrisme sur le fil du mauvais goût… Et surtout, le clin d’œil et le sourire goguenard face à l’émoi provoqué par ces renvois constants aux idéologies totalitaires dont leur théâtre singe la dangereuse bêtise. C’est en tout cas ce que traduisent, toujours sur ce Reproduction prohibited, des hymnes comme « Germania » et « Anglia » pop-isés à dessein. On peut même parfaitement y voir un écho à ce débat récent sur la Marseillaise, et notamment ces lignes où il est question d’hémoglobine d’agriculteurs nourrissant les terres arables de l’Hexagone.
« Nous détestons dire non »
Un groupe précédé d’effluves soufrées ? Poursuivi par des points d’interrogation ? Voilà qui valait bien une poignée de questions. Expédiées aux intéressés il y a quelques semaines, alors qu’ils signaient la bande-son de Iron sky, la comédie de sf qui restera parmi les grands moments du Bifff 2012, prouvant que oui, on peut rire du nazisme (et non pas « avec »).
Pourquoi avoir dit « oui » à ce projet de bande originale ?
Parce que nous détestons dire « non ».
Qu’elle soit signée Laibach, était-ce évident ?
Non, nous ne sommes pas un groupe évident.
Quelle est votre approche de la comédie ?
Très sérieuse.
Et de la provocation ?
C’est du miel pour nos oreilles.
Quelle image le groupe donne-t-il de l’Europe telle qu’elle est en 2012 ? En donne-t-il une, d’ailleurs ?
C’est fort probable : nous vivons en Europe, nous sommes en 2012 et nous réfléchissons beaucoup. Mais quelle image renvoyons-nous, c’est à vous de le dire : nous ne pouvons définir notre propre réflexion qu’au travers de ce que renvoie votre perception (et celle des autres).
Que diriez-vous si vous deviez définir en quelques mots le Neue Slowenische Kunst et son influence ?
Une matière morte très influente. Le Neue Slowenische Kunst n’a existé en tant qu’organisme vivant qu’entre 1984 et 1992. Ce que vous en percevez aujourd’hui n’en est qu’un reflet tardif.
A votre avis, pourquoi les années 80 influencent-elles à ce point certaines des musiques d’aujourd’hui ?
Parce que les années 80 avaient du contenu et du style.
Didier Stiers
Le 17 septembre au Qubus à Audenaerde. Info : www.dequbus.be.
www.laibach.org.