Grizzly Bear, éloquence des grands ours

Sorti de sa petite alcôve post-folk en 2009 avec le grand «Veckatimest», le quatuor de Brooklyn fait coexister simplicité et radicalité esthétique. Album indispensable.

Que vaut 2009 dans les annales de la musique? Un mort cinq étoiles: Michael Jackson. Un retour de hype: Eminem et son Relapses. Une apparition tarabiscotée: Lady Gaga avec The Fame. Et une grosse poignée d’autres événements tonitruants, dont une partie a secoué les sous-bois de l’industrie du disque. On pourrait citer, dans le rayon des entités qu’on qualifie d’indépendantes, le vent froid qu’a levé The XX avec son esthétique sépulcrale ou évoquer la claque expérimentale qu’a donnée Animal Collective avec Merriweather Post Pavilion.

Puis il y a eu le cas Grizzly Bear, méritoire à lui seul d’un très long récit. Restons succincts: le quatuor de Brooklyn, qui avait habitué les suiveurs à une esthétique folk déconstruite et réinventée, publiait alors Veckatimest, troisième album dont on retient aujourd’hui encore l’élégant tournant vers une pop aérienne et nostalgique. Quelques mois seulement après la parution de l’objet envoûtant, Grizzly Bear s’est mis à collectionner les révérences. David Letterman invite à deux reprises le groupe sur le plateau du très populaire Late Show. Sa majesté Jay-Z se perd dans les enfilades d’éloges, distribuées depuis le piédestal pourtant éloigné du hip-hop. Enfin, les intouchables Radiohead saluent à leur tour le génie et convient la bande new-yorkaise sur une partie de leur tournée nord-américaine.

Comment rebondir après un plein d’amour si encombrant? Par le retrait tout d’abord: Grizzly Bear a beaucoup tourné et récolté, puis il s’est mis en attente, le temps que ses différents membres réalisent des projets personnels d’une pertinence inconstante. Et il s’est retrouvé enfin, pour un album qui résonne aujourd’hui comme un retour à certaines origines. On pourrait ainsi dire que Shields est l’œuvre d’une formation qui ne s’est pas raconté d’histoires et qui a gardé ses huit pieds sur terre. Son quatrième album impressionne au premier abord parce qu’il tourne en partie le dos à son illustre prédécesseur. Il renoue avec le ton direct et parfois asséché du sous-estimé Yellow House (2006).

On retrouve alors un atelier qui bricole et ose systématiquement le contre-pied; qui aime enchaîner les idées et les empiler parfois sur un seul morceau, en dilatant les formats et en osant les cassures de rythmes et de ton. «Sleeping Ute», qui ouvre Shields, en est une illustration accomplie: deux longs volets se côtoient et se complètent. Ailleurs, le goût de l’expérimentation laisse la place aux ambiances rêveuses, entièrement portées par la voix envoûtante de Daniel Rossen: «The Hunt» et ses accents orientaux, «What’s Wrong» et ses arrangements vaporeux.

Il faudrait encore parler de ce grand final qu’est «Sun in Your Eyes». L’esprit aventurier de Grizzly Bear y est résumé dans cette fresque de sept minutes. La lente ascension, depuis les quartiers intimistes jusqu’aux envolées orchestrales chargées d’ambitions, est l’allégorie d’un groupe qui continue de désarçonner. Qui sait parler avec simplicité en empruntant des voies esthétiques parfois radicales.

Rocco Zacheo / Le Temps

www.letemps.ch/


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