Notre compilation d’articles parus dans Le Soir à propos des concerts de Radiohead. On remonte le temps avec le groupe, depuis 1996 et un premier passage par Werchter.
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7 juillet 2008, Werchter. Radiohead frappe un grand coup
D’énormes néons verticaux entourent et éclairent les gars d’Oxford. Intouchables. Les écrans géants font défiler les gros plans. Le mystère n’en est pas moins difficile à percer.
Samedi, sans radotage, sans racolage, sans concession, Radiohead a fait honneur à sa réputation. Le groupe n’a plus de rival. Il est au-dessus de la mêlée. Qui ne se serait pas fourvoyé ? Qui n’aurait pas perdu de sa superbe avec un virage radical comme celui amorcé en 2000 par Thom Yorke et sa clique ? Radiohead est toujours là. Plus fort que jamais. Incarnant l’artiste qui a su faire évoluer sa musique en même temps que son public.
Sans tomber dans le vulgaire best of souvent de rigueur en festivals, Radiohead retrace une carrière sinueuse. Du rock aux expérimentations électros. « The National Anthem », « Lucky », « There There », « Just »… On traverse les années avec excitation. « Paranoid Android » et « Everything in its right place » servent et battent le rappel. La grande classe.
19 aout 2006, Pukkelpop. Radiohead : l’état de grâce… in het gras
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Minuit pile : Radiohead monte sur la grande scène et dès les premières notes d’« Airbag », les Britanniques s’affichent soudés, impressionnants d’aisance et comme en état de grâce. Sans contrat discographique peut-être, mais tout grand groupe quand même, qui fait vibrer le festival avec de somptueux « National anthem », « Karma police », « Paranoïd androïd » et autre « Fake plastic trees », ou les inédits « Nude » et « All I need ». Jonny Greewood tantôt triture sa guitare, tantôt reste penché sur ses machines. Au piano, Thom Yorke se permet même quelques regards facétieux en direction du public. Répondant à ceux qui réclament « Creep », il marmonne : « Ouais, on va vous le jouer indéfiniment. » Sans s’exécuter, bien sûr. Et pour un peu, on dirait qu’il sourit. « Everything in its right place » sonne la fin d’un concert plein de frissons. Jamais titre ne fut aussi bien choisi.
11 novembre 2003, Forest. RAdiohead n’a jamais été aussi bon
Forest National permet aux groupes qui se sont illustrés en festivals d’été de prolonger le plaisir. Ainsi, après Placebo et Dave Gahan qui y ont récemment glané un joli succès, c’était au tour de Radiohead de remplir la salle forestoise, mardi, avec Asian Dub Foundation en première partie. Ces derniers ont bien rempli leur mission de faire monter l’ambiance, grâce à leur prestation de plus en plus bondissante. Pour ceux qui veulent en garder un (bon) souvenir, le groupe anglais vient de publier un CD et DVD, témoin de leur tournée estivale.
Radiohead, pour sa part, a débarqué avec un nouveau light-show très impressionnant, pour ne pas dire éblouissant. Un large écran lumineux occupe toute la scène, en plus d’écrans latéraux. Thom Yorke n’a jamais paru aussi exubérant, ne tenant pas en place d’emblée, sauf pour s’asseoir derrière son piano.
« Exit music (for a film) », extrait de « OK computer », sera le premier grand moment d’un concert qui sera admirablement équilibré. On aura même droit à « Karma police », qui ravit un public trop heureux d’assister au meilleur concert belge de Radiohead, plus lumineux et plus ouvert que jamais. Même « Everything on its right place », qui ouvre « Kid A », fut accueilli en pièce maîtresse.
Tout le groupe reste très concentré, mais on n’a plus cette impression de prise de tête – quand ce n’était pas carrément de la déprime -, avec un Radiohead qu’on sent transformé.
Véritable groupe de scène, proposant un spectacle ambitieux, d’une construction musicale d’un haut niveau, Radiohead confirme son statut de leader. C’était la bonne nouvelle de la semaine.·
28 juin 2003, Rock Werchter : Radiohead a placé la barre très haut
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A 23 h 40, Radiohead débarque sur du velours. La formation de Thom Yorke est-elle grande ? Assurément. Avec un répertoire d’une force et d’une précision aussi chirurgicale qu’organique (beaucoup d’extraits du petit dernier, « Hail to the thief », mais aussi des bombes comme « Paranoid android », « Lucky », « Karma police), Radiohead a atteint des sommets. Après « Kid A » et « Nation anthem » dans la première demi-heure, il était dit que Thom et ses amis allaient danser avec les étoiles. Un son d’une rare pureté pour un festival et surtout, des musiciens totalement en osmose avec leur art. Parfois aérien, parfois lunaire, souvent tendu, un peu Floydien et essentiellement frénétique (bidouillage jungle assuré), Radiohead pouvait aussi compter sur un light-show d’une très grande qualité (comme Björk d’ailleurs) pour emmener les spectateurs en voyage. Nombreux étaient les sceptiques qui étaient en lévitation après cette prestation qui a fait l’unanimité.
13 septembre 2000, Bruxelles : L’attente de Radiohead
Sigur Ros et Radiohead étaient, lundi et mardi à Werchter, sous tente devant seize mille personnes.
Radiohead a le sens du détail. Avoir choisi, pour toute leur tournée européenne, le groupe islandais Sigur Ros (qui vient de publier un remarquable «Agaetis byrjun» chez PiaS) leur ressemblant bien pour installer une ambiance planante et tendue à la fois, relève du bon goût. Radiohead tient aussi à démontrer que les ventes astronomiques de «OK computer» n’ont pas transformé le groupe alternatif qu’il veut rester. Ainsi ont-ils cette fois tout fait à l’envers: les interviews en juin avant même la finition du disque, la tournée estivale en plein air dans des sites de choix, le grand chapiteau à la rentrée et enfin le disque tant attendu le 4 octobre.
Il faisait un temps de rêve lundi à Werchter. L’immense tente octopode bleue en forme de croissant, avec six écrans au coeur de la foule, permet non seulement une visibilité totale mais surtout restitue une acoustique parfaite. Thom Yorke s’est montré toujours aussi peu disert mais l’ambiance y était pour permettre à Radiohead de livrer un excellent concert. Mêlant nouveaux titres (livrés en version plus serrée et moins déstructurée que sur le disque à venir) avec les anciennes perles majoritairement issues de «OK computer», Radiohead a essentiellement comblé les fans qui étaient aussi bien là pour découvrir les inédits que pour entendre une nouvelle fois les meilleurs moments du groupe d’Oxford.
Si l’on peut parler de suicide commercial (le deuxième jour fut loin de faire le plein avec 6.000 tickets vendus au lieu de 10.000), cette infrastructure démontable coûtant fort cher et le disque débarquant fort tard, Radiohead n’en perd pas pour autant tout son crédit. La qualité du nouvel album «Kid A» (ses effets psychés, ses constructions plus expérimentales que rock, avec de longues digressions planantes) suffit à faire pencher le balancier en leur faveur. (T.C.)
Florence, 24 juin 2000. Radiohead se reconnecte à la réalité
S’il y a un mot qui convient parfaitement au groupe d’Oxford, c’est bien celui de liberté. Artistique et intellectuelle. En effet, comme nous le raconte le bassiste Colin Greenwood dans le long entretien ci-dessous, Radiohead a donc entamé le 13 juin dernier au Théâtre Antique d’Arles une tournée de dix-huit dates dans des lieux historiques avant de revenir en septembre avec sa propre structure. Un chapiteau de cirque qui se posera le 11 septembre prochain sur le site de Werchter et ce, trois semaines avant la sortie du successeur tant attendu d’«OK Computer» qui atterrira dans les bacs le 2 octobre prochain.
Liberté, disions-nous, de pouvoir profiter de sa notoriété et de sa crédibilité afin de se produire dans un théâtre grec à Athènes, au Grand Rex à Paris, dans un amphitéâtre romain à Caesaria en Israël ou à la piazza Santa Croce à Florence où le groupe jouait ce mercredi soir.
Liberté de bousculer les règles aussi du business en sachant pertinemment que les quelques nouvelles chansons que Radiohead interprète après un an et demi de travail en studio seront enregistrées et disponibles sur le Net. Dans la douceur de la nuit florentine, quelque quatre à cinq mille personnes se sont donc donné rendez-vous sur la piazza Santa Croce. Avec la scène devant une église majestueuse et les murs de la place affichant toutes les déclinaisons des couleurs chères aux villes du Sud comme le jaune, l’ocre ou le sablé, l’endroit était assez idyllique et parfait pour l’univers lyrique et tourmenté de Thom Yorke et de ses quatre fidèles compagnons. La première impression est d’ordre sonore.
Radiohead mettra toujours un point d’orgue à soigner le son: impeccable. Ensuite, on est malgré tout surpris par l’attitude peu exubérante du groupe sur scène. Bien sûr, Thom Yorke n’escalade pas les colonnes de haut-parleurs comme Iggy Pop mais mercredi, Radiohead a donné le sentiment d’être toujours en apnée. Le groupe aurait livré le même concert en studio ou dans son local de répétition. Renseignements pris, le service d’ordre n’y a pas été de main morte avec les premiers rangs. C’est cette attitude excessive qui a suscité chez Thom Yorke un sévère «Shut up!». Ceci étant, même si le groupe avait manifestement des raisons d’être contrarié, on ne peut qu’être surpris par le peu de générosité affichée par Radiohead alors que cette série de concerts est surtout un véritable cadeau aux fans. Ces derniers sont finalement restés assez discrets, exception faite lors des classiques comme à la «Airbag» ou «Paranoid android». Difficile de donner une impression définitive après une écoute des nouveaux morceaux mais «(everyone) National Anthem», par exemple, sonne comme du Porno Por Pyros qui rencontrerait Primal Scream. Une autre comme un apéro entre Tom Waits et Dr John où Thom est au piano et Colin à la contrebasse. En fin de compte, la nouvelle couleur du groupe semble plus torturée et plus sombre encore avec, en filigrane, un travail vertigineux et audacieux de Jonny à la guitare mais aucun moment de tension lors des deux heures de concert. Pas rancunier, on attend la revanche à Werchter…
16 octobre 1997, Forest-National
Oh que c’est haut, Thom Yorke !
Même si le succès massif de Radiohead était prévisible avant même la sortie cette année de «OK Computer», il fait toujours plaisir à voir. Le groupe d’Oxford a réussi a fédérer le public teenager et leurs aînés qui ont rempli Forest-National, mardi soir, quelques mois après la double prestation à Torhout-Werchter. Apparu il y a quatre ans avec le très prometteur «Pablo Honey», Radiohead n’a fait que grandir, «OK Computer» faisant encore plus fort que le déjà impressionnant « The Bends» de 1995. Et comme il le fit précédemment pour U2 et Simple Minds, le public belge a été le premier à réagir après les Anglais. Seul pays européen à avoir décroché un disque d’or dès le mois de juin pour « OK Computer», la Belgique a confirmé son engouement dès la semaine dernière en faisant en sorte que notre petit pays soit le seul (hors Angleterre toujours) où le disque de platine (50.000 exemplaires vendus) a été attribué à un groupe qui n’était que plus enthousiaste d’être là.
(…)
Il le sera par contre dès l’arrivée de la bande à Thom Yorke. Après une ouverture par «Airbag» et «Karma Police», deux points forts de «OK Computer», Radiohead impressionne d’emblée par la qualité du son. Guère visuel (d’où son nom, d’où des pochettes sans visage), Radiohead se cache derrière ses chansons appuyées par un light-show imposant. Thom, très à l’aise, pour changer, visiblement heureux d’être porté à bout de bras par un public qui n’a pas manqué de lui faire un triomphe, a donné une grande leçon vocale sur des arrangements très fidèles aux versions discographiques. Il a évidemment veillé à soigner les premiers fidèles en remontant le temps, avec, par exemple, un «Lurgee» qui ne peut que donner envie d’aller voir au-delà de «OK Computer». Terminant en second rappel par «The Tourist», Radiohead a donné un concert exemplaire, émouvant et excitant, qui nous a rappelé les grands moments d’une salle avec laquelle une belle histoire ne fait que commencer… THIERRY COLJON
8 juillet 1996, Werchter
Radiohead, ensuite, a bien mis un quart d’heure avant de décoller. Thom Yorke, qui semblait sorti du lit, a mis du temps avant de reprendre ses esprits et, sous les yeux d’Afghan Whigs au grand complet, a tout de même fini par emporter le morceau, sous une fine pluie ensoleillée surréaliste qui nous valu un joli arc-en-ciel («Look the fucking rainbow») et un sommet avec «High and Dry». Signalons que le trophée de la curiosité a été emporté par Moondog Jr qu’on a vu pratiquement tout le temps dans le «frontstage» (là où c’est que nous on est). Björk aurait donc dû suivre sur la scène latérale, mais comme la gamine préférait attendre son batteur, le grand Neil Young a accepté d’avancer son set à 22 h 30, étant assuré qu’il pourrait jouer deux heures. Et ainsi nous offrir, avec son Crazy Horse, le plus beau concert de l’année, digne des tournées américaines immortalisées par les albums «Live Rust» et «Arc-Weld» de 1981 et 1991. Ouvrant par «Tonight’s the Night», il balance avec une énergie folle «Powderfinger» et « Down by the River». S’il n’oublie pas quelques extraits du nouvel album, «Broken Arrow», il puise essentiellement dans ses heures de gloire que sont «The Needle the Damage Dome» et «Heart of Gold» en solo acoustique avant le retour des fabuleux Talbot, Molina et Sampedro pour «Cinnamon Girl», « Cortez the Killer» et un «Like a Hurricane» au final d’anthologie. Le groupe, tenant dans un mouchoir de poche, réagit à l’instinct avec le maître qui finit par un magistral «Rockin’ in the Free World». Neil aura été à ce point à son affaire qu’il en aura oublié le bel orgue trônant sur scène. Son jeu de guitare soutenu par la plus infernale des rythmiques aura été à ce point démoniaque qu’il n’y aura eu personne pour s’en plaindre. Restait à Björk, à passé minuit et demi, de venir en marchand de sable extra-terrestre, avec son sompteux décor, sa jolie robe marine et ses musiques insulaires, pour nous faire rêver, le pouce en bouche. Ainsi plus rien ne s’opposait à la nuit…