L’histoire de Thot ayant été jusqu’ici peu ordinaire, il n’y a pas de raison qu’un nouveau chapitre sombre dans le banal. Donc : l’ep The fall of the water towers est depuis aujourd’hui disponible sur iTunes et quelques autres plateformes… un mois après sa sortie « physique » en galette de polycarbonate et objet collector. Pour l’occasion, ce 6 titres s’accompagne d’un clip inédit, illustrant le très ambient « The parade of the trees ». Interview…
Chronologiquement parlant, The fall of the water towers fait suite à l’album Obscured by the wind sorti l’an dernier. Ces nouvelles compos sont nées des sons créés et accumulés par Grégoire Fray alias Thot pendant l’enregistrement de ce même album. On y croise deux invités : Catherine Graindorge et son violon, ainsi que Colin van Eeckhout d’Amenra. C’est la voix de ce dernier, sur fond de guitare acoustique, qui contribue notamment à l’atmosphère particulière dégagée par « Grueenn ».
Si ces six plages se veulent plutôt ambient, il y souffle les prémisses d’un vent électrique. On ne sait pas trop quand il va se lever, ni ce qu’il compte laisser debout (« Black fire swan »). Mystérieux, comme un écran de télé envahi par la neige dans laquelle on croit discerner des formes. Quand « The parade of the trees » s’achève, c’est dans un crépitement de statique qui dessine comme des points de suspension. Histoire à suivre…
« VARIER OU INTENSIFIER LE VECU »
Dans quelle mesure ces « chutes de studio » ont-elles été retravaillées ?
Pour beaucoup, il s’agissait de recherches sonores que j’avais faites à l’époque d’Obscured by the Wind, des morceaux de mélodies, de riffs… J’avais beaucoup de matière et j’ai dû faire des choix. Prends « Grueenn » par exemple : l’arpège de guitare est une harmonie de l’arpège de guitare que tu peux entendre sur « Blue and green are melting down in a seed », sur l’album précédent. Je ne l’ai pas utilisé à ce moment-là car il y avait déjà pas mal de couches, mais je me suis dit que je pourrais l’utiliser plus tard pour une sorte de « suite ». J’aime l’idée d’écrire des histoires au fil de chansons, et d’albums, et c’est ce que j’ai voulu faire en retravaillant ces chutes de studio, en leur offrant un nouvel écrin, pour en faire un épilogue à la narration d’Obscured by the Wind. Cela me permet de fermer un chapitre, pour en ouvrir un nouveau, qui mènera au futur album.
A quoi ressemblera la suite ?
Au son d’un château d’eau qui s’écroule et dont l’écho est amplifié par le vent serpentant entre les murs d’une ville.
De quel œil vois-tu la dématérialisation progressive des supports musicaux ? Le fait de proposer une version livret/collector de cet ep signifie-t-il (aussi) que tu n’en penses pas que du bien ?
Je vois ça d’un œil grand ouvert ! Tu sais, un fichier numérique, un mp3 ou du Flac, après tout, nécessite un support matériel, que ce soit un lecteur portable, un disque dur ou un serveur – même s’il est dans les nuages (cloudcomputing). Il n’y a donc absolument aucune dématérialisation, seulement un changement de support. Et qui dit « nouveau support » dit « nouveaux usages ». Ce sont donc des nouvelles possibilités et des nouveaux usages qui s’ouvrent à nous, même si on en ignore encore tout. C’est peut-être pour ça que face à notre époque, nous sommes tous des explorateurs désorientés. Des explorateurs, parce que tout est encore à découvrir. Mais désorientés parce qu’on ne peut plus comprendre les choses qui sont en train de nous arriver avec de vieux réflexes. Je ne suis pas du genre à dire que « c’était mieux avant » comme c’est à la mode quand on devient trentenaire. Au contraire, j’ai le vertige à la vue des possibilités qu’offrent les évolutions technologiques. Un vertige ambivalent, comme le sont tous les vertiges. Une euphorie mêlée à de l’angoisse. Si je propose une version livret/collector, c’est parce que la musique, c’est une expérience à part entière. Quels que soient les supports, la musique est de l’ordre du vécu. Je voulais proposer, à ceux qui souhaitaient prolonger cette expérience, un objet livre limité à 50 exemplaires, qui leur permette de faire varier ou d’intensifier ce vécu. Mais ce qui m’intéresse, c’est la variation dans l’expérience. C’est d’amplifier les possibles, non de les fermer. Raison pour laquelle je laisse ma musique en téléchargement libre (gratuit ou payant), en divers formats, sur Bandcamp, alors que l’ep sort aussi sur iTunes, Spotify et autres. Ça te permet d’être référencé, d’avoir de la visibilité et d’être accessible à ceux qui ne consomment de la musique que via ce genre de plateformes dites légales.
Didier Stiers