«Il y avait un trou dans l’histoire de Noir Désir, je l’ai comblé»

La biographie du groupe provoque des remous. Entretien avec son auteur, Marc Besse, ancien journaliste aux Inrocks.

Peut-on échapper à la polémique dès lors qu’il s’agit de Noir Désir et de son chanteur Bertrand Cantat? La question se repose dans toute son acuité avec la parution d’une biographie du groupe signée par l’ancien journaliste des Inrockuptibles, Marc Besse. Passionnante, rédigée avec un soin et une rigueur rares, Noir Désir, à l’endroit, à l’envers, (Ed. Ring) qui paraît ces jours-ci, est appelée à faire référence. En attendant, elle suscite une controverse enflammée entre son auteur et un membre de la formation bordelaise, le batteur Denis Barthe. Cœur de la dispute? Des propos confidentiels tenus par le second, qui raconte au journaliste, sur un mode «off», (exclu de toute publication) les raisons jusqu’ici inconnues de l’implosion de Noir Désir en 2010.

Marc Besse a décidé de les rendre publiques et d’évoquer ainsi un dîner durant lequel Bertrand Cantat a réglé ses comptes, sur un ton enflammé, avec ses compagnons de trois décennies. «D’un coup, dans la discussion, Bertrand [Cantat] a complètement changé et s’est comporté comme une ordure. Il nous a dit de tout. Il s’est positionné comme une victime», raconte Denis Barthe. «D’un coup, il était victime de tout. Vilnius, ce n’était pas de sa faute… Comme si Marie [Trintignant] avait glissé sur une savonnette. Kristina [Rady, sa femme qui s’est suicidée début 2010], ce n’était pas de sa faute, elle était malheureuse, etc. Il nous a tous accusés d’avoir besoin de sa notoriété […] Quand il a envie de rompre parce que la situation ne lui convient plus, il pousse les gens au bout de leurs limites, pour que ce soient eux qui mettent fin à l’histoire et lui évitent de prendre ses responsabilités.»

Denis Barthe conteste avoir tenu de tels propos, et «se réserve le droit de donner toute suite qu’il jugera bonne à cette déplorable affaire». Marc Besse, lui, maintient sa position et explique sa démarche dans un entretien qu’il nous a accordé par téléphone.

Comment réagissez-vous face à la rétractation de Denis Barthe?

Marc Besse: Le malaise que toute cette histoire provoque aujourd’hui est tout à fait étonnant. Il y a pourtant un point important au départ qu’il ne faut pas mésestimer, c’est ce communiqué signé par le guitariste Teyssot-Gay en décembre 2010. Il précède de peu la dissolution de Noir Désir. Le musicien y évoque des désaccords émotionnels, humains et musicaux avec Bertrand Cantat. Il fait comprendre, en somme, que la fracture est profonde. Ce final a laissé des milliers de fans sur leur faim. C’est un trou dans l’histoire du groupe que j’ai comblé aujourd’hui, avec le récit de cette violente altercation entre Cantat et les autres membres de Noir Désir. Deux autres considérations s’imposent. En premier lieu, tous les propos que je rapporte ont été récoltés à micro fermé. Je le dis dans le livre et je révèle ainsi leur caractère confidentiel. Deuxièmement, lorsqu’on vide tous les non-dits dans un restaurant, avec virulence et sur des tons animés, on sort de la notion de «off». Des témoins ont assisté à la scène, cette histoire s’est répandue depuis, au point qu’on n’est pas loin du secret de polichinelle. Je suis persuadé que ces propos seraient tôt ou tard ressortis, peut-être dans un livre moins impartial et moins respectueux de la démarche artistique du groupe. Le «off» est resté tel pendant un an et demi. Il fallait une bonne raison pour le publier. Or, comme je donne toutes les clés pour comprendre comment ces personnages ont réussi à rester ensemble pendant une si longue période, je crois qu’il est naturel de montrer les raisons de leur séparation. Une chose me paraît évidente: la séparation entre des amis qui se fréquentent depuis trente ans ne peut qu’être violente.

– Vous écrivez que, pendant une longue période, la pudeur a freiné votre projet de biographie sur Noir Désir. Qu’est-ce qui vous a donc décidé à passer à l’acte?

– Pendant les années qui ont suivi le drame de Vilnius, celles de l’incarcération de Bertrand Cantat, je ne me suis plus intéressé à Noir Désir. Je me suis interdit tout simplement d’en parler. Plus tard, il y a eu une nouvelle matière qui est venue à moi et qui a accéléré le mouvement. L’attaché français de la sécurité intérieure auprès des ambassades des pays baltes est venu me voir. C’est un personnage central dans les événements de Vilnius, puisqu’il est le premier témoin officiel de la scène de la dispute entre Cantat et Marie Trintignant. Il m’a proposé son aide. Lorsque j’ai plongé pour la première fois dans le dossier, j’ai été effrayé, je me suis dit que je ne pouvais pas revenir sur ces faits tragiques. Le mûrissement intérieur a pris forme lentement: la compréhension des faits a permis l’écriture.

– Comment avez-vous concilié le fait divers avec la trajectoire artistique du groupe?

– C’est un point crucial qui m’a poussé, en dernier lieu, à écrire la biographie. Je me suis rendu compte, avec le temps, que si on suivait le groupe dans sa longue histoire, on pouvait faire croiser le fait divers de manière élégante. Dès lors, je me suis dit qu’on pouvait raconter Noir Désir de manière différente, être avec le groupe, presque à ses côtés quand il crée et se produit sur scène, et évoquer l’autre dimension, tragique.

– Votre reconstitution débute avec la genèse du groupe, dans une ville, Bordeaux, qui bouillonne et compte sur une galaxie foisonnante de groupes rock. Comment avez-vous documenté ce passé, qui remonte aux débuts des années 1980?

– J’ai reconstitué cette réalité en 1993 déjà, alors que je travaillais pour un journal qui s’appelait Rock Sound. J’ai rencontré, à l’époque, tous ceux qui ont animé la scène bordelaise: l’ancien leader des Standards et des Stagiaires, par exemple. J’y suis retourné en 1999 pour Les Inrockuptibles et j’ai pu affiné le sujet. Il y a, enfin, les archives de plusieurs journaux comme le Sud Ouest, qui m’ont permis de faire le lien entre tous les éléments.

– Dans l’avant-propos signé par l’attaché à la sécurité qui vous a contacté, il y a cette phrase concernant les événements de Vilnius: «Dans ce genre d’affaires, ceux qui savent se taisent et ceux qui parlent ne savent rien». En quoi votre biographie permet-elle d’éclaircir le scénario du drame?

– Le livre regroupe une quantité d’éléments qui ont paru de manière parcellaire ailleurs. Il établit, en gros, une continuité chronologique qui se nourrit de plusieurs sources différentes. La question est d’aller plus loin, d’établir une vérité dans le n’importe quoi qui a été parfois dit et écrit sur le sujet. Le commissaire apporte une appréciation qui dépasse tout ce qui a été lu et entendu durant et après le drame. Cela permet de se refaire une opinion, notamment sur le début défaillant de l’enquête. En dernier ressort, je crois que la personnalité de Bertrand Cantat que je décris, permet de comprendre cette folie qui s’est produite à Vilnius.

– Ce qui étonne, c’est de constater à quel point le quatuor a été proche de l’implosion, combien il lui a été difficile de retrouver son souffle lorsqu’il se réunissait dans les studios d’enregistrement. Comment expliquez-vous qu’il ait toujours réussi à rebondir?

– C’est l’envie de se retrouver, tout simplement. Les musiciens réinventent à chaque fois un horizon et un contexte pour pouvoir remettre la machine en route. On s’aperçoit, dans le livre, que si le destin du groupe avait été mis entre les mains du guitariste Serge Teyssot-Gay et de Bertrand Cantat, l’aventure aurait connu une fin plus rapide. C’est là qu’on peut mesurer l’importance du batteur Denis Barthe. Pendant des années, il a tenu le groupe à bout de bras. Je pense que, s’il y a eu un espoir de recomposition après Vilnius, c’est précisément parce que Denis Barthe y a cru en premier.

Rocco Zacheo/Le Temps

«Noir Désir, à l’envers, à l’endroit» , Marc Besse, Ed. Ring, 256 pages.


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