Emily Loizeau publie un troisième album témoin de sa fraîche maternité. Au même titre que son amie Camille présente sur le disque. Rencontre avec la chanteuse bilingue qui sera bientôt au Théâtre 140.
En juillet dernier, aux Francofolies de Spa, Emily Loizeau est venue présenter ses nouvelles chansons dans un spectacle en cours d’élaboration. Elle racontait l’histoire de chacune d’entre elles et ce qu’elles racontaient. Le spectacle fini, présenté au Théâtre 140, sera donc très différent. On en a malgré tout profité pour parler de ce disque paru à la rentrée.
L’album est différent de « Pays sauvage »…
Il a été fait dans une autre maison. Mais c’est toujours la même belle région des Cévennes. C’est une maison au milieu de nulle part, où il n’y a quasiment pas de réseau.
Visiblement, ce disque est né de nombreuses lectures, de poèmes de William Blake, notamment…
Seuls quatre textes ne sont pas de moi. C’est vrai que parallèlement à mon écriture, j’ai beaucoup lu. William Blake, ça remonte à mon enfance. Ma grand-mère anglaise me lisait certains de ces textes quand j’étais toute petite et j’ai eu envie de me replonger dans Blake. J’y ai retrouvé des résonances avec des choses que je voulais exprimer depuis longtemps. Il parle beaucoup de l’enfance, avec toujours cette ombre de la mort qui plane. Il y a une lumière et une noirceur, les références animales et à la nature. Je me retrouvais beaucoup dans tout ça. Il y a une grande modernité dans ses textes. Et l’envie toute simple de mettre certains de ses textes en musique. Qu’il soit un fil conducteur… C’est comme si je racontais ce chemin d’écriture.
En français, Léo Ferré a permis à beaucoup de mieux connaître Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Apollinaire… et de démontrer leur grande musicalité. En va-t-il de même avec l’œuvre de Blake ?
Oui, tout à fait. J’ai redécouvert ses textes sans mes oreilles d’enfant. Ce qui est frappant dans son recueil Songs of experience, c’est qu’on a l’impression que ses poèmes ont été écrits pour être mis en musique. C’est lui qui a parlé des Portes de la perception qui ont inspiré Aldous Huxley et les Doors… John Zorn aussi a déjà mis en musique Blake.
Le titre de l’album « Mothers & Tygers » a sans doute été inspiré par ta récente maternité…
Je ne parle pas de mon enfant dans ce disque mais cela m’a fait réfléchir sur la filiation, la transmission. On est encore l’enfant de ses parents et d’un seul coup, on devient à son tour la maman de son enfant. Cette réflexion existentielle vous tombe dessus. Je me suis intéressée à ce lien maternel à la fois magnifique, inconditionnel et absolu et en même temps qui concentre toutes nos angoisses et nos névroses. C’est un lien fascinant pour tout ce qu’il renferme…
Tu as dû beaucoup en parler avec ton amie Camille qui est devenue mère plus ou moins au même moment. On la retrouve d’ailleurs sur « Marry Gus and Celia »…
Oui parce qu’on a une histoire un peu particulière par rapport à ça et qui nous lie pour longtemps je crois. Pendant qu’on répétait pour le spectacle les Françoises donné au Printemps de Bourges, on était toutes les deux enceintes. On avait un terme chacune à une semaine d’intervalle et j’avais parié qu’elle aurait une fille et elle, que j’aurais un garçon. Et elle a eu un garçon le jour où j’aurais dû avoir une fille et j’ai eu une fille le jour où elle aurait dû avoir un garçon. Les deux enfants se sont échangé leur date, leur sexe et leur mère. Et elle a appelé son fils du prénom que j’avais choisi si j’avais eu un garçon. Tout ça pour dire pourquoi Camille devait être sur ce disque. Car cette chanson parle de ça. On la dédie à nos deux enfants. Mais contrairement à Camille dans son disque, moi je mets pudiquement des voiles et des codes pour aborder le sujet de ma maternité. Je serais mal à l’aise sans ça.
Peut-on dire que « Pays sauvage » était solaire et celui-ci, plus automnal ?
Moi je ne le dirais pas comme ça. Pays sauvage était viscéral, avec ce besoin de me laver de beaucoup de choses dont le deuil de mon papa. C’était comme une transe joyeuse qui se délivrait d’un tas de noirceur. Avec un besoin de crier et de susurrer parfois. Comme un grand rêve avec des fantômes, des voix, des timbres, plein de choses dont je me libérais. Celui-ci est plus introspectif, enregistré en plein hiver. Par moins quinze degrés dans une ancienne magnanerie au milieu des Cévennes. Il y a une grande noirceur dans les textes mais aussi quelque chose qui parle beaucoup d’aller vers la vie. Avec une énergie dans la musique qui porte les textes vers quelque chose de plus lumineux.
Ce disque est d’une très grande cohésion. On s’y sent comme un bébé dans sa bulle…
Il y a eu une évidence dans l’écriture de ce disque. Avec une façon très naturelle de vouloir raconter les choses. Je ne pense jamais à la répercussion que peut avoir un disque, à la façon dont il sera accepté ou non par les médias. Je ne fais pas de la musique pour ça. Et si je devais le faire, j’arrêterais assez rapidement. Je fais des chansons parce que c’est vital pour moi.
Le concert aux Francofolies était très touchant et à la fois risqué par son côté « work in progress »…
C’est vrai que j’aurais préféré que ce soit dans une église ou dans les bois, avec 50 personnes. Mais on aime les défis, c’est la règle du jeu. On se met en danger, on a plein de fragilités. On aime donner aux gens la sensation qu’on va vivre ensemble quelque chose d’un peu différent et de rare. On ne l’a fait que trois fois et ça n’aura plus lieu. C’est comme les Françoises dont on nous parle tout le temps. Je ne crois pas que ça sortira en DVD. Ce qui est magique justement, c’est que ça n’a eu lieu qu’une fois. Je trouve d’une grande classe de travailler autant pour un seul soir.
L’autre occasion rare de te voir a été, toujours à Bourges, l’hommage à Lhasa, très émouvant…
Ce concert a été un mélange entre sa famille, ses proches et des gens comme moi qui ne la connaissaient pas bien mais aimaient ce qu’elle faisait. C’était un moment très dense et très riche pour tout le monde.
Sur ce disque, on retrouve aussi David d’Herman Düne… Tu aimes t’entourer d’une famille, on dirait…
Oui, je suis quelqu’un de fidèle. Des gens me touchent et des liens forts se tissent. David en fait partie comme les Moriarty. On rencontre beaucoup de monde dans ce métier, sans être proches pour autant. Ici, on a en commun ce bilinguisme. La chanson « Angel » est un texte de Blake où il raconte un rêve où il est une jeune fille qui se refuse à un ange. C’est étrange. En le chantant, j’ai trouvé que la chanson aurait plus de profondeur avec un timbre masculin.
« Tygers », pourquoi avec un y ?
C’est un mystère pour moi aussi. C’est peut-être de l’ancien anglais mais parfois Blake l’a écrit avec un i. Il y a plein d’explications différentes de ses textes et Blake aimait beaucoup ça.
Propos recueillis par Thierry Coljon