Les émotions Irrepressibles de l’homme

Dans le registre pop flamboyante aux accents baroques, The Irrepressibles se fait peu à peu un nom. Et raconte sa vérité toute nue. Entretien.

Sur scène, ils sont en général une dizaine, emmenés par un chanteur à la voix étonnante, qui n’est pas sans rappeler celle d’un Antony (& The Johnsons). Comparaison n’est pas raison : Jamie McDermott a une personnalité bien à lui qui ne s’exprime d’ailleurs pas que sur les planches. Qu’on lui parle musique, image ou engagement, il ne fait jamais mystère de ses sentiments.

Le groupe dont vous êtes le chanteur signale son retour avec un clip pour le moins saisissant – on y voit deux hommes nus dont on ne sait pas trop s’ils vont s’étreindre ou se battre –, et c’est aussi cette illustration qu’on retrouve utilisée pour la pochette du nouvel album. Le visuel a toujours été important pour vous ?

J’ai toujours vu la pop comme un format à la fois visuel et musical. Et puis, n’est-ce pas ainsi qu’elle nous est vendue ? Ce qui m’intéressait cette fois, c’est de changer un peu de démarche. Habituellement, c’est le chanteur qu’on met sur la pochette, alors qu’ici, c’est l’expression d’un passage à l’âge adulte et d’une sexualité. J’avais plus ou moins le même âge quand j’ai écrit les chansons de l’album précédent, mais ici, je voulais plus l’exprimer dans le visuel. Donc oui, c’est une démarche importante, celle qui consiste à se poser la question de savoir comment exprimer ce que vous voulez dire…

Pensez-vous que ce genre d’illustration puisse aussi « rebuter » un auditeur potentiel qui ne connaît rien du groupe ?

Oui, elle a un côté provocant… Mais à moi, elle me parle de diversité. A travers l’histoire de la musique pop, et même de l’art ou de la culture de manière plus générale, la diversité attire plus. On peut aimer lire un livre de William Burroughs parce que c’est un auteur gay, ou être fasciné par la culture indienne, ça n’a pas de lien, si ce n’est que ce sont des manières différentes de voir le monde. Alors autant être clair dans ses intentions, quitte à restreindre le marché sur lequel on arrive.

Quelle importance accordez-vous justement au contenu gay de ce disque ?

Pour moi, c’était très important. Evidemment, si vous utilisez une iconographie telle que celle-là, fondamentalement gay, c’est parce que vous savez qu’on persécute des kids parce qu’ils sont gays. Ou qu’il y a un tiers de notre planète où être gay vous vaut d’aller en prison, voire d’être tué.

Une chanson comme « Two men in love » pourrait être perçue comme une chanson d’amour au sens plus universel du terme. Ce texte peut parler à tout le monde, quelle que soit l’orientation sexuelle, non ?

Absolument. Mais je n’ai jamais voulu faire de musique qui soit une sorte de prêche. Comme une sorte de promotion pour un grand amour universel, vous voyez ? Cela n’amènerait rien si vous ne pouvez pas proposer quelque chose d’honnête, d’authentique. J’ai toujours écrit des chansons sur ce que je ressentais, et cette chanson-là, c’est aussi ce que j’avais sur le cœur. Il y est également question de deux personnes qui réalisent qu’il y a là un amour étrange qui s’exprime de plus en plus fort.

Elle a été difficile à écrire ?

Oui, parce que en tant qu’artiste gay, c’est très intéressant de travailler sur des notions un peu bizarres, décalées. Comme vous le dites, l’amour gay peut avoir des accents universels, joyeux, il ne doit pas être aussi étrange, il ne doit pas forcément impliquer cette idée de drôle de promiscuité que certains se font quand il est question d’amour entre deux hommes.

Comment présenteriez-vous cet album à un public qui n’aurait jamais entendu parler de vous ou de votre groupe ?

Dans cet album, il est principalement question d’honnêteté, et c’est pour ça qu’il est intitulé Nude. Mais il y est aussi question de sexualité, c’est un thème qui est distillé ici et là dans les textes.

C’est un disque politique ?

Certains le disent, mais c’est juste un disque honnête, sur lequel je chante sans restriction. Je parle de situations dans lesquelles se retrouve un artiste gay, qui incarne un clown par exemple, qui est un performeur sur scène… Sur le fait que si dans ces circonstances-là vous êtes drôle, votre homosexualité est mieux acceptée…

Une idée du public que vous avez ?

Il est principalement masculin et hétérosexuel.

Ce qui vous étonne ?

Pas trop. En fin de compte, dans ce que j’écris, il est surtout question d’être un homme, d’avoir des émotions, de ce que cela fait de les éprouver en tant qu’homme. Vous savez, être un homme, c’est aussi difficile que d’être une femme. Et il peut être très difficile pour un homme d’exprimer ses émotions. En même temps, notre public est un peu plus large que cela. Nous recevons des réactions de lesbiennes, de gens plus âgés qui aiment la musique classique, des fans de glam comme il y en avait sur l’album précédent, des fans de musique des années 80. Un peu de tout en fait.

Il y a quelques années, vous confiiez aux « Inrockuptibles » que vous aviez commencé la musique comme une thérapie. C’est toujours le cas aujourd’hui ?

Ma vie est récemment devenue plus difficile, en fait. Vous voyez L’histoire sans fin, le film ? Quand le personnage passe le miroir et entre dans l’autre monde ? J’ai parfois l’impression de n’exister que là. En tout cas, quand j’étais plus jeune, je n’existais que de l’autre côté. Je pense que pas mal de gens, quand ils sont plus jeunes, imaginent un film dans lequel ils vivent, une sorte de monde de fantasme. Moi, c’était la musique : c’est toujours une forme de catharsis, et un monde où je ne suis plus confronté aux relations sociales qui m’ont toujours paru compliquées. La musique est un univers où je me sens accepté.

Didier Stiers

La critique du CD sur le Mad


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