An Pierlé revient à la formule voix et piano tout en s’occupant de la Ville de Gand, de sa fille Isadora et des musiciens à la maison.
Anversoise établie à Gand, An Pierlé réussit à jongler avec ses missions de musicienne, compositrice officielle de la Ville de Gand et mère d’une petite Isadora. Depuis 1999 et son premier album, Mud Stories, An Pierlé ne cesse de nous séduire et nous surprendre. La chanteuse au piano, assise sur son ballon rond, ne veut pas être enfermée dans cette image de Tori Amos belge et ne se refuse aucun plaisir artistique. Flanquée de son compagnon producteur et musicien, Koen Gisen, elle gère sa carrière comme elle cuisine ses plats favoris : avec brio. Après deux albums très orchestrés, avec un groupe dans lequel elle adorait se fondre, voici qu’elle nous revient à la formule du piano solo qui l’a rendue célèbre.
« Cela fait longtemps que je voulais revenir à cette formule, nous a-t-elle confié. Mais le planning ne s’y prêtait jamais, j’étais toujours en tournée. »
Koen étant de plus en plus occupé par ses productions (The Bony King of Nowhere, Kiss The Anus Of A Black Cat, Sarah Ferry, Tommigun, etc.), An pouvait consacrer son temps à sa musique, en solitaire, quand sa fille Isadora, 3 ans, lui en laissait le temps : « J’ai dû adapter mes horaires. Après avoir conduit Isadora à l’école, j’aime me promener et prendre un café avant de sérieusement m’y mettre. Me balader m’inspire. Je dois m’occuper de mon secrétariat puis me charger du “catering” pour les musiciens qui sont à la maison – Koen fait toutes ses productions dans son “homestudio” – avant de me mettre à mon piano. Et quand je suis bien lancé, je dois arrêter pour retourner à l’école. C’est frustrant ce rythme, mais ça m’oblige à me structurer en respectant des horaires bien précis. Et ça m’aide aussi à ne pas avoir de doutes. Je n’ai plus le temps de douter. Ça, c’est positif. Je me dis aussi que cet état de concentration dont j’ai aujourd’hui besoin, c’est le métier qui rentre. Si je ne fais pas ça, je ne fais rien. »
Si Koen n’est plus programmateur au Vooruit de Gand, la Ville a demandé à An d’être, pour deux ans, compositrice officielle. Ce qui lui permet d’initier de nombreux projets, comme cette inauguration en musique de la Nieuwe Stadshalle. Avec des artistes gantois, dont Helmut Lotti, qui ont repris le répertoire d’An. Pour le festival de Flandre, An a également donné un concert solo à l’orgue. Elle a aussi collaboré avec douze jeunes jazzmen pour un cirque…
« J’aime toucher à tout. J’ai aussi un projet avec grand orchestre, au Conservatoire. J’ai demandé aux étudiants de réaliser des arrangements sur mes nouveaux titres, qui s’y prêtent. On ferait ça à l’opéra en décembre 2013 et je me chargerai, avec l’orchestre, de la seconde partie. Aux étudiants en photos, je demanderai aussi de réaliser des clips. On voudrait faire un bouquin aussi avec tout ça. Ça me fait du bien de sortir de ma bulle. Ça m’aide à me renouveler, à ne pas tomber dans le système album et tournée. »
En fait, An n’a jamais arrêté d’écrire. On lui doit même un titre, « Eldorado », pour le film de Bouli Lanners et deux chansons pour le dernier album de Vive la Fête. Sur son Strange Days, se trouvent d’ailleurs des chansons qu’elle n’avait pas nécessairement écrites pour elle :
« Ça libère de penser qu’on ne va pas interpréter soi-même une chanson. On s’y révèle plus finalement. “Strange Days”, je l’avais écrite pour une chanteuse très populaire en Flandre, Barbara Dex, qui a fait l’Eurovision. Et “Suburban Skies”, qui parle d’une ville en ruines après la guerre, comme Dresde, j’avais pensé à Marianne Faithfull. »
Strange Days ! Jours étranges ! Ceux que traversent pour le moment le monde, mais aussi An :
« Oui, ça parle de tout ça. La crise dans le monde, mais aussi mes journées bien chargées qui sont parfois étranges. J’ai changé de manager aussi. J’avais besoin de sang neuf, d’un nouvel enthousiasme. Du point de vue succès, j’ai eu des hauts et des bas, mais je ne regrette rien. Je devais le faire pour ne pas me lasser. J’ai toujours vécu entre le mainstream et l’alternatif, dans une position assez inconfortable. En même temps, j’en ai vu beaucoup qui n’ont pas survécu au succès et ont disparu. Moi, je suis toujours là. »
Et ce grand retour passe par une reprise de Talk Talk, « Such A Shame », qu’elle se réapproprie totalement. Un peu comme elle l’avait déjà fait par le passé avec « Il est cinq heures, Paris s’éveille » de Jacques Dutronc, « The logical song » de Supertramp, « C’est comme ça » des Rita Mitsouko, « Try A Little Tenderness » d’Otis Redding ou « Tandem » de Vanessa Paradis.
« Ma firme de disques me met la pression pour que je fasse un disque de reprises ou un disque en français. J’en ai envie mais pas maintenant. On verra ça plus tard. Car pour le moment, je suis fière d’être créative. Koen, qui est encore plus féministe que moi, me soutient pour cela. Talk Talk, c’est toute mon enfance. J’avais 14 ans quand ma meilleure copine m’a offert le best of. J’ai grandi avec eux. J’adore tout ce que Mark Hollis a fait. Il a influencé plein de gens, comme Elbow ou Radiohead. Moi, à la maison, j’écoutais aussi Roxy Music (Avalon) ou Simple Minds (New Gold Dream). Madness aussi et même Mylène Farmer dont les textes et l’ambiance sulfureuse de ses clips m’interpellaient. Mon papa, lui, il écoutait plus les Stones ou Foreigner. Ma maman, c’était Vangelis. Je n’ai découvert que plus tard des musiques plus profondes, comme Robert Wyatt. Je rêve encore d’écrire des textes comme Dylman ou Cohen arrivent à faire. J’avais en tête un disque sur la guerre quand PJ Harvey a publié son fabuleux Let England Shake. Ce qu’il faut faire, c’est lever son doigt et sentir l’air du temps. Quand ton enfant t’en laisse le temps. Surtout que moi je ne suis pas du genre à faire un enfant pour sans arrêt demander à ses grands-parents de s’en occuper. Koen, qui est toujours à la maison, m’aide beaucoup aussi. »
An Pierlé lance sa tournée au Botanique le 22 février (complet !), avant le Minard de Gand, le 26/2, les Ardentes de Liège, le 28/2 et l’AB, le 16/5.
Notre critique de l’album et l’écoute intégrale sur Spotify