Girls in Hawaii, la fièvre des sommets

Plus de trois ans après la tragique disparition de leur batteur Denis Wielemans, la mélancolique formation belge publie ce 2 septembre un miraculeux « Everest ».La conversation qui va suivre avec Antoine Wielemans (chant et guitares), Lionel Vancauwenberghe (chant et guitare) et Daniel Offerman (basse et machines) s’est déroulée en deux temps. Une soirée saint-gilloise autour d’une assiette de calamars à la basquaise avec Lionel et Daniel mercredi dernier. Et quelques cafés avalés et clopes grillées avec Antoine samedi après-midi, pas loin du Botanique où les Girls in Hawaii étaient en résidence la veille de leur tournée. Revenue de (très) loin, la moitié de la mélancolique formation était très sereine la veille de la sortie de son troisième et meilleur album à ce jour. Morceaux choisis.

On peut commencer par votre concert très inspiré au dernier Pukkelpop où l’émotion était palpable autant sur scène que dans le public. Comment avez-vous vécu cette journée particulière qui célèbre le grand retour des Girls in Hawaii ?

Daniel : J’ai surtout pensé où nous étions il y a un an ou deux. J’étais très content. J’ai l’impression que nous sommes plus réceptifs au bonheur. Je suis capable d’en profiter et voir le groupe comme un cadeau.

Lionel : Ce sont des sentiments contradictoires. Quand Denis est mort, tu perds un frère, un pote et ton groupe est foutu. On traverse tout ça en se disant qu’on n’en sortira pas et au final, notre groupe fonctionne sainement et différemment.

J’ai eu un truc marrant en montant sur scène. Il y a eu un petit vent qui m’a caressé. Je sais que c’est cliché mais j’ai senti qu’il y avait quelqu’un. Comme si Denis me disait de le relâcher.

Antoine : On a ressenti cette émotion sur scène aussi. Je n’étais pas stressé avant mais je n’ai pas profité musicalement du moment. J’étais trop concentré à ne pas me planter. Ensuite, une demi-heure après le concert, je n’étais pas très bien.

On écoute tous de la musique pour différentes raisons. Pour rire, pleurer, partager ou s’aimer. Quels sont les disques que vous avez le plus écoutés et qui ont pansé vos plaies ?

Lionel : Autour de l’accident et du décès, on s’est retrouvé et on a écouté des chansons de Midlake et Syd Matters. Même Regina Spektor, dont je ne suis pas spécialement fan.

Daniel : J’ai eu du mal à écouter de la musique. Ce qui m’a aidé, ce sont les musiques de film ou de théâtre, des ateliers avec des enfants où j’ai retrouvé la magie de faire de la musique.

Antoine : J’ai eu un bon coma musical mais j’ai beaucoup écouté Ghost Days et Brotherocean, les deux disques de Syd Matters. Il y avait vraiment des résonances dans ces disques.

Lionel : Au fur et à mesure, la musique est venue me chercher. Nous avons été nettoyés de tout ce qui a été de mauvais avec cet accident pour ne garder que le bon. Faire des notes, chanter, accorder des choses, c’est très nettoyant. Parce qu’après un accident comme celui-là, tu peux aussi garder quelque chose de pas très cool. De l’aigreur, de la colère, du malheur parce que ça reste vachement cruel.

Vous avez pensé à arrêter le groupe ?

Lionel : Bien sûr, c’était encore plus difficile pour Antoine. On a essayé de continuer un peu sans lui mais c’était un peu la panique parce que tu perds aussi tes raisons de vivre. Avec Daniel et Brice, on a essayé de soutenir le truc.

Daniel : Musicalement, c’était une catastrophe mais c’était une manière de se dire que nous étions toujours ensemble.

Antoine, « Everest » parle beaucoup de la disparition de votre petit frère, Denis, de l’absence, etc. Qu’est-ce qui fait que c’est un disque de groupe et pas un album solo ?

Antoine : Le groupe a été en arrêt pendant deux ans. Quand j’ai recommencé à faire de la musique, j’avais envie de le faire pour moi. Et voir si ça allait me faire du bien et si j’en étais capable. J’étais coincé. J’étais éteint. Et inquiet de me sentir sans envie et je n’avais pas envie d’impliquer le groupe là-dedans. Je suis parti un an dans les Ardennes chez des amis luthiers.

Composer m’a fait du bien. J’ai envoyé une dizaine de titres à mes parents, mon frère, ma sœur, les gens du groupe et les réactions étaient super bonnes. Du coup, c’est devenu naturel de faire ça avec les Girls. Et tout a été mis en lumière par le tandem que je forme avec Lionel. Sur notre deuxième album, on ne s’est pas beaucoup entraidé. Et la personne qui était importante à ce moment-là, c’était Denis. C’était le médiateur.

Le titre de ce troisième disque a évidemment une portée métaphorique et symbolique comme cette idée de surmonter, ensemble, l’infranchissable. Quelles résonances ce mot a-il chez vous ?

Antoine : Ce disque avait besoin d’un titre très large. Un titre dans lequel chacun peut y mettre son histoire et son ressenti. Effectivement, il y a cette idée de montagne à franchir en groupe. C’est la manière la plus évidente de le comprendre même si ce n’est pas ce sens-là qui nous intéresse. Ce que j’aime dans Everest, c’est cette espèce d’immensité complexe. C’est difficile à appréhender.

On s’est attaqué au disque sans réfléchir. On l’a enregistré en trois semaines. Sans préméditation. Des chansons comme « Wars » ou « Misses », qui est la première chanson dans l’histoire du groupe à avoir été écrite à deux, sont venues assez vite. D’autres, comme « Here I belong » ou « Mallory’s Heights », ont mis plus de temps au niveau des textes.

À travers des titres comme « Switzerland » ou « Mallory’s Heights », il est beaucoup question de montagnes dans « Everest ». Pour le côté éternel des neiges ?

C’est, de fait, un mot un peu valise. L’Everest, c’est aussi toute la mythologie. Cette zone tampon entre la surface terrestre et céleste. C’est aussi un bon terme qui définit les ambitions du son du disque. On souhaitait quelque chose d’aérien, de venteux, de tempétueux et d’épique. Il n’est pas ancré dans la terre comme nos deux premiers disques. Surtout le deuxième, qui était boisé, humide.

Avant que Denis ne décède, Everest était déjà un nom de code entre nous. C’était notre ligne de conduite pour ce genre de chansons et de sonorité.

L’histoire de ce disque, du groupe, la vôtre, personnellement, c’est aussi une très belle leçon d’espoir. Qu’est-ce qu’il y a derrière tout cela ?

Antoine : Ce disque nous a fait du bien. Faire de la musique, ça remplit tellement de temps que ça fait du bien d’être occupé. Et en même temps, c’est insupportable parce que ça m’extrait de la réalité. Et quand les choses s’arrêtent ou se relâchent, la réalité revient et la colère aussi. Je me demande toujours comment je suis arrivé à faire ce disque alors que mon petit frère n’est plus là.

Aujourd’hui, j’essaie de m’inspirer de sa personnalité ultrapositive et solaire pour contrer les mauvaises ondes. Le plus beau cadeau que je puisse lui faire, c’est m’inspirer de lui et regarder le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. C’est la seule manière de le faire exister et, même si c’est un peu bateau, je veux être meilleur, plus positif et rayonner.
Les Girls In Hawaii seront le jeudi 21 novembre au Cirque royal et le vendredi 22 novembre à l’AB. C’est complet mais grande tournée en clubs en 2014. Toutes les dates de la tournée européenne et de ses sept dates belges se trouvent sur girlsinhawaii.be et sur nadabooking.be.

“Everest” : notre critique ****


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