Ces chansons qui demandaient de l’amour

Pas de « best of » pour les vingt ans de Tindersticks : Across six leap years, qui sort ce vendredi, est un joli travail de réécriture.

Il s’excuse d’être en retard, Stuart Staples. La veille de notre rencontre, on lui avait promis des moules et du coup, son déjeuner a duré plus longtemps que prévu. En même temps, dix minutes de patience au regard d’un parcours long de 20 ans déjà, c’est une broutille, isn’t it ? D’autant que cet anniversaire, Tindersticks le fête ces jours-ci avec Across six leap years, soit 10 anciennes chansons renouvelées. Ou 10 nouvelles chansons sur base d’anciennes ? « Ça marche dans les deux sens », réplique Stuart, le sourire sous la moustache.

D’où vous est venue cette idée de retravailler ces titres ?

Le germe de cette idée remonte à une dizaine d’années, quand Will Oldham a sorti Greatest Palace music, des extraits de ses albums précédents qu’il a été transformer à Nashville en de brillants titres country. J’étais très sceptique, parce que je suis tellement fan, mais j’ai aimé. Et puis, il y a cet anniversaire de Tindersticks, que nous pouvions difficilement ignorer. Je pense que si nous avions continué comme si de rien n’était, ça aurait été une petite trahison. Il y a ce besoin de regarder en arrière au moins une fois. Mais sortir un best of aurait été juste ennuyeux.

C’est alors que vous avez repensé au disque de Will Oldham…

Oui. Au départ, il n’était question que de reprendre quelques anciens titres, et d’en écrire des versions orchestrales. Comme pour « Marseilles sunshine » : dans mon esprit, c’est comme ça qu’elle aurait toujours dû être. Ou rechanter « A night in » dans l’état d’esprit dans lequel je suis aujourd’hui. D’autres, comme « Say goodbye to the city », ont tellement évolué ces dernières années que c’est comme si elles demandaient ces versions-ci. Nous n’avons pas écouté les originaux, nous nous sommes juste fiés à la manière dont elles existaient dans ma tête. Nous avons été passer quatre jours à Abbey Road, où l’énergie du moment a fait son œuvre. Je m’attendais à ressentir un peu de nostalgie, mais non, c’était juste nous… comme nous sommes aujourd’hui.

Vous avez eu du mal à choisir les morceaux sur lesquels revenir ?

Non, pas tellement. Vous savez, certains sont tellement en rapport avec l’époque à laquelle ils ont été écrits qu’ils y sont figés pour de bon. Tous ceux du premier album (NDLR : Tindersticks, 1993)… Une chanson comme « City sickness », quand je l’écoute, je repense immédiatement à ce moment, à cette pièce, comment nous nous sentions ensemble, comment nous étions en l’enregistrant. Sur le deuxième album, on trouve par contre beaucoup de chansons qui ont été laissées plus… fluides. Mais pas toutes : « Travelling light » capture parfaitement l’instant, mais « A night in » par exemple a pris pour moi une signification un peu différente au fil des ans.

En termes d’émotion ?

Quand elle a été écrite et enregistrée, elle évoquait une relation précise, mais avec le temps qui a passé, les sentiments qu’elle véhicule ne me rappellent plus qu’une autre époque de ma vie. Quand je la chante aujourd’hui, le sens est plus large. J’ai 47 ans, plus 27. Je sais parfaitement pourquoi je l’ai écrite, mais ce pourquoi je l’ai écrite est tellement lié à une autre partie de ma vie… Il y a dans la version originale un peu de colère, qui s’est totalement dissipée aujourd’hui, vous voyez ?

Quand vous évoquez ce que « demandent » ces chansons, et notamment sur le site du groupe, on croirait entendre parler… un amoureux !

Mon rapport aux mots crée des interférences avec les sentiments. Je sais, c’est difficile à expliquer. Quand j’ai écrit « She’s gone », c’était à l’époque de la naissance de ma fille, mon premier enfant, et cette chanson a toujours recelé un mystère pour moi, elle évoque à la fois ma fille et ma femme, mais c’est mélangé. Vingt ans plus tard, ma fille est née, a grandi et vit sa vie : la chanson a changé. Si elle traduisait un optimisme, aujourd’hui, elle évoque des choses que j’ai perdues. C’est assez tangible, et plus facile à expliquer. « A night in », par contre…

Didier Stiers
(Photo : Neil Frazer)

Le 22 octobre au Cirque Royal (www.cirque-royal.org, 02/218.20.15)

Didier Stiers

commenter par facebook

répondre

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *