Le nouvel album de Vincent Delerm, « Les amants parallèles », évoque dix ans dans une vie de couple.
Il risque de l’entendre encore un peu, cette réflexion sur son « retour après cinq ans d’absence discographique ». Mais elle l’amuse plutôt, Vincent Delerm. Surtout quand elle vient de ceux qui n’ont pas vu Memory, son spectacle (mis en scène par Macha Makeïeff) dans lequel il interrogeait notre rapport au temps. Là, c’est trois ans qui ont filé, entre l’écriture et la tournée. Une expérience. « C’était même presque l’expérience la plus importante pour moi, dans tout ce que j’ai pu traverser tout au long de mon parcours. Du coup, c’est un peu ironique de ne pas le mentionner. En même temps, c’est logique : je ne l’ai pas médiatisé, je ne voulais absolument rien faire en télévision, et je ne voulais pas qu’il y ait d’images qui filtrent. En gros, si vous ne passez pas trop dans les médias avec un projet, c’est comme s’il n’existait pas, finalement. »
Maintenant que vous êtes de retour avec cet album, quelle satisfaction tirez-vous du spectacle, justement ?
Déjà celle d’avoir vu des gens me suivre là-dedans. Même s’il y a eu quelques interviews, la plupart du temps, ils sont venus sans trop savoir à quoi s’attendre. Cet effort-là relève d’une certaine forme de confiance. Et qu’ils aient bien aimé ce spectacle était important pour moi : je l’ai pris comme une autorisation à continuer à faire ça. Après cet album-ci, ou à un autre moment, je pourrais en remonter un qui soit un peu intermédiaire. Les gens aiment bien dire que c’est très difficile de changer de « case », de catégorie, alors qu’en fait, il faut juste un peu le vouloir. Mais ça vaut la peine. Au-delà, les chansons avaient été écrites spécialement pour l’occasion, et c’est sûr que j’ai terminé ce spectacle en étant heureux à l’idée de refaire une tournée qui, pour le coup, serait aussi faite de chansons des anciens disques.
Vous l’avez éprouvée à un moment ou à un autre, cette difficulté à changer de case ?
Non, pas du tout. Je trouve que c’est une facilité artistique, une paresse. Les gens se protègent de ça, comme il y a des artistes qui vont vous dire « tu comprends, j’aimerais faire ça, mais mon label a peur »… Alors qu’en fait, notre responsabilité est justement de ne pas faire que des choses qui sont de l’ordre de la facilité. Il faut un minimum imposer des choses. Bon, il faut avoir la chance d’exister un tout petit peu pour y arriver, mais je ne suis pas Mylène Farmer ni Johnny Hallyday, et je peux le faire quand même. Donc ça veut dire que beaucoup de gens pourraient se le permettre aussi.
Comment vous est venue cette idée de scruter ainsi la relation amoureuse, le thème de ces « Amants parallèles » ?
C’est un projet que j’ai mis en place progressivement, qui est venu assez logiquement, parce que j’avais des débuts de chansons qui tournaient autour de cette idée d’états différents, d’étapes différentes de la relation amoureuse. Au moment où je me suis dit qu’il y avait là des chansons un peu trop voisines, alors qu’il faut comme d’habitude en avoir qui soient un peu différentes, j’ai été rattrapé par l’idée selon laquelle ça allait être contre nature de vouloir faire ça à tout prix cette fois-ci. Donc j’ai beaucoup creusé cette idée d’une histoire suivie, de l’évolution d’un couple sur une dizaine d’années. Ensuite, j’ai voulu enregistrer des maquettes piano-voix, pour montrer à mon label où j’en étais. J’ai fait ça avec un ingé-son, qui m’a présenté Clément Ducol avec lequel il avait un projet d’album au piano et pour lequel ils cherchaient quelqu’un… Voilà comment tout est parti, finalement. C’est devenu à la fois très ludique et très spécial de générer l’intégralité des sons de cet album par le piano.
Et c’est encore une liberté que vous avez pu vous accorder, finalement ?
Oui, c’est à la fois une contrainte, mais à côté de ça, on a gagné beaucoup de temps parce qu’on n’avait pas le choix des instruments. D’habitude, quand on entre en studio, on a tendance à se dire : « Ah cette petite guitare, là au fond, elle a l’air rigolote, on va l’essayer ! » Ici, à chaque fois qu’on attaquait une chanson, on savait que ça allait se jouer entre les deux pianos qui étaient devant nous. Et il fallait juste trouver une astuce pour que ça ne soit pas le même système que sur le morceau précédent.
En quoi l’analyse du sentiment amoureux, ou de son évolution, vous intéresse le plus ?
C’est déjà une question de goût, que je ne pourrais pas analyser : pour moi, c’est le sentiment le plus fort. C’est aussi parce que j’ai l’impression qu’il est relayé, en chansons souvent, d’une certaine manière : du côté de la rupture, et rarement autrement. L’album ne parle pas que de ça, mais il y a les débuts, aussi. J’adore « Palais royal » d’Alain Chamfort, qui est une chanson sur ce thème. Certaines des miennes, comme « L’heure du thé », l’évoquent aussi. Il y a également tous ces moments qui semblent être au cœur de l’histoire, parce qu’on n’est plus au début, tout semble normalisé, c’est un peu installé, mais en même temps, il y a toujours cette menace… D’autant plus aujourd’hui, c’est comme ça qu’un couple s’arrête. Je voulais revenir sur tout cela parce qu’habituellement, c’est évoqué de manière un peu rapide, que ce soit dans des articles, des sketches… Il y a un peu cette vision de la relation comme prétexte à dresser une liste des cinq trucs qui comptent pour que le couple reste en bonne santé, vous voyez ce que je veux dire.
C’est très tendance, les tops de ceci ou de ça…
Alors ça peut marcher, les cinq meilleurs endroits pour aller se faire peindre les ongles en vert, ça ne me choque pas. Mais le Top 10 de ce qui va vous rendre heureux dans une vie, ça c’est plus difficile à avaler, je trouve.
Ce thème, vous le traitez aussi en tenant compte de l’enfant qui arrive un jour dans cette histoire…
Je voulais que l’analyse, l’observation porte sur les deux personnes qui constituent ce couple, et quand l’enfant arrive, que l’objectif reste braqué sur les parents. Pas exactement les « parents », d’ailleurs : ce sont les deux mêmes personnes, qui juste avant n’avaient pas d’enfant et maintenant en ont un. Là, c’est pareil : on a des sketches de comiques sur le fait d’avoir un enfant, sur l’idée selon laquelle d’un seul coup, il n’y a plus de sexualité dans le couple, etc. Mais de l’intérieur, c’est quand même une vraie aventure. C’est aussi un état du couple qui disparaît. Mais pour quelque chose qui est super : j’ai deux enfants, et dieu sait que j’adore ça, mais il n’empêche que c’est une réalité objective, ce n’est plus la même histoire que quand on n’est qu’à deux.
Serait-ce un disque générationnel ?
J’avais envie de ce parcours-là. Dix ans… Mentalement, pour moi, le couple de cet album passe autant de temps avec enfant que sans. Pour ma génération, dix ans, c’est déjà pas mal, surtout sachant qu’à la fin, ils ne se séparent pas. De là à ce qu’on dise que c’est un disque de génération, pourquoi pas ? Je peux tout entendre. En tout cas, cette génération-là a de particulier qu’il n’y a aucune pression du couple. C’est terminé, aujourd’hui, de s’entendre dire que vous décevez parce que vous êtes célibataire !
Didier Stiers
– Le 14 février 2014 au Théâtre de Namur, et le 21 mai au Cirque Royal, dans le cadre des Nuits Botanique.
– “Les amants parallèles” : notre critique ** et l’écoute intégrale sur Deezer.