Entre deux apparitions « raéliennes » pour le compte de son Alliance Bleue, Sébastien Tellier retourne en enfance, au son du cinéma des seventies.
L’élasticité de la mort, l’afrobeat de Tony Allen, la grandeur d’un Gainsbourg, un peu d’egotrip et des héros d’adolescence : la discrétion a beau avoir accompagné la sortie de Confection, cet album est en tout cas assez riche pour alimenter une conversation. Avec son auteur.
Quelle était l’envie, au départ ?
L’idée de ce disque et la première composition qui s’appelle « Adieu » me sont venues pendant l’enterrement de ma grand-mère. Elle habitait à Calais, dans le nord de la France. Pendant cet enterrement, à part la tristesse qui était le sentiment le plus puissant de l’instant, j’avais constaté que, dans la mort, il y a cette chose extrêmement bizarre qui est qu’on enterre le corps et qu’en même temps, l’âme s’envole. Il y a une sorte d’élasticité dans la mort, comme une extension de l’être. Je pensais à ça, à la manière de le mettre en musique, et puis cette musique m’est venue…
Elle devait aussi être une musique de film, non ?
Je suis rentré à la maison, à Paris, où j’ai composé des thèmes en pensant toujours à tout ça. Et pendant ce temps-là, on est venu me demander de faire une musique de film. Les deux se sont mêlés : les conclusions que j’ai pu tirer à propos de la mort, et ce film très romantique. C’est pour ça qu’il y a les mêmes thèmes dans différentes versions… Confection, c’est le mélange improbable de la mort de ma grand-mère et d’un film raté. Parce que finalement, ma musique n’est pas dans ce film.
C’est Confession d’un enfant du siècle, avec Pete Doherty et Charlotte Gainsbourg ?
Oui, mais sans vouloir discréditer la réalisatrice (NDLR : Sylvie Verheyde, qui avait réalisé le très touchant Stella en 2008), nous avons eu beaucoup de problèmes. Nos esprits n’ont pas réussi à se coordonner, et j’ai donc retiré toute ma musique. C’était aussi des thèmes que j’avais composés pour ma grand-mère, et ça me faisait mal que ça se retrouve dans un film médiocre. Psychologiquement, c’était inacceptable. Finalement, j’ai gardé cette musique pour moi, et je le sors comme ça, pour moi aussi. Confection, c’est également un moyen de rester connecté avec mon passé.
Vous écoutiez ce genre de musique étant enfant ?
C’est le style de musique qu’écoutait mon père, la musique de film des années 70. François de Roubaix, Michel Legrand, Francis Lai… J’ai voulu que ce disque sonne comme ceux de ces années-là, avec des changements d’accords, un peu comme chez ces compositeurs. C’est un disque qui a plus été fait pour moi-même, finalement, que pour les gens.
Et puis, ça ressemble à un « side project »…
Oui, c’est un album entre deux albums. Je ne sors pas tout le grand décorum, je n’enchaîne pas les plateaux télé… Je le sors plus tranquillement, plus discrètement. Le bonheur d’avoir fait Confection, c’est qu’il n’y avait pas toute cette pression qu’il y a normalement autour d’un disque, d’un véritable album. J’ai redécouvert le plaisir de ne faire de la musique que pour le plaisir finalement. Et ça m’a fait énormément de bien : je suis passé quasiment d’un état dépressif à la joie totale !
Il est presqu’entièrement instrumental : il y a une raison ?
A force de chercher des mots, on se rend compte que les mots, dans une chanson, c’est limité quand même. Finalement, les notes vont plus loin, pour dire ce que je ressens. Parfois j’ai des sensations – comme tout le monde –, très profondes, réelles, mais il n’y a pas d’adjectifs qui correspondent. Si on travaille assez et suffisamment longtemps, il y a toujours une note qui est là pour le sentiment. Ou un enchaînement de notes, un accord qui va avec… En ce moment, je suis plus amoureux de la musique que des mots, donc j’ai décidé de mettre surtout des notes, quoi. C’est la note qui gagne à chaque fois, c’est la note qui amène les mots. Le langage change, mais les notes, elles, sont toujours compréhensibles de la même façon. Ici, j’ai essayé de me rapprocher de quelque chose que je trouve à la fois plus vrai et plus noble.
Jusqu’où la musique de film a-t-elle influencé vos albums précédents ?
Disons : très profondément. Aujourd’hui, c’est différent, mais il y a vingt ans, je faisais encore de la musique dans ma chambre. Le bizness était complètement différent, en France. C’est-à-dire qu’un artiste français ne pouvait pas vendre à l’étranger, ou alors de façon complètement exceptionnelle : Jean-Michel Jarre, par exemple… Ma vision de jeune musicien de chambre, c’était qu’un Français, pour avoir la classe en faisant de la musique, devait chercher ce qu’il y avait de mieux. Donc Maurice Jarre, François de Roubaix… C’était eux, mes maîtres. En tant que Français, ils arrivaient à faire une musique internationale, justement en composant de la musique de film. Ils étaient mes héros d’adolescence. Ensuite, pour mes chansons comme « La ritournelle » ou « Fantino », on sent très bien qu’elles s’approchent beaucoup plus de la musique de film que de la musique pop comme on en entend en général. Mais seulement, j’ai fait l’effort de transformer cette musique, en la dérivant pour que ça devienne quelque chose de consommable, sans images. Comme de la pop, même si ça n’en n’est pas. Et puis, le premier morceau que j’ai appris à jouer, c’était le thème principal du film Le vieux fusil, écrit par François de Roubaix…
Sur « Confection », ne rendriez-vous pas aussi hommage à Gainsbourg ?
Si, complètement ! Mais le problème avec Gainsbourg, c’est que je n’essaie même pas de lui rendre hommage. Je sais bien qu’il est un géant et que je suis un nain à côté, mais je suis quand même souvent comparé à lui alors que j’essaie d’être très différent. Je chante souvent avec une voix très haute, quasiment enfantine. Et lui parle, presque. J’ai une grosse barbe, je suis plus ambiance hippie, lui était complètement contre la drogue… Finalement, on n’a rien à voir, mais il y a un truc en commun dont je n’arrive pas à me débarrasser. J’aimerais être totalement différent, comme si, avant moi, il n’y avait jamais eu personne, mais ce n’est pas possible. Et je crois que Gainsbourg, pour les Français et les francophones, est trop important pour être oublié. Il a certainement façonné mon oreille. Quand j’étais petit, Gainsbourg faisait des tubes, ce n’était pas celui des débuts qui jouait dans les bars. Ses chansons, je les connais par cœur, alors que je n’ai jamais acheté aucun disque de Serge Gainsbourg ! Donc effectivement, les côtés Gainsbourg qu’on peut retrouver dans Confection existent mais malheureusement ne sont pas volontaires.
Tony Allen vous a une fois de plus rejoint sur ce disque…
Ce qui me plaît chez lui, déjà, c’est qu’il a inventé l’afrobeat. Le groove moderne africain comme on l’aime, c’est lui qui l’a créé. Ça, pour moi, c’est immense. Ça me fascine. Ensuite, son jeu est unique : soyeux et lyrique. Lui ne joue pas de la batterie pour marquer le rythme ou les temps, il raconte une histoire, il papillonne autour de la mélodie. C’est quelque chose que j’ai compris en lisant des interviews des Beatles qui disaient que pour produire leurs disques, ils utilisaient toujours leurs instruments à contresens. C’est-à-dire que les guitares devaient sonner comme des pianos, le piano comme une basse, la basse comme un clavinet, et c’est formidable. Le degré d’au-dessus, c’est le paradoxe. Quand on le comprend, on se dit que oui, c’est paradoxal mais que pourtant la vérité se trouve là. Le rapport entre l’instrument et la musique est pareil que dans la vie : on comprend une fois qu’on le renverse.
“Confection” : notre critique *** et l’écoute intégrale sur Deezer.