Fauve, le suicide français

Le collectif parisien commençait sa nouvelle tournée à l’Ancienne Belgique mercredi. On a cherché à comprendre. On a compris.

Moi, j’avais rien demandé… Pour le dire d’emblée, Fauve, jusque là, c’était l’Indochine de sa génération, le Damien Saez du pauvre, bref, dès le départ, ça me disait rien de bon, cette histoire… Mais de l’autre côté du prisme, Fauve, c’est aussi un vrai phénomène culturel. C’est un fait. De tous ces groupes français issus des Smac (salles de musiques actuelles ouvertes il y a dix ans dans l’Hexagone), ça aurait pu être La Femme, Lescop, Aline… ça a été Fauve. Et pour cela, il doit bien y avoir une raison, c’est obligé, c’est pas un hasard. C’est cette raison qu’on a cherché à comprendre en s’approchant dangereusement de l’AB.

Raison… Le mot est lâché, il ne réapparaîtra plus, comme banni par la société qui s’agglutine désormais sur le boulevard Anspach. En fait, c’est bien pire que ça, il y a une file de trois bornes devant les portes. On pensait ne voir que des djeuns… Que non! Des trentenaires, des quadragénaires… Pour paraphraser un pair à la plume bien plus raffinée: « Le concert n’a pas encore commencé qu’on a déjà envie de se suicider au cure-dent… »

Bon, les affaires. D’abord, le décor. Exit la lumière tamisée, la fumée et les capuches qui cachent, les Parisiens se présentent tels qu’ils sont: comme tout le monde. Eux qui, disaient-ils, refusaient de se montrer pour ne pas se différencier de leur public, c’est en réalité tout le contraire. A visage découvert, une chose est claire, Fauve, c’est Monsieur Dupont. En plus laids et moins stylés… Et là, on comprend pas mal de leurs paroles, « le genre de choses qui te met super à l’aise/Qui te rapproche de l’eunuque dans son harem »… Mais c’est pas le propos. Naaaah, c’est pas le propos… D’ailleurs, c’est gratuit et mesquin! Oui, c’est vrai… Insultant! Ins…? Ah, pardon, c’est juste, on ne peut pas rire…

D’ailleurs, c’est pas drôle. Rien de tout ceci n’est drôle! Mais continuons d’abord les formalités… Que dire? Eh bien, ils font le boulot. Mouillent le maillot. Des tubes, encore des tubes, c’est incroyable le nombre de tubes que ce groupe a déjà en besace. Et repris en coeur, en cris, en hurlements hystériques dès les premières mesures, les premiers mots… Derrière le groupe, sur les trois murs, des films vidéos, les clips, pour la plupart. Parce que s’il y a une chose qui ne fait pas débat, c’est bien que ces gens sont des génies du marketing. Dans le sens présentation des choses, du groupe, du concept, la communication. Ce n’est en rien péjoratif. Au contraire, c’est vraiment du beau boulot. En bref, il n’est pas là, le problème, pas dans la forme. Le problème, il est dans le sens. Parce que le coeur, y a pas à dire, ils l’ont gros. Gros comment? Comme le cul d’un éléphant! Ça dégouline, c’est dégueulasse, mais bon, voilà. Mais le sens de tout ça. Le sens des sacro-saint mots, le sens du concept, du groupe, de tout cela…

ça parle de quoi, Fauve? Du ressenti. De toutes ces petites misères d’un quotidien sans misère. Du mal-être sur lequel on ne parvient pas à mettre un nom, un mot, un sens, justement… Fauve, ce sont toutes des histoires sans histoire, du ressenti sur du rien, de l’émotion? Non! Même pas! Surtout pas! De l’affect, comme les animaux. Comme les chiens qui réagissent au quart de tour et aboient sans trop savoir pourquoi. Comme ces gens qui dégueulent leur vie privée au téléphone dans les transports en commun. Fauve, ce sont ces petites vies anonymes montées en mythe. On n’a rien à dire, mais surtout, on en parle, parce qu’on a besoin de se faire entendre! Voilà. Fauve, c’est le nombril-roi, le repli sur son petit soi centre du monde, le règne du “moi-je” et des oeillères.

Mais de réflexion, de prise de recul, de nuance, de regard vers l’extérieur, de mise en perspective et par conséquent de dédramatisation d’une situation en aucun cas dramatique, ça, plutôt crever! ça, jamais!

Et ce n’est pas drôle parce que Fauve n’est finalement qu’un pan minuscule de ce qui a cours dans toute la culture à la française. En musique, dans le cinéma, en littérature, même combat. Même carnage. La France a fait un mythe de l’Auteur, cet Artiste, avec un grand A comme dans Anal. Il lui a donné tous les droits. Et pourquoi pas? La tâche de ce Grand Homme n’est-il pas de dépeindre et ainsi expliquer son environnement, le lieu où il se meut, pour mieux nous éclairer? Sauf qu’aujourd’hui et depuis trop longtemps, l’environnement de l’Auteur à la française s’est réduit au périmètre carré délimité par son p’tit zizi et ses mains moites. Et ainsi se meurt la Culture, celle des lointaines et blafardes Lumières…

Il est peut-être temps de revenir aux fondamentaux avant que tout ne soit irrémédiablement niqué. Et écouter les vieux sages, ces vieux cons pour qui plus personne n’a plus aucun intérêt vu qu’ils ne sont pas sur Twitter… Ainsi, pour changer, écoutons deux secondes ce que disait Gilles Deleuze dans son Abécédaire, à C pour Culture. C’était en 1988.

« Il y a toujours eu des périodes riches, créatives, et des périodes pauvres. C’est pas le fait de la pauvreté qui est gênant dans ces périodes, c’est l’insolence et l’impudence de ceux qui les occupent (…) On en revient à tous ceux qui considèrent que la littérature, c’est une petite affaire privée… Alors, qu’est-ce qui définit la crise aujourd’hui? Il y a notamment cette idée qui s’est généralisée que chacun pouvait écrire parce que l’écriture était affaire de chacun… Chacun a ses archives de famille, ses archives dans la tête, ses petites histoires d’amour et on se dit que ça fait un roman. Mais ça fait pas un roman du tout! ». ça fait pas une chanson non plus. Et encore moins une sensation culturelle adulée par la foule.

Quand vers 22 heures, cette dernière reprend avec force voix et enthousiasme le refrain apparemment générationnel pour adolescents attardés: « Tu nous entends, blizzard, tu nous entends? Si tu nous entends, va t’faire enculer! », on abandonne. Le concert n’est pas terminé qu’on a plus que jamais la morbide envie de se suicider au cure-dent. Et on part se réfugier dans le blizzard le temps que ça passe…

DIDIER ZACHARIE

Journaliste lesoir.be

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33 Comments

  1. Fran

    5 mars 2015 à 16 h 10 min

    Cet article est écrit par une personne qui a manifestement une dent contre le groupe “Fauve”. Cet article n’est pas du journalisme de concert, car il ne reflète en aucun cas le concert de hier soir. Il en parle d’ailleurs à peine … cette personne y était-elle vraiment ? C’est à se poser sincèrement la question. Personnellement, je suis allé sans a priori découvrir un groupe qui fait beaucoup parler de lui, et j’ai été très agréablement surpris, tant par le professionnalisme et la générosité des musiciens, la beauté des textes / de la musique et mise en scène, que par l’engouement du public. De ce que j’ai pu constater, hier soir, les 2000 personnes présentes hier ont passé une très belle soirée. Que ce pseudo-journalisme ne veuille pas le reconnaître et le relater dans un article qui est sensé parler du concert, est une réelle aberration journalistique. Cette personne ne fait tout simplement pas le travail qu’on lui demande. Qu’elle écrive ce texte sur son blogg personnel, ça la regarde, mais que le journal “Le Soir” engage sa crédibilité journalistique par cette personne qui ne fait ni plus ni moins que donner un avis purement subjectif (pas partagé…) par rapport à un groupe (et non un concert…) pose réellement question. En espérant que la direction rédactionnelle du journal Le Soir comprenne que ses lecteurs attendent d’elle des articles qualitatifs plutôt que des tribunes de personnes manifestement déconnectées de la réalité.

  2. TontonNippon

    5 mars 2015 à 21 h 32 min

    ´Monsieur Dupont, en plus laid…’ C’est plutôt moche comme ‘critique’ de la part d’un journaliste arty qui semble vouloir apprendre aux masses ce qu’est la Culture. Le concert d’hier volait en tout cas bien plus haut que cet article étonnamment agressif…

  3. carlcoxxx2002

    6 mars 2015 à 13 h 24 min

    Apparemment quand on est “journaliste” on doit détester un groupe comme FAUVE … Dommage, mais comme dit plus haut : “…De ce que j’ai pu constater, hier soir, les 2000 personnes présentes hier ont passé une très belle soirée…”, je confirme !!!

  4. graciela

    6 mars 2015 à 15 h 28 min

    Je trouve que cet article n’est pas digne du Soir
    Votre journal mettait Fauve dans les groupes favoris à voir aux Francos l’année passée et Fauve n’a en rien démérité à l’AB, même si leur message touche certains plus que d’autres apparemment
    Que le journaliste chargé de faire le compte-rendu se vante de ne même pas avoir assisté à tout le concert, ça pose question

  5. Olivier

    6 mars 2015 à 19 h 49 min

    Pour ma part, je préfère de loin la plume de T. Coljon.

  6. Al

    9 mars 2015 à 13 h 54 min

    Haaalala ca me fait doucement rire. Pour certains, le mec doit s’abstenir de dire qu’il n’aime pas ce groupe… Et au lieu d’écrire ‘je ne suis pas d’accord avec l’article et en voici les raisons”, non, on se contente de mettre des guillemets au mot journaliste et d’attaquer le gars sur des détails.

    Perso, j’aimais beaucoup Fauve. Et puis, le printemps dernier, je les ai vus en concert.

  7. Anatta

    14 juillet 2015 à 1 h 50 min

    J’ai vu le concert de Fauve en clôture du festival des Ardentes 2015. Et je peux vous dire une chose, c’est que tous ceux qui ont vu ce concert ont vécu un moment unique. De vrais professionnels au service d’un message sincère servi par une musique maîtrisée et envoûtante. Peut-être le meilleur concert que j’ai vu de ma vie, je n’ai pas peur de l’écrire, en tout cas l’un des plus émouvants.
    L’article de Didier Zacharie est effectivement indigne du Soir parce qu’il sent la haine à plein nez. Il est condescendant et ne tient aucunement compte d’un phénomène de masse interpellant, préférant se replier sur une sensation personnelle dont il vaut mieux ignorer les raisons. Enterrer le phénomène Fauve de cette façon, avec autant de cynisme et d’irrespect pour la culture française et le public francophone, pose question.
    Fauce s’expose et prête en cela le flanc à la critique (facile), mais n’en reste pas moins ce que j’ai pu entendre de plus novateur, de plus sincère et de plus réalistement optimiste depuis belle lurette.
    Changez de métier, Didier Zacharie, de grâce.
    Et pour celles et ceux qui liront cette réaction, allez écouter Fauve. Allez le vivre en direct plutôt qu’à travers ces propos infâmants. Après, vous saurez.
    Anatta

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