Ce 1er mai au Roots & Roses, où certains étaient également de la partie pour assurer le show, les guitares ont eu le dernier mot sur les washboards, violons et autres banjos.
Rien de tel qu’un festival à taille humaine pour démarrer la saison en douceur, me disais-je l’an passé. Un festival un peu comme ces sauces pour les frites et les barbecues : plus on y goûte, plus il goûte. Surtout, mais ça a déjà été dit quelques fois, qu’on y soigne autant les estomacs que les oreilles. Tu préfères la vraie cuisine mexicaine et la tarte maison que la pizza qui ressemble à du carton ? Facile : le 1er mai, c’est au Roots & Roses que ça se passe ! Et sous le soleil pour l’occasion… Bref, de quoi amplement agrémenter les allées et venues entre les deux chapiteaux accueillant ceux et celles qui font l’affiche 2015.
Au Roots & Roses, les artistes les plus traditionnels jouent sous celui baptisé très logiquement… « Roots ». C’est simple comme bonjour, impossible de se tromper ! Même de l’extérieur, quand on débarque nondidju avec trois groupes de retard, et que sur scène, les Hackensaw Boys, des Américains de Virginie, sont déjà en ligne pour administrer une dose de bluegrass. Banjo à gauche, percus faites de boîtes de conserve à droite, voix un rien nasillardes qui se mélangent et tout le monde peut taper du pied. Avec Rory Block, Aurora de son (vrai) prénom, ça déménage tout de suite moins. Seule avec sa guitare, elle distille un country blues devenu « sa » touche en près de 50 ans de carrière. Une carrière à laquelle elle semble avoir décidé de mettre un terme et du coup, son passage par Lessines pourrait être une dernière. En attendant, elle reprend Robert Johnson (« Crossroad blues »), Muddy Waters et Son House. Classique !
The Excitements, les Espagnols, ne font pas la révolution non plus. Le big band, cuivres inclus, est emmené par Koko-Jean Davis, une pile électrique mais au format AAA vu sa petite taille. On nous annoncerait qu’elle a quelques gènes de Tina Turner et Wilson Pickett dans le sang que ça ne nous étonnerait pas vraiment ! Ces Barcelonais-là, disons des Blues Brothers sérieux, baignent dans les thèmes classiques (« I’ve bet and I’ve lost again »), la soul et le blues tendance sixties. Et tendance show aussi, avec la Miss Koko annoncée après l’instrumental d’intro et tout le toutim.
C’est aussi sous la toile du « Roots » qu’on retrouve la tête d’affiche de cette sixième édition : Wovenhand, David Eugene Edwards pour l’état civil, fan du Gun Club et admirateur de Jérôme Bosch. Ceux qui s’en souviennent version live introspective sur le tabouret (ici même en 2011 sous son nom propre) peuvent éventuellement être un peu surpris. L’homme est debout, le chapeau sur le crâne, effet ou réverbe (un peu beaucoup) sur la voix et gratte en bandoulière. Il est épaulé par un groupe qui joue un rock toujours shamanique et puissant. En même temps, Refractory obdurate, l’album sorti l’année dernière (sur Glitterhouse), nous avait déjà paru plus nerveux que d’autres travaux proposés auparavant. Quoi qu’il en soit, la journée pouvait difficilement se conclure autrement qu’avec ce genre de son, qui monte ici et là vers les étoiles comme une prière. Ou survole de grands espaces habités…
Mais, mais, mais… Sous le « Roots », la pépite du jour découverte en fin d’après-midi est suisse, a dû mariner quelques années au fond du Léman et s’appelle Hell’s Kitchen. C’est un trio (chant/guitare, batterie, basse/contrebasse) qui fait ce petit clin d’œil au quartier de New York. Un trio qui sert un blues avec pas mal de personnalité, râpeux, rocailleux, qui sent plus le cambouis que les Grammies. Ça fait un moment que la réputation de l’intenable Bernard Monney et de ses deux camarades a transpiré au-delà des Alpes : ils ont croisé la route de Rodolphe Burger et joué quelques premières parties pas piquées des hannetons (MC5, Young Gods, Pretty Things), tandis que leur cinquième et dernier album en date, Red hot land, a été mixé par Matt Verta-Ray, le camarade de Jon Spencer (Heavy Trash, remember ?). En un mot comme en cent, avec ou sans cover de RL Burnside : amusant à voir (le batteur est aussi équipé d’un tambour de machine à laver et d’une poêle), et pas une seconde ennuyeux à entendre, à fortiori quand on apprécie Tom Waits et Arno.
Et pendant ce temps, sous l’autre tente…
Offrir à Daddy Long Legs, The Computers, Romano Nervoso et Mudhoney la scène du second chapiteau, c’est un peu comme envoyer tout au fond de la classe les plus chahuteurs. Au fond, près du radiateur !
Blues ou rock, les premiers, des New-Yorkais, pratiquent sans se soucier d’être propres. Quand ce n’est pas le batteur, Josh Styles, qui imite un moteur de pick-up avec un maracas à la place d’une baguette, c’est le longiligne Brian Hurd qui joue les mécanos et nous fait le démarrage d’un deux roues, un gros deux-roues dans son micro : « Motorcycle Madness », s’intitule ce morceau qui donnerait même le tournis à un pot de brillantine ! Il n’est que 14h et des poussières et ceux qui n’ont pas encore eu le temps de digérer leur déjeuner n’ont plus qu’à aller prendre l’air à l’extérieur : Daddy Long Legs, où Murat Aktürk n’est pas le plus manchot des slideurs, forme un sacré groupe de scène !
Même remarque pour The Computers, encore que chez ces Anglais (d’Exeter) qui semblent avoir mis pas mal de soul dans leur rock garage, c’est surtout le chef de la bande qui assure le spectacle. Quand vous vous en allez chanter en haut d’un pylône, c’est assurément que vous n’êtes pas là pour faire de la figuration !
Pas de figuration non plus pour Romano Nervoso, attendu par une partie du public, francophone comme néerlandophone ! Giac’, très en voix, et les siens ont droit à une heure : il leur en faut nettement moins pour mettre tout le monde dans le bain, la touche glam en prime. « The story », la chanson de Noël, le traditionnel « Mangia spaghetti », un « Nice boys (don’t play r’n’r) » emprunté à Rose Tattoo mais avec un bout de Sons Of Disaster dedans, ou encore « Psicotico blues » et la version d’« Aline » (« Bon d’accord, on va vous faire une reprise de « Thunderstruck » d’AC/DC ») : il y a là amplement de quoi donner envie de danser des slows ou secouer les barrières du frontstage… Plus tard, ces mêmes barrières échapperont d’ailleurs de peu à la dislocation, sur le final toutes guitares dehors des Américains de Mudhoney. Ceux qui réclamaient, il y a quasi un siècle de cela, « Touch me I’m sick », n’auront pas rejoint Lessines pour le seul plaisir de rappeler l’importance qu’ils ont eue sur la scène grunge. Pour le plaisir tout court, disons. Celui que le Roots & Roses diffuse depuis six ans maintenant…
Didier Stiers