Primavera Sound 2015: le debrief

C’était ce week-end à Barcelone. L’affiche était incroyable, certains concerts le furent autant. Moments choisis et vidéos.

Depuis une demi-douzaine d’années, le Primavera Sound annonce la tournée d’été. Onze scènes, cent et des groupes, et non des moindres, le Parc del Forum situé en bord de mer au bout de l’Avenida Diagonal à quelques stations de métro du port de Barcelone est aujourd’hui un mastodonte rock indé, le plus grand supermarché dans le genre et un temple de hipsters. Mais aussi le maître-festival pour les mélomanes.

Une blague belge signée Belgocontrol (c’était une blague, non?) nous ayant amputé cette édition 2015 de sa première soirée (c’est une longue histoire… en fait, non. L’histoire est courte, c’est la journée qui fut longue…), voici les concerts qu’on retiendra des soirées de vendredi et samedi, en prenant en compte qu’on ne peut pas tout voir, même si on le voudrait – entre des horaires qui se chevauchent et s’annulent et d’autres fomentés par ce qui semble être des handicapés des trompes auditives (Disappears à 17h ou Swans à 17h45 le dernier jour, ce genre d’âneries…), sans même compter les kilomètres à engloutir entre les scènes… Bref! Allons!

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VENDREDI 29 MAI 2015

Jon Hopkins, scène ATP, 2h00

La soirée commence gentiment. En fait, elle commence par deux (petites) déceptions. Il fallait faire un choix entre Run The Jewels et Ride, ce ne sera ni l’un ni l’autre. Les premiers, parmi les seuls représentants hip-hop du festival, auteurs d’un des grands albums de 2014, avaient bien l’énergie pour eux, mais le parti-pris old school – deux MC’s, une table de mixage – montre ses limites sur une grande scène. Et quand résonne le single « Close Your Eyes (And Count To Fuck) » avec la voix enregistrée de Zack de la Rocha qui résonne pauvrement dans les enceintes, on comprend que ce ne sera pas pour cette fois-ci et on part de l’autre côté du site voir les revenants shoegaze. Las, malgré quelques envolées, point de miracle. Si Ride a été un outsider sérieux à My Bloody Valentine il y a vingt-cinq ans, le groupe tout juste ressuscité manque aujourd’hui de percussion et de pertinence, trop brit pop ou pas assez noisy, ça revient au même, on reste sur notre faim…

… Jusqu’à 2h du matin, donc, quand Jon Hopkins nous offre le premier grand moment du week-end. Enfin, du son! Clair, ample, prenant. Les envolées electro de l’album Immunity, entre lignes abstraites et beats carrés, font toujours merveilles, deux ans après la sortie du disque. Jon Hopkins nous avait déjà mis une claque à l’AB, il prouve qu’il est tout aussi à l’aise sur une grande scène, tout seul derrière son laptop, comme ça, sans que ça ait l’air très compliqué. Il plie l’affaire en une heure qui a semblé passer comme cinq minutes tant il nous a happé dans sa toile sonore. Et c’est avec plaisir qu’on a tendu l’autre joue. A côté, juste après, le set de Ratatat a paru bien léger…


The Soft Moon, scène Adidas, 4h00

Ce qui importe dans un festival, c’est le timing. Par exemple, aux petites heures, quand il n’y a plus rien à perdre ni à gagner, dans ces dernières heures de nuit noire avant que le soleil ne reprenne ses droits, c’est là, « dans ce clair-obscur où surgissent les monstres », que The Soft Moon prend pleinement son sens.

Le projet du très perturbé californien Luis Vazquez navigue entre tentations cold wave et expérimentations electro-bruitistes, quelque part entre Joy Division et K-Branding. C’est sombre, sale, malsain et fascinant. Sans répit. Comme la bande-son d’un accident à venir… D’ailleurs, il arrive. En fin de set, sous les stroboscopes, une jeune fille s’écroule et ne réagit plus. Le groupe arrête net de jouer et ça devient glauque. On n’a pas eu de nouvelle d’une tragédie dans les journaux ou sur le site, The Soft Moon est d’ailleurs revenu pour un ultime titre, donc on présume qu’il y a eu plus de peur que de mal, mais les monstres ont bien failli faire leur sale travail. Il n’empêche, un groupe à suivre.


SAMEDI 30 MAI 2015


Einstürzende Neubauten, scène ATP, 21h40

Après une sympathique mise en jambe avec Mac De Marco sur la gigantesque scène Heinekken (comment le roi des branleurs – c’est un compliment – parvient-il à rameuter autant de monde?… Mac De Marco, roi des hipsters? – c’est moins un compliment…) et son contre-poids Foxygen (pas dans leur élément sur une si grande scène, surtout avec leur show entre Spinal Tap et revival glam…), direction l’autre bout du village pour une petite séance « d’entertainment d’avant-garde ».

Einstürzende Neubauten
, donc, le groupe de Blixa Bargeld, ancien bras droit de Nick Cave. Trente-cinq ans dans le métier et pas une faute de goût, pas une tache qui salisse son oeuvre. Sa kunstwerk. C’est toujours ce même sentiment quand on voit le groupe en concert. Tout est millimétré, chaque son de barre de métal et autre cylindre, distorsion de guitare ou percussion est pensé et travaillé. Et c’est incroyable ce qu’un cylindre de métal peut donner comme son! On peut parfois être frustré par le côté cérébral de Neubauten, son refus de se laisser aller, de perdre juste un peu le contrôle. Mais ce n’est simplement pas/plus la politique de la maison. Les Berlinois sont un groupe à part et qui a su rester fascinant malgré le passage des ans. Respect.

Interpol, scène Heineken, 22h40 et The Strokes, scène Primavera, 23h45
Vous parlez d’une surprise! En soi, voilà deux groupes dont on ne sait trop s’ils existent encore réellement, dont les faits de gloire remontent à plus de dix ans et, en clair, dont on n’attend plus rien depuis un bon moment. Eh bien, est-ce l’âge?, la nostalgie?, la magie du moment? En tout cas, on a eu bien bon!

A ma gauche, Interpol, groupe new yorkais fondé en 1997. Meilleur fait d’arme: Turn On The Bright Lights, premier album sorti en 2002. Retour de hype: le départ de son éminent bassiste Carlos D en 2010. Après quoi, le respirateur artificiel. C’est en tout cas le sentiment que le groupe nous donnait. Ça et la classe vestimentaire. Interpol, toujours impeccables dans ses costards. On y ajoutera un concert pur bonheur, en forme de best of, et c’est peut-être ce qui explique cela. En tout cas, le groupe a complètement assumé son statut de tête d’affiche sur la (première) grande scène et on en attendait pas autant. Depuis, on se réécoute « Untitled », « Obstacle 1 » et « Evil » en boucle…

… Et Is This It, aussi. Alors là, si on n’attendait rien d’Interpol, les Strokes… D’ailleurs, on ne sait toujours pas si les Strokes existent toujours, s’ils se parlent (on en doute) ou s’ils préféreraient se mettre sur la gueule plutôt que de se retrouver ensemble sur une même scène (on suppose). Il n’empêche, les rares fois où ils jouent, ils jouent! Serrés, tendus. C’est peut-être cette tension qui a fait des merveilles, d’ailleurs. Et puis, les chansons. Ça aide. Celles du premier album, bien sûr. 2001, retour du rock, cinq fils de riches new yorkais. Une pépite. Presque quinze ans après, avec un Julian Casablancas en mode Mad Max punk à chien sous cortisone (le cheveu rasé et rose d’un côté, gras et long de l’autre, et le visage bouffi), la magie opère à nouveau. D’une manière ou d’une autre. Et alors que son nouveau groupe The Voidz se perdait un peu dans les soli à rallonge et le grand-guignol la veille (l’album est pourtant recommandé), avec les Strokes, c’est direct à l’os. Et au coeur. Au point de se (re)poser la question le plus sérieusement du monde: Is This It?

Et en cadeau, les deux concerts dans leur intégralité en vidéo…

Thee Oh Sees, scène ATP, 2h00
C’est toujours la même rengaine. Trois notes, un riff, et la machine part pour ne plus s’arrêter. Cette énergie, on ne sait comment John Dwyer et sa troupe la trouvent chaque soir qu’ils tournent depuis maintenant quinze ans. Enregistrant album sur album, faisant tourner le line-up pour continuer à tourner, jouer et tourner encore. Et chaque concert est le meilleur concert auquel on assiste. Que ce soit au VK, à Londres, ou sur une gigantesque scène comme au Primavera, c’est gagné. Thee Oh Sees, c’est la vengeance du rock n’ roll qui refuse de crever. Son dernier souffle qui durera mille ans. C’est l’énergie première, viscérale, ça vous prend par les gonades et vous fait suer comme un bestiau. Après deux nuits pleines. Tout donner. Tout lâcher. Dans la fosse aux lions, le chanteur de Fucked Up, tatoué et transpirant. Sur la tête des gens, Mac De Marco faisait le singe. Et ce n’est pas un hasard si tout ce beau monde rapplique pour Thee Oh Sees. The last band in town. En fait, cette édition du Primavera nous a réconcilié avec le rock. Voilà. Rock n’ Roll. Ce sera le mot de la fin.

DIDIER ZACHARIE
Photos: Poukette

Journaliste lesoir.be

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