Compagnon de Nick Cave au sein des Bad Seeds, Warren Ellis écrit aussi avec ce dernier pour le cinéma. Dernier exemple, l’hypnotique bande originale de « Loin des hommes », de David Oelhoffen
Pour qui a déjà vu Dirty Three ou The Bad Seeds sur scène, impossible de ne pas être magnétisé par le charisme de Warren Ellis qui triture guitares et violon comme s’il était frappé par la foudre. Australien, lui aussi, et installé à Paris depuis des lustres, ce formidable musicien s’est découvert un autre terrain de jeu avec son ami Nick Cave depuis 2005, année où le duo a composé la musique du film The Proposition, de John Hillcoat. Depuis, Warren et Nick se retrouvent au fil de leurs envies pour renouer avec cet exercice libératoire, pour reprendre le terme du musicien. Dernier exemple en date, la très belle bande originale de Loin des hommes, présenté l’an dernier à la Mostra de Venise. Il y a un mois, quasi jour pour jour (le 9 mai, pour être précis), on retrouvait un homme charmant et habité par son art dans un hôtel de la capitale.
Qu’est-ce qui vous fait, à vous et à Nick Cave, dire oui à une bande originale de film ? Le scénario ? Le réalisateur ?
Vous connaissiez « L’hôte », la nouvelle d’Albert Camus extraite de « L’exil et le royaume », qu’a portée à l’écran David Oelhoffen ?
J’ai beaucoup lu Camus quand j’étais un peu plus jeune et L’étranger a eu un énorme impact sur moi quand je l’ai lu à l’école à l’âge de 16 ans. Dans un sens, c’est le premier livre qui m’a vraiment parlé. Quand tu es adolescent et que tu lis de telles choses sur l’aliénation, ça laisse forcément des traces. J’avais donc lu le roman en son temps que j’ai relu avant d’écrire la musique du film. J’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de similitudes avec Cormac McCarthy dans la précision et la sécheresse du style mais plus proche du Méridien de sang que de La route.
Est-ce que vous composez devant un écran en regardant les rushes du film ?
Non. On discute avec Nick de la couleur et du choix des instruments. Nous ne sommes pas du genre à intellectualiser alors on essaie plein de choses mais ça reste surtout de l’improvisation. En fait, c’est surtout le film qui définit les sonorités employées et avec notre expérience, nous commençons à avoir une belle palette de sons.
Est-ce que cet exercice libre s’apparente au free-jazz ?
Nous venons du rock’n’roll où c’est surtout une question de structures et d’accords mais ça n’empêche pas d’être libératoire.
Vous avez utilisé quelques idées de « The proposition » pour le deuxième album de Grinderman. On peut imaginer que certaines idées de « Loin des hommes » vont se retrouver sur le prochain disque de Nick Cave & The Bad Seeds ?
C’est clair qu’écrire la musique d’un film nous permet aussi de discuter sur ce que nous souhaitons au sein du groupe. Tu comprends tout de suite que certaines couleurs pourraient convenir à la sensibilité des Bad Seeds. Pour le documentaire West of Memphis, nous avons utilisé des idées qui se sont retrouvées sur Push the sky away. Pour rebondir sur Grinderman, le groupe a clairement été monté pour explorer et décliner ce que nous faisions pour le cinéma.
Vous êtes avant tout au service du réalisateur, de sa vision mais derrière tout cela, est-ce que le pari n’est pas d’écrire une musique qui fonctionne sans les images ?
Nous écrivons un morceau dans son entièreté. J’ai rencontré un musicien qui écrit les musiques pour les James Bond. Il m’a dit qu’il était frustré, justement, parce qu’il devait écrire genre 20 secondes pour une scène d’action.
Propos recueillis par
PHILIPPE MANCHE