Sufjan Stevens, des larmes à Bozar

C’était un concert très attendu par beaucoup. Sufjan Stevens est venu présenter son délicat Carrie & Lowell à Bozar. Une prestation (forcément) à coeur ouvert.

Présentation en Fa#

Beatles vs. Stones, Blur vs. Oasis, Tupac vs. Biggie… C’est fini tout ça! Depuis une bonne dizaine d’années, pour les gens de goût (évitons ce vilain mot qu’est “hipster”…), le duel oppose Sufjan Stevens et Sébastien Tellier. Chacun, des deux côtés de l’Atlantique, alliant à sa façon le macro et le micro, le système solaire et le for intérieur, le dixième et le premier degré, l’extravagant et l’intime. Et chacun prônant le concept comme moteur de créativité.

Exemples: le premier lance le projet « un album par Etat américain », l’autre construit un disque autour du politique; coffrets 5CD de chants de Noël vs. fausses BO de films imaginaires; spectacle sur les planètes du système solaire vs. création d’une secte néo-baba prônant un Dieu pépito bleu. On pourrait gloser, passer son chemin, balancer tout cela d’un revers de la main. Sauf que l’un a écrit « Seven Swans » et l’autre « La Ritournelle »…

Et puis, en début d’année, le Suf a pris la tangente. Abandonnant complètement l’extravagance, il panse ses plaies sur Carrie & Lowell, disque dédié à la mère tout juste décédée. Mère absente qui l’a abandonné avant qu’il ne se mette à marcher. Avec qui il a renoué un temps grâce au beau-père devenu figure paternelle. Disque thérapeutique et disque du pardon. « Notre mère nous a abandonnés pour notre bien. Que Dieu la bénisse pour ça, pour le fait qu’elle ait compris qu’elle n’était pas capable d’être mère », lançait-il à Pitchfork en février dernier. Disque à la grandeur d’âme déposée sur la table…

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Le concert

C’est ce disque que Sufjan Stevens présentait jeudi à Bozar, dans une salle transformée en église et remplie de fidèles buvant chaque parole sainte au calice. Car c’est bien dans un lieu de prière qu’on se retrouve, via la scénographie constituée de bandes en forme de vitraux sur lesquelles sont diffusées vidéos familiales et jeux de couleurs et les odeurs d’encens qui traversent la salle. Le choix de Bozar n’a pas été pris au hasard non plus, et on l’en remercie (le même concert à l’AB n’aurait pas offert un aspect à ce point intime et introspectif).

Le Suf’, entouré de quatre musiciens, joue donc son dernier album, dans le désordre. Le son est impeccable. Le silence est tel qu’on a même l’impression d’entendre tourner la bande des vidéos Super 8… Sufjan Stevens, tee-shirt sans chichi et casquette dans la poche arrière du jeans, est appliqué, concentré, sérieux, voire tendu… En tout cas, les vingt premières minutes nous transportent sans effort dans l’intimité du chanteur. Les chansons sont exécutées comme sur le disque, mais l’environnement fait qu’elles redoublent d’émotivité. Surtout, on n’est pas juste dans le moule « chanteur à texte avec sa guitare en bandoulière », le set est musical et laisse place à quelques montées lyriques bienvenues.

A la demi-heure, alors que la formule s’écule et que la tension retombe, Stevens enchaîne son brelan d’as « 4th of July » (et son refrain « we’re all gonna die » chanté en choeur, comme un mantra s’élevant au ciel), « No Shade In The Shadow Of The Cross » et « Carrie & Lowell ». Puis tente de dérider un peu l’atmosphère avec un parti-pris plus electro-dansant (dont un grandiose « Vesuvius ») et un « Blue Bucket Of Gold » qui s’étend sur dix minutes dont quelques unes, avouons, assez brouillonnes…

C’est que le Suf’ semble parfois à côté de ses pompes… Pour certains, c’est l’émotion, pour d’autres, il avait l’air de s’emmerder… Peut-être que, à l’instar de Björk, il traîne un  peu cette tournée comme un boulet, le contenu des chansons étant tel qu’il trouve plus de peine que de plaisir à les chanter. Allez savoir! Remerciant le public, le bonhomme s’emmêle en tout cas les pinceaux sur deux phrases, lui qui d’habitude a la tchatche facile…

Quoi qu’il en soit, le chanteur qui a retrouvé sa casquette de pompiste reçoit une standing ovation et beaucoup d’amour de la part du public. Qu’il remercie en dépoussiérant quelques perles de son répertoire en rappel. Un rappel qui sonnait un peu bâclé, trop long peut-être, manquant l’opportunité en tout cas de changer d’atmosphère. N’empêche, nous qui, en bon disciple de Maître Tellier, n’attendions pas grand-chose de ce concert, le final sur « Chicago » nous fait dire qu’on a assisté à une soirée particulière et de qualité. Pleine d’émotion. Tant dans la livraison que dans la réception, mais en évitant l’exhibitionnisme. « Je ne cherche pas à ce que l’auditeur se complaise dans la prose et la poésie fragile de la dépression, je veux simplement honorer l’expérience », disait-il encore à Pitchfork. Il a réussi.

DIDIER ZACHARIE

Journaliste lesoir.be

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